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Sir Hamid Moollan: «On ne peut pas amender la Constitution sans l’avis du public»

14 janvier 2017, 15:45

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Sir Hamid Moollan: «On ne peut pas amender la Constitution sans l’avis du public»

Il fait partie des avocats les plus chevronnés du pays. Ses prouesses sont tellement légendaires, son nom tellement connu que lorsqu’on lui demande «Qui est sir Hamid Moollan?», il répond, avec son sourire en coin et les yeux pétillants, qu’il est assez connu pour se permettre de ne pas répondre à cette question. Calme, posé et imposant, il nous reçoit dans son bureau hexagonal pour faire le post-mortem du Prosecution Commission Bill.

Commençons par l’actualité. La commission sur la drogue établit une liste des avocats qui ont régulièrement visité des condamnés dans des affaires de drogue. Le lien entre avocats et trafiquants existe-t-il vraiment?

Vous savez, je ne m’occupe pas d’affaires criminelles. Mes clients ont toujours fait appel à moi pour d’autres cas. Donc franchement, je ne sais pas. Dans ma carrière, j’ai dû travailler sur deux ou trois affaires de drogue, pas plus.

Parmi vos clients il n'y a que des têtes d’affiche du pays. Est-ce parce que ce sont vos amis ou c’est pour votre compétence?

Faudra leur poser la question!

Cela dit, le commun des mortels n’a pas accès à sir Hamid Moollan. N’est-ce pas une injustice?

Je ne vois pas pourquoi les gens ne peuvent pas m’approcher. J’ai traité plusieurs cas impliquant des gens pauvres comme des riches. Si l’affaire vaut la peine, je la prends. Je ne vais pas m’investir dans une affaire simple où quelqu’un d’autre ferait aussi bien ou même mieux que moi. Un jeune sera plus motivé que moi pour cela, et ce sera bénéfique pour le client.

Revenons à vos clients. Parmi eux, se trouve l’ancien Premier ministre. Répondez-vous aux questions relatives au Prosecution Commission Bill en tant qu’avocat et Queen’s Counsel ou en tant qu’ami?

C’est tout un ensemble. On m’a demandé mon avis et je l’ai donné, pour ce que je suis. D’ailleurs, j’ai fait ressortir que j’étais l’avocat du Dr Ramgoolam…

... et comme vous êtes son avocat, cela a influencé votre avis sur la question?

Personnellement, je ne crois pas, mais cela ne m’étonnerait pas que certaines personnes puissent le croire.

D’autres croient que vous avez rencontré Xavier Duval avant sa démission. Quels arguments constitutionnels avez-vous avancés pour le convaincre?

Je n’ai avancé aucun argument. Il m’a téléphoné et il est venu me voir. D’ailleurs, lorsqu’il est arrivé, je ne savais même pas sur quel sujet nous allions nous entretenir. Nous avons parlé pendant environ une demi-heure. Mais je ne l’ai pas influencé. Nous avons parlé de plusieurs choses…

… dont le Prosecution Commission Bill?

Il m’a demandé mon avis. Je le lui ai donné. Je n’ai rien dit de plus que ce que j’ai dit aux journalistes les jours précédents.

Mais êtes-vous fier d’avoir fait capoter ce projet de loi tout de même?

Je n’ai pas fait capoter quoi que ce soit! On m’a demandé mon avis, je l’ai donné. Après, c’est aux gens de juger.

Vous avez donné votre avis ou avez-vous fait un lobbying?

Je n’ai fait aucun lobbying. Quand on me pose des questions, j’y réponds.

Mais vous reprochiez quoi à ce projet de loi, au juste?

Je condamne toute tentative de faire passer des lois pour des raisons ad hominem, c’est-à-dire, par rapport à quelqu’un plutôt que par rapport à des faits.

«Le DPP n’est pas une vache sacrée qu’on ne peut toucher. Ses décisions sont contestables.»

Vous êtes donc convaincu que c’était par rapport à une personne spécifique?

Tout à fait. D’ailleurs, si j’avais des raisons de penser cela, la rétroactivité n’a fait que renforcer ma conviction.

Donc le Directeur des poursuites publiques (DPP) doit rester intouchable?

Le DPP n’est pas une vache sacrée qu’on ne peut toucher. Ses décisions sont contestables. À partir du moment où le Privy Council a accepté le principe que les décisions du DPP peuvent être remises en cause, il n’y a plus de question. Il y a une procédure bien établie pour cela. Pourquoi créer une autre institution?

Qu’en est-il de la fameuse Judicial Review qui coûte un bras et prend du temps?

Ce n’est pas vrai. Une Judicial Review ne prend pas plus de temps qu’une autre affaire. Il n’est pas plus difficile d’obtenir un statement of claim que d’obtenir un Judicial Review. Je dirai même que c’est plus facile car la demande est plus ciblée. Deux juges se penchent sur des points spécifiques demandés par la Judicial Review et se prononcent sur son acceptabilité ou pas. On peut terminer une affaire de ce type en un an maximum alors qu’une affaire au civil prend trois ou quatre ans.

Donc la Commission, telle qu’elle était présentée, était une mauvaise idée?

Définitivement. Et cela, pour plusieurs raisons. Il y a d’autres questions qui sont restées sans réponses, même aujourd’hui. Que se passe-t-il dans l’éventualité où quelqu’un n’est pas d’accord avec la décision de la commission? La personne fait appel à qui? Il n’est pas possible d’aller à l’aventure dans des domaines aussi importants.

Cela dit, le DPP actuel a été Parliamentary Counsel. En 2003, il avait fait la proposition de mettre le DPP sous la tutelle de l’Attorney General directement. Cela vous choque?

Je ne sais pas. Je n’ai pas étudié la question. Lorsque je plaide, je plaide un cas et non la personne.

Mais le système actuel ne permet-il pas des magouilles hypothétiques entre les avocats et le DPP, vu que personne ne peut poser des questions à ce dernier?

Il y a environ 500 avocats à Maurice. N’importe qui peut aller contester la décision du DPP en cour s’il juge que la décision n’est pas appropriée. N’importe qui peut aller au Privy Council!

Selon vous, une telle loi aurait été jugée anticonstitutionnelle par la Cour suprême?

Personnellement, je pense que oui. Cette commission aurait été une instance exécutive, nommée par l’exécutif pour prendre des décisions judiciaires.

Mais dans la Constitution, le DPP fait partie de l’exécutif aussi. Donc il n’y a pas d’empiétement…

La Constitution exige l’indépendance absolue de plusieurs postes. À partir du moment où n’importe quoi viendrait empiéter ou enfreindre cette indépendance, que ce soit exécutif, judiciaire ou législatif, c’est contraire à la Constitution. Mais la question d’amender la Constitution ne s’arrête pas là. Il y a quelque chose de bien plus fondamental qui n’a pas été évoqué.

Lequel?

Prenons l’exemple de l’article 1 de la Constitution qui parle de notre souveraineté. Personne n’a parlé de cela dans ce débat. Changer cela, même avec la majorité nécessaire à l’Assemblée, ne serait pas une bonne chose!

Donc quelle serait la solution?

Un référendum. Rien n’empêche la majorité de la population de venir dire qu’il faut une dictature. C’est son choix. Mais on ne peut pas amender la Constitution sans l’avis du public.