Publicité

Johnson Roussety: «C’est par hasard que l’on fait partie de l’État mauricien...»

3 janvier 2017, 20:18

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Johnson Roussety: «C’est par hasard que l’on fait partie de l’État mauricien...»

Johnson Roussety reproche au gouvernement mauricien de ne pas suffisamment s’occuper du développement de Rodrigues, tout en clamant que celui-ci ne respecte pas l’autonomie de son île. Il est conscient qu’il se contredit mais il s’explique. Focus sur Rodrigues, dans le cadre de la publication, prévue bientôt, des «writs» des élections régionales.

Alors, si je vous dis que je suis une étrangère qui débarque à Rodrigues pour la première fois. Je vous rencontre et je vous demande ce qui se passe sur le plan politique, dans l’île, que me répondez-vous ?

Je vous réponds qu’il y a un grand cafouillage dans la politique rodriguaise. On est un peu perdu. Moi le premier quand je regarde les événements qui se sont produits. Notamment les tentatives du gouvernement mauricien de restreindre l’autonomie de Rodrigues. Maurice ne réalise pas la situation dans laquelle Rodrigues se trouve. Les vraies priorités de l’île sont occultées et les vrais débats sont mis de côté au profit des dossiers moins importants, comme la réforme électorale. Il y a une urgence écologique et plusieurs enjeux, dont ceux de l’eau, du développement durable, de la survie économique et de la pauvreté. Selon moi, si les Rodriguais ne prennent pas des mesures courageuses dès maintenant, dans 50 ans, la pérennité de l’homme à Rodrigues sera remise en question parce que notre île ne sera qu’un rocher.

Pourquoi êtes-vous si pessimiste ?

 J’observe la situation. J’analyse le Sustainable Integrated Development Plan for Rodrigues. Nous n’avons pas de production industrielle ici. Les rivières ne coulent plus. La plupart des besoins en eau ne sont pas satisfaits. Nous continuons à pratiquer l’élevage n’importe comment et nous surexploitons les lagons. Il ne nous reste plus grand-chose. Les bassins-versants de Rodrigues sont asséchés. Nous serons sur une île où les sources d’eau seront à sec, la terre sera appauvrie à cause des pratiques d’élevage destructrices et le lagon n’aura plus de poissons. Où est la place de l’homme dans un tel tableau ? Est-ce que Rodrigues optera pour l’eau dessalée à 100 % ? Rodrigues est petite. Tout comme on dit que des espèces vont disparaître si nous ne changeons pas les choses, moi je dis que le mode de vie du Rodriguais va disparaître.

Que faut-il faire concrètement ?

 Aujourd’hui, des animaux ont envahi des lieux très connus qui méritent d’être protégés. Il y a des maisons construites sur d’anciens cours d’eau. Petit à petit, on bétonne Rodrigues et il ne pleut plus. Il faudrait d’abord être conscient de cet état de choses et agir en conséquence.

Et qu’est-ce qui fonctionne correctement à Rodrigues ?

 Le secteur touristique va très bien, par exemple. Et puis, les jeunes sont ambitieux. Ce qui est bon signe. Je sens qu’il y a un réveil politique. Les gens comprennent que la colonisation de l’île doit cesser.

Vous avez l’impression que Maurice agit comme un colon envers Rodrigues ?

Oui, le gouvernement mauricien est venu, du jour au lendemain, avec une réforme électorale, sans nous consulter. Pour moi, c’est une tentative de restreindre l’autonomie de Rodrigues. Il a voulu obliger le chef commissaire à consulter le Premier ministre pour choisir les commissaires. Ce n’est pas normal. Le chef commissaire a été élu, il n’a qu’à donner les noms de ceux qu’il veut avoir autour de lui à la présidente, qui a pour tâche de les nommer. Il n’y a aucun besoin de solliciter le Premier ministre.

Vous êtes conscient que Rodrigues fait partie de la République de Maurice…

 Nous remettons cela en question. Nous sommes un peu comme les Chagossiens. Sauf que ce sont les Anglais qui ont rattaché Rodrigues à Maurice, pas les Rodriguais. Rodrigues n’a pas été rachetée par Maurice. C’est par hasard que l’on fait partie de l’État mauricien. On aurait pu être un territoire français…

Je ne dis pas que Rodrigues est la propriété de Maurice. Mais vous êtes conscient que même si Rodrigues est autonome, elle fait partie de la République de Maurice et le gouvernement mauricien a un devoir envers les Rodriguais…

