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Les blouses blanches broient du noir, les patients rient jaune
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Les blouses blanches broient du noir, les patients rient jaune
C’est un vieux dossier brûlant que le ministre de la Santé, Anil Gayan, a rouvert. Faut-il, ou pas, permettre aux spécialistes qui travaillent dans les hôpitaux et dispensaires, notamment, d’exercer dans le privé ? Voilà un débat qui fait rage depuis 30 ans. Et demain, lundi 16 janvier, toutes les parties prenantes se rencontrent à Ébène, le temps d’un atelier de travail. L’objectif : trouver un accord et arrêter une des propositions du ministère qui veut que les spécialistes travaillent dans le privé uniquement, dans le public seulement ou alors qu’ils puissent effectuer des consultations privées dans les hôpitaux publics.
En attendant, retour sur un nouveau bras de fer entre les médecins et le ministère de la Santé. Et les «effets» que cela pourrait avoir sur les patients.
Ce que dit la loi
Pourquoi les médecins spécialistes, contrairement aux généralistes, ont-ils obtenu l’autorisation d’exercer dans le privé ? Il faut remonter aux années 70 pour le savoir. Après leur spécialisation, plusieurs médecins ne souhaitaient pas rentrer au pays. Le gouvernement devait alors les convaincre de le faire. Étant donné que Maurice n’avait pas les moyens de rémunérer comme il se doit les spécialistes, l’option d’exercer dans le privé leur a été accordée. Selon le Public Health Act de 1925, ce «privilège» ne peut qu’être octroyé par le ministre de la Santé. On peut y lire :
1) A government medical officer shall not undertake private practice except with the permission of the minister.
2) The minister may:
a) exclude estate practice from the private practice of a government medical officer,
b) limit his private practice to consulting practice and,
c) define the areas within which his practice may be exercised.
Les anciennes tentatives :
Il faut savoir qu’il y a eu plusieurs tentatives dans le passé visant à revoir le système. Au début des années 90, l’ancien ministre de la Santé, Prem Nababsing, avait choisi d’enlever le privilège aux spécialistes, qui leur permettait d’exercer à la fois dans le public et dans le privé. «C’était une décision drastique. Plusieurs médecins avaient alors démissionné de la fonction publique. Il y a eu une trentaine de départs, la crème de la profession», se souvient une blouse blanche qui a rejoint le service dans les années 80. Il ajoute que ce sont surtout les médecins bien établis avec une excellente réputation qui ont décidé de claquer la porte.
Arrive alors Kishore Deerpalsing. En 1999, il rétablit ledit privilège. Pourquoi ? «J’ai pris cette décision pour des raisons pratiques. Le patient est roi», déclare-t-il. L’ancien ministre explique qu’il manquait des spécialistes dans les hôpitaux. «Ce sont des professionnels, des personnes qui ont été formées, qui ont fait plusieurs années d’études. On a besoin d’eux partout, dans le privé comme dans le public.» Selon Kishore Deerpalsing, la Santé est aujourd’hui malade. «Des professionnels sont des professionnels. Le patient est suprême.»
Et les patients alors ?
Si les médecins spécialistes sont forcés de faire un choix, que se passera-t-il pour les patients ? Nombre d’entre eux suivent des traitements auprès des spécialistes du privé ainsi que dans les hôpitaux publics. Si un spécialiste décide de rester à l’hôpital, ses patients, bien qu’ayant les moyens de payer une consultation privée et de se faire soigner dans une clinique, devront obligatoirement se rendre à l’hôpital. «Qui dit hôpital public dit de longues heures d’attente. Sans compter le manque de confort», explique l’un d’eux.
Par ailleurs, les hôpitaux desservent des régions spécifiques. Si quelqu’un habite le Nord et le médecin spécialiste qu’il a choisi exerce à l’hôpital de Candos, il ne pourra pas s’y rendre. «Ce patient ne pourra que se faire soigner à l’hôpital SSRN ou alors à Jeetoo», explique-t-on. Ce qui, selon plusieurs médecins, porte atteinte au choix du patient. Autre cas de figure : que les médecins spécialistes choisissent de rester dans le privé. Plusieurs d’entre eux s’accordent à dire que c’est la classe moyenne qui risque d’en souffrir. «De nombreux patients n’ont pas les moyens de payer une consultation dans le privé. Ceux qui ont suivi des traitements continus avec des spécialistes avec qui ils partagent une relation privilégiée seront pénalisés», fait valoir un autre spécialiste.
