Publicité

Zulu: «Les Mauriciens finiront par respirer avec l’aide d’un psychologue»

3 janvier 2017, 21:30

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Zulu: «Les Mauriciens finiront par respirer avec l’aide d’un psychologue»

À l’arrivée de la nouvelle année, nous n’aspirons qu’à une chose : respirer. Pour nous ressourcer en beauté, rien ne vaut un retour aux sources en bonne compagnie. Pendant cette première semaine de 2017, nous sillonnons les régions avec une personnalité qui y habite. Histoire de lui demander où elle va et ce qu’elle fait pour savourer un bol d’air frais.

Une minute avant d’embarquer à bord d’un bateau pour l’île-aux-Cerfs. Une cliente regrette : «Tu vas nous manquer pour l’animation.» Zulu lui répond : «L’animation je la fais sur scène, jamais sur le bateau».

C’est l’artiste qui parle. Même quand il porte les mocassins, le short et les Ray-Ban du plaisancier. «Ce n’est pas tous les jours que je peux sortir mon bateau, faute de travail. La musique a pris toute la place. Je travaille de moins en moins avec mon bateau. Mo tras trasé Sans cesse pendu à son portable. Avec des notes mentales à propos de ceux qui ne l’ont pas encore payé.

Pourtant, cette vie au gré des marées de touristes venus à Maurice pour prendre du bon temps sur un îlot satellite, elle est vitale pour Zulu. Lui, arrêter le job de plaisancier ? Jamais. «Sinon mo mor. J’ai besoin du goût de l’eau salée sur mes lèvres, du grand air. Le meilleur endroit pour respirer c’est la mer.» Et dire qu’au téléphone, Zulu nous avait asséné, assez sec : «Il n’y a plus d’endroits pour respirer à Maurice».

«Même la mer n’est plus libre.» Mais l’air, lui, l’est.

Nous voilà sur son lieu de travail. La plage privative d’un hôtel de luxe de Blue-Bay. Paysage de carte postale écrasé de soleil dès 10 heures du matin. Dans le dos, une femme vigile jette un coup d’œil sur nos activités. Sans cérémonie, on se plante dans le sable. Appuyés à un muret de l’hôtel dont les clients font bouillir la marmite chez Zulu. Ce qui ne veut pas dire que cette situation pa fer so disan bwi.

«Tout change. Même la mer n’est plus libre. Maurice doit y réfléchir. À force d’avoir envie de faire comme en Europe, à force de construire des blocs de béton, nou pou toufé. Vous parlez de respiration ? Les Mauriciens finiront par respirer avec l’aide d’un psychologue. Tout a un prix. Nous avons décidé que c’était cela l’évolution de Maurice et nous vivons entre deux eaux.»

Autour du cou, le citoyen qui nous parle porte un pendentif en forme de map Moris. «Mo kontan Moris a mor.» Paroles d’un vivant fort en gueule, qui n’arrête pas d’échanger des plaisanteries grinçantes avec ses collègues de la plage.

Souvenir de la mère

Son Moris à lui, Zulu découvre à quel point il est riche, à Blue-Bay, là où il est né. Son père est gardien de campement à Pointe-d’Esny. Après 60 ans à Pointe-d’Esny, sa famille déménage pour Mahébourg. «Ma mère ressemblait un peu aux gens des Chagos. Elle marchait toujours pieds nus avec ses ti rob a fler ek so sapo lapay, une vie simple. À 4 km de là, à Mahébourg, li bizin met soulié dan so lipié. Elle a dû changer sa manière d’être et s’est retrouvée entre des murs de béton. Elle a arrêté de respirer.»

Zulu a-t-il lui aussi manqué d’air à ce moment-là ? Lui n’a d’yeux que pour le souvenir de sa mère. Il nous confiera plus tard que du vivant de sa mère, il n’a pas vraiment pu lui parler. Parce qu’on ne s’épanchait pas. Parce que c’était comme ça avec les dimoun lontan. Et que c’est seulement maintenant, longtemps après, que cela sort. Là, malgré nous, il y a un peu d’eau salée qui nous monte au bord des yeux, alors que nous sommes assis face à l’océan. Le pire c’est qu’il s’en rend compte. Et le dit à haute voix.

Pointe-d’Esny est de ces lieux qui hantent Zulu.

La mer, sa mère. C’est le refrain de Zulu. «Après le déménagement, elle est restée alitée pendant 12 ans. Linn malad, linn mor tou. C’était un dépaysement pour elle. Finalement, où est-ce que l’on peut respirer à Maurice ? Si je vais à la plage de BlueBay, éna mari boukou dimounn. Si je vais à la plage publique de Pointe-d’Esny, il y a des gens qui peuvent venir me dire, sorti la alé. Il y a même un écriteau pour ça. Si mo kas enn poz dan bwa, dan kann par la, quelqu’un peut me demander ce que je fais là. Où est-ce que je peux encore respirer ?» Avant d’être asphyxié, Zulu confie qu’il fait un saut à Rodrigues, «quand je peux».

Zulu, qui n’est pas à une pirouette près, lance aussi : «Ou mo respir dan mo lasam». Est-ce un peu pour nous tester ? Impossible de voir ses yeux derrière les lunettes de soleil qu’il refuse d’enlever. Reste-t-il cloîtré ? «Je suis un solitaire», lâche-t-il du tac au tac. Plus tard, il nous dira aussi «Zulu sé pa tousel. C’est deux plumes avec Uvi. Elle m’attend, nous avons des choses à faire.» Message reçu.

Mais avant de s’en aller, une dernière vague nous dépose devant la scène. L’expression de Zulu semble changer derrière ses lunettes de soleil. «Je suis pêcheur. J’ai arrêté la musique 12 ans, avant Blackmen Blues, et j’ai arrêté la musique pendant un bout de temps, après Blackmen Blues. Mais à un moment donné, c’est la musique qui m’a pris. Je ne prenais pas cela au sérieux. Il y a des textes qui me venaient. Dernièrement, j’ai eu des messages, des témoignages qui m’ont fait réfléchir. C’est même venu d’hommes religieux. Cela ne veut pas dire que je vais à l’église

La jetée, point de départ vers la mer qu’il aime tant.

Zulu se redresse. «J’ai senti que j’ai une lourde responsabilité, j’ai même été un peu choqué de ce qu’ils attendent de ma plume, de ma musique.» À voir sa tête, on dirait qu’il a eu enn kout kouran. La seule façon d’être, c’est d’essayer de «faire bon, d’être juste. Je crois que c’est ça le paradis. Mais on a besoin de guides spirituels.»

La respiration se fait spirituelle. «J’ai déjà eu des messages me disant, ‘Zulu tu as une mission’. Pendant un concert à Rodrigues, un spectateur au bord de la scène. Li ris mo lipied kalson. Li dir mwa ‘to sant kouma Kaya’.» Montera-t-il dans ce bateau-là?