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Vaco Baissac: «Mo enn kreol lizie ble»

2 janvier 2017, 13:59

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Vaco Baissac: «Mo enn kreol lizie ble»

À l’arrivée de la nouvelle année, nous n’aspirons qu’à une chose : respirer. Pour nous ressourcer en beauté, rien ne vaut un retour aux sources en bonne compagnie. Pendant cette première semaine de 2017, nous sillonnons les régions avec une personnalité qui y habite. Histoire de lui demander où elle va et ce qu’elle fait pour savourer un bol d’air frais.

Pas besoin d’escalader les montagnes qu’il a tant peintes. Ni de monter sur le «pie koko» qu’il a maintes fois croqué. Quand Vaco Baissac, 76 ans et peintre depuis 25 ans, sent le besoin de respirer – pas cette fonction mécanique des poumons mais cette action quasi mystique qui chasse les démons –, il sort de son atelier. Tombe dehors. Dans la cour qu’il repeint avec des couleurs vives et des plantes endémiques depuis 25 ans.

Son coin fraîcheur, c’est son jardin, à Grand-Baie. Réconfort de celui né dans le «ti lapli» de Curepipe, près de Trou-aux-Cerfs. Descendu des hauteurs, il a planté ses racines sur la côte «parce que la mer est là, le Coin-de-Mire est magnifique. Le climat est meilleur. Je deviens un peu vieux. Lezo koumans fer mal. Je vais mourir ici.»

Mais pas avant de nous avoir fait les honneurs de ce jardin aux «cinquante mille couleurs». Une friche transformée en faisant pousser un veloutier en son milieu. Avant d’y faire couler une fontaine malgré les coupures d’eau.

 La piscine invitante.

 

 

Cette cour, c’est aussi un pied à terre pour oiseaux. «300 à 400 oiseaux viennent manger chez moi tous les après-midi à cinq heures», avance Vaco Baissac. Photo à l’appui sur sa tablette tactile. À vue d’œil, il y a bien une cinquantaine de rouges-gorges perchés sur le veloutier qui attendent le dîner.

Mais il n’est que 11 heures. Nous rencontrons Georges, la tortue géniale, qui partage le jardin avec les poules. Selon Vaco Baissac, Georges «joue avec les enfants.» «Mon inspiration est à la plage, dans la rue, les gens que je rencontre… Tou lamem.» Avec la voix qui enfle comme la mer, Vaco Baissac décrète : «Je ne prouve rien. Je peins ce que je vois, ce que je ressens ; le sang qui coule dans mes veines. Chaque artiste est l’illustrateur de son temps.»

Sans ciller, l’artiste raconte que ses ancêtres venus du sud-ouest de la France sont arrivés en 1760. Dans le même souffle, il «revendique une goutte de sang créole, une goutte de sang d’Afrique, une goutte de sang indien.Depuis 1760, comment voulez-vous que ce soit autrement ? Mo enn kreol lizie ble. Un créole quand même.»

Une identité qui marche main dans la main avec une langue. «Je parle le créole mieux que je ne parle le français. Je peins la langue créole, c’est-à-dire l’unité de tous les Mauriciens, un exemple pour le monde entier.»

Dans la quiétude de ce jardin aménagé avec des compétences d’artistes (sculptures en bronze en forme de soleil rieur et d’oiseau moqueur), Vaco Baissac fait le vide. «Je ne veux pas penser politique ; je ne veux pas m’ennuyer avec les petites horreurs et les petites hypocrisies de tout ce monde qui est là-haut et qui ne pense qu’à se remplir les poches.»

Georges est l’un des personnages principaux du jardin de Vaco Baissac.

L’argent, tout le monde en a besoin. Si aujourd’hui Vaco Baissac gagne sa vie grâce aux couleurs, cela n’a pas toujours été le cas. «J’ai bouffé de la vache enragée. J’ai fait plein de métiers. J’ai vendu des pneus, des encyclopédies anglaises à Paris pour avoir un peu d’argent pour payer mes études. Mais j’y ai cru. Je n’ai jamais pensé faire de l’argent. Tout ce que je veux, c’est avoir la paix pour m’exprimer. Ma plus belle récompense, c’est que le Mauricien se reconnaît dans ma peinture.»

«L’art dégringole à Maurice»

C’est ce qui le console des reproches. Celui qui lui colle à la peau : pourquoi avoir peint sur des camions poubelles ? «J’ai été critiqué pour cela. Vous savez ce que j’ai répondu ? J’ai suivi des camions poubelles quand ils sont entrés dans des villages de zanfan mizer. J’ai vu des enfants courir après ces camions, battre des mains, rire et danser autour… Cela m’a fait plus de joie que les tableaux que j’ai chez un riche, dans son grand salon où tout le monde passe comme cela en disant : ‘Ah, tu as un Vaco ?’»

Les Vaco, Baissac espère qu’un jour «Maurice les mettra dans un musée d’art». Dans l’éventuelle National Art Gallery qui existe de nom depuis plus de dix ans mais qui n’a pas de lieu d’exposition. «Ayo, pa koze.» On risquerait de le fâcher. Vaco Baissac a siégé sur un comité pour la création de la galerie, pendant trois ans. Pourquoi cela n’a-t-il pas abouti ? Réponse laconique : «Parski setaki pe tir lakord so kote.»

Le cyclone passe direct en classe 4 dans la cour ensoleillée. «On a visité cinquante endroits, dont le Château Mon Plaisir. À chaque fois, on a répondu qu’on garde tel ou tel lieu pour autre chose qui, politiquement, va rapporter des votes.» Vaco Baissac finit par démissionner. «Je suis allé voir le ministre pour lui dire se enn joke sa zafer-la. On m’a dit : ‘Vous êtes membre d’un comité d’un truc qui n’existe pas’. Zot fer boufon ar mwa. Dimounn pou riy mwa. Tant qu’ils ne trouveront pas un endroit, je ne participerais pas du tout à cela. Qu’ils aillent se faire f… Mo pa pou al mars deryer zot.»

Ce n’est pas qu’avec la galerie d’art que Vaco Baissac a eu une mauvaise expérience. «J’ai eu une mauvaise expérience avec tout l’art à l’île Maurice», tonne-t-il. Est-il fâché avec tout le monde ? «Je suis fâché avec les organisateurs, avec les petites préférences. L’art à l’île Maurice est en train de dégringoler.» La faute à qui ? «Ce n’est pas les artistes coco», lâche-t-il. Avant de pointer un doigt accusateur vers ces «enfants qui n’ont même pas un an de pratique de la peinture. Ils exposent déjà comme si c’était cela l’art de l’île Maurice. Dimounn pe riye. Se bann boufonad.»

Vaco Baissac finit par leur pardonner. «Ce ne sont pas les jeunes qui veulent courir trop vite. C’est la politique qui se sert d’eux pour faire de la politique.»

Deux soleils brillent pour l’artiste. L’un sur sa tête, l’autre né de sa main.