Dans les milieux concernés, on avance que, tout comme la dernière fois, les médecins qui ont déjà une clientèle et une réputation n’hésiteront pas à quitter le public. «Plusieurs pourront prendre un pre retirement leave. Ce ne sera pas un choix difficile.» Le Dr Dawood Oaris, président de l’Association des cliniques privées, prévoit quant à lui un brain drain. Pour cause, «peu importe l’option que choisissent les médecins spécialistes, nous perdrons des compétences. Et ce, bien que le ministre de la Santé a indiqué qu’il pourrait faire venir des spécialistes de l’étranger. Il y aura plusieurs implications, nous n’en savons encore rien. Pourquoi changer le système alors qu’il marche ? Exerçons un meilleur contrôle et améliorons le système», insiste-t-il.
Comparaisons
<h3>Salaires</h3>
<p>Les médecins sont unanimes : les écarts de salaires entre les deux «catégories» de médecins sont énormes. Ainsi, alors que les spécialistes du public touchent en moyenne Rs 100 000 par mois, les revenus dans le privé varient entre Rs 200 000 et «quelques millions». Bien entendu, cela dépend de la popularité du médecin ainsi que de sa spécialisation. Parmi les mieux lotis : les gynécologues et les chirurgiens orthopédiques.</p>
<h3>Horaires</h3>
<p> La journée normale pour un médecin du service public démarre à 9 heures et ne s’étend pas au-delà de 16 heurs. Alors que ceux qui exercent dans le privé n’ont pas d’horaires précis. Que ce soit en consultation privée ou en clinique, ceux-ci ne sont pas imposés. Certains, dont des gynécologues et des obstétriciens, peuvent, cependant, être appelés à n’importe quelle heure.</p>
<h3>Conditions de travail</h3>
<p>Les spécialistes du service public ont une sécurité d’emploi que les spécialistes du privé n’ont pas. De plus, les premiers cités ont droit aux «<em>local leaves</em><em>»</em><em>,</em> «<em>sick leaves»</em> et <em>«overseas leaves».</em> Dans le privé, néanmoins, comme les spécialistes travaillent à leur propre compte, ils peuvent, s’ils le veulent, prendre des congés à leur guise. Du moment que cela ne se fasse pas au détriment de ses patients.</p>
<h3>Fringe benefits</h3>
<p> Encore une fois, les spécialistes du service public sont mieux lotis. Des voitures hors taxes, le «<em>transport allowance</em>», des facilités pour des emprunts sont autant d’avantages auxquels ils ont droit. Mise à part leur allocation pour le transport, les spécialistes du privé, eux, n’y ont pas droit.</p>
<h3> Liberté professionnelle</h3>
<p> Les médecins du privé reconnaissent qu’ils jouissent d’une plus grande liberté quant au traitement de leurs patients. Ils ont accès à une plus grande gamme de médicaments, par exemple. Dans le public, cependant, les spécialistes ont affaire à une multitude de pathologies. Ils se disent aussi rassurés d’avoir des confrères avec qui discuter.</p>
Dr Bhooshun Ramtohul: «Nous avons proposé de démissionner en masse des hôpitaux»
Les médecins spécialistes se trouvent actuellement dans l’œil du cyclone. Votre sentiment.
Nous déplorons le fait que cela a été une décision unilatérale. Le ministère de la Santé a décidé seul. Le privilège, eu égard au double practice, a été accordé aux médecins en 1998 par l’ex-ministre Kishore Deerpalsing. La dernière fois que nous avons reçu la lettre nous autorisant à pratiquer dans le privé remonte à 2014. Depuis, plus rien. Le privilège était auparavant une procédure de routine, comme un pro forma. Malgré tout, nous continuons à exercer dans le privé. Car tant que ce n’est pas non, c’est oui !
Le ministre de la Santé a pourtant affirmé que les licences n’ont pas été renouvelées depuis 2013. Une décision prise par son prédécesseur…
Non. Je vous confirme qu’elle a été renouvelée pour l’année 2013. C’est une fausse déclaration du ministre de la Santé.
Les médecins spécialistes sont-ils intouchables ? Il y a avait une levée de boucliers en 2013 également, lorsque le ministère voulait introduire le «shift system».
Non, mais nous avons un contrat de travail avec le gouvernement. Nous travaillons selon des règlements bien établis.
Trois choix ont été proposés aux médecins spécialistes. Qu’en pensez-vous ?
On se demande pourquoi il a fallu engendrer cette polémique alors que tout marche bien. Le ministère avance qu’il y a des brebis galeuses dans la profession. Il y aurait, selon lui, des médecins spécialistes qui travailleraient dans le privé entre 9 heures et 16 heures alors qu’ils doivent être dans les hôpitaux. À la Government Medical Consultant in Charge Association, nous sommes les premiers à dire qu’il faut prendre des sanctions.