 Maurice a le devoir de respecter l’autonomie rodriguaise. Il y a un budget voté par l’Assemblée nationale pour Rodrigues. À présent, c’est à l’Assemblée régionale de décider de ce qui doit être fait avec cet argent. Je vous demande quelque chose : que fait l’État mauricien pour nous ? La majorité des Rodriguais sont frustrés. Quand il y a une nouvelle technologie qui arrive à Maurice, c’est plusieurs années après que nous pourrons espérer l’avoir. Quand ils ont installé le câble à Maurice, ils savaient pertinemment bien qu’il fallait l’installer également à Rodrigues. Si vous gérez un hôtel à Rodrigues, vous devez être connecté. Car à n’importe quel moment, un client peut annuler ou faire une réservation en ligne. Les gens qui veulent travailler à Rodrigues, doivent-ils le faire à une heure du matin ? Que doit-on faire ? Aller vivre à Maurice ? Le service de santé à Maurice est très avancé. Si vous tombez malade à Rodrigues, il faut espérer que cela ne soit pas trop grave. La République accomplit-elle ses devoirs envers Rodrigues ? Nous avons un port. Les derniers développements remontent à 1991, où il y a eu le dragage. Pourquoi la CWA n’est-elle jamais venue assumer ses responsabilités à Rodrigues ? Ne travaille-t-elle pas pour la République ?

 Nous sentons que nous sommes des laissés-pour-compte. Vivre à Rodrigues, c’est accepter de vivre sans certaines facilités. Je sais que je donne l’impression de me contredire mais je me demande ce que pensent les Rodriguais de cette situation. Est-ce qu’ils considèrent que Rodrigues doit tout faire toute seule ou qu’elle doit dépendre de Maurice ? Les Rodriguais veulent prendre leur pays en main mais en même temps est-ce que c’est viable ?

Vous déplorez une mainmise de l’État mauricien mais en même temps, vous voulez que Maurice fasse davantage de choses pour les Rodriguais. Donc vous voulez que Maurice intervienne quand cela vous arrange ?

 C’est un cercle vicieux. Il y a un groupe de Rodriguais qui veulent être des assistés. D’autres non. Certains veulent faire de la politique autrement mais les gens s’attendent à ce que vous leur donniez tout. Je me demande s’il faut continuer à faire de la politique à Rodrigues. Même si je suis élu au gouvernement régional, je n’ai pas les moyens de réaliser des projets. Je suis restreint par Maurice et envahi par les demandes de l’électorat. Le travail du chef commissaire est extrêmement difficile car il a beaucoup de travail. Avant d’être chef commissaire à 32 ans, je n’avais pas un seul cheveu blanc.

C’est faux de dire que vous n’avez pas été consulté au sujet de la réforme électorale…

Je maintiens que nous n’avons pas été consultés. Xavier-Luc Duval avait dit qu’il enverrait un rapport au leader de l’opposition mais nous n’avons rien reçu. Nous n’avons pas été invités à faire nos propositions. Nous avons écrit des articles, nous les avons rendus publics, nous les avons envoyés au bureau du Premier ministre. Si on prenait ce système tel qu’il est et on l’appliquait à ce qui s’est passé en 2006, on aurait eu une majorité d’un seul au lieu de deux. Est-ce que c’est ce qu’on veut ?

Que répondez-vous à ceux qui disent que pour qu’un politicien arrive à changer les choses, il doit au moins être présent à l’Assemblée régionale, l’endroit où il peut s’exprimer par voie de vote ?

Il y a une chose qui s’appelle la dignité. Ces gens qui ont voté oui, ils ont vendu leur dignité. À l’époque, ils ont mis en avant la réforme et maintenant ce sont eux-mêmes qui ont voté contre. C’est contradictoire, c’est comme prendre l’Assemblée pour une farce. On ne voulait pas participer à cette mascarade. Ensuite, ils voulaient introduire la loi antitransfuge. Est-ce qu’à Maurice vous auriez voté pour cela ? Quand Kavi Ramano a voulu démissionner du MMM, il n’a pas perdu sa place de député. Nous nous sommes soulevés contre cela pacifiquement et nous avons été suspendus. La police a mis deux anciens chefs commissaires dehors.

Comment voyez-vous Rodrigues en 2017 ?

 Il y aura une nouvelle équipe et j’espère qu’elle définira ses priorités et il faudrait, après les élections, faire fonctionner le Parlement rodriguais. Il faudrait que l’opposition et le gouvernement soient d’accord sur les priorités et que certaines décisions courageuses soient prises. On ne peut pas s’opposer éternellement. J’ai souhaité une opposition unie depuis le lendemain de 2012. Je n’ai rien contre les gens de l’Organisation du peuple de Rodrigues (OPR), ils ont leur méthode de travail qui est centrée autour de Serge Clair. Mon sentiment, c’est que l’OPR ne va pas revenir au pouvoir. J’invite Serge Clair à s’en aller avec honneur. Il aurait tort de se présenter à nouveau. La défaite risque d’être écrasante.

Et comment voyez-vous l’île dans dix ans ?

Il faut un changement de mentalité chez les Rodriguais. Dans dix ans, Rodrigues sera une destination touristique encore plus prisée mais il faut préserver le lagon.