Le ministère de la Santé a tous les pouvoirs. Il peut créer un Regulatory Body pour s’assurer que les critères sont bien respectés : être dans les hôpitaux de 9 heures à 16 heures, ne pas exercer dans le privé lorsque le médecin est en casual leave ou local leave, ne pas voir le même patient à l’hôpital et dans le privé, etc. Ce sont des critères bien structurés que la majorité des spécialistes respectent. Il faut sanctionner ceux qui ne le font pas.
Ce n’est pas la première fois que le ministère de la Santé tente d’enlever la «double practice».
Ce privilège nous a été enlevé en 1993 par l’ancien ministre Prem Nababsing. Et il a été rétabli par Kishore Deerpalsing en 1998. Par la suite, de nombreux spécialistes ont quitté la fonction publique. Les patients qui proviennent des middle income groups, n’ont pas les moyens de se payer des soins dans des cliniques privées. Ce sont ces patients qui viennent à l’hôpital et ils ont le droit de pouvoir bénéficier de nos compétences. Nous sommes tous des patriotes. Nous avons aidé le gouvernement. Pourquoi lancer maintenant une polémique ?
Qu’est ce que tout cela implique pour les patients ?
Ils vont souffrir. Ils auront un choix restreint. La double practice permet un échange d’expertise entre le privé et le public. Nous, les chefs de service, apportons des propositions et des innovations aux hôpitaux. Et si ce n’est plus le cas, ce sont les patients qui paient les pots cassés.
Trois options s’offrent aux spécialistes. Soit ils restent dans le privé, soit ils restent dans le public ou alors ils font de la «private practice» dans les hôpitaux publics. La dernière est plutôt floue, non ?
Le modèle calqué sur celui des Français. Nous aimerions, nous aussi, obtenir plus d’éclaircissements car nous n’avons eu aucun détail à ce propos. J’ai toutefois posé la question à des collègues qui ont étudié en France et on présume qu’il s’agira d’une aile au niveau de l’hôpital avec des lits et toutes les infrastructures nécessaires et où les médecins seront rémunérés. Je n’en sais pas plus.
Les spécialistes sont mieux payés dans le privé. N’est-ce pas donc un choix facile ?
On ne peut pas généraliser. Ce sera un choix individuel, au cas par cas. Par contre, démissionner de la fonction publique ne sera pas chose facile étant donné toutes ces années qu’on y a passées. Cependant, lors de notre assemblée générale, nous avons proposé de démissionner en masse. Je parle là de la cinquantaine de consultants et chefs de service. Cela va créer un trou énorme.
Comment cette proposition a-t-elle accueillie ?
Ce sera un choix personnel fait par chaque médecin.
Le ministère de la Santé est d’avis que plusieurs spécialistes ne respectent pas les critères. Il y a également ceux qui pensent que les hôpitaux sont utilisés pour se faire une clientèle ou, à l’inverse, que les patients du privé sont conduits dans les hôpitaux. Info ou intox ?
Il ne faut jamais généraliser. Je ne suis pas d’accord ! S’il a les noms, pourquoi ne pas prendre des sanctions ? On tourne en rond.
Qu’attendez-vous de l’atelier de travail qui aura lieu le lundi 16 janvier ?
Nous savons rencontré jeudi matin le syndicaliste Rashid Imrith. L’atelier prévu demain ne concerne pas les relations entre l’employé et l’employeur. On ne pourra pas discuter des changements dans les conditions de travail au sein d’un forum où le public sera présent. Il faudra des séances de travail avec le ministère pour discuter calmement du sujet de discorde. Nous avons également l’intention de retenir les services d’un conseiller légal. Nous comptons en outre nous réunir en un front commun avec les médecins spécialistes et les cliniques privées pour contester toute décision qui nous déplairait.
Pour en revenir aux trois options citées plus haut, laquelle choisiriez-vous personnellement ?
When we will come to the bridge then we will cross it !
Sinon, vous faites également l’objet d’une enquête…
Selon le Private Health Institution Act, tous les médecins qui ont un cabinet à la maison et les pharmaciens ou encore les dentistes doivent avoir un permis du ministère de la Santé. Alors, pourquoi s’attaquer à moi uniquement ? Plusieurs médecins qui auscultent en privé font la même chose que moi, sans permis qui, contrairement à ce que dit la loi. Je paie mes impôts auprès de la Mauritius Revenue Authority, j’ai un Business Registration Number et je n’ai commis aucune fraude. Il s’agit plutôt d’une omission comme de nombreux médecins dans ma situation. Sauf que là, on ne s’attaque qu’à moi. C’est personnel et ce n’est pas juste.
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