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Me Raymond d’Unienville: «Que le Bar Council puisse faire son travail, soit s’occuper à part entière des affaires disciplinaires»

21 janvier 2017, 13:56

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Me Raymond d’Unienville: «Que le Bar Council puisse faire son travail, soit s’occuper à part entière des affaires disciplinaires»

Après 60 ans de barreau, Raymond d’Unienville, Queen’s Counsel (QC), tire sa révérence à la fin de janvier, soit à la fin de son mandat en tant que président du Bar Council. L’avocat estime que le conseil des avocats doit avoir davantage de pouvoir.

Votre mandat en tant que président du Bar Council arrive à terme, quel bilan faites-vous de votre passage au conseil des avocats ?

Le Bar Council a été très actif en termes d’activités sociales et professionnelles. J’ai présidé la réunion avec le commissaire de police où nous avons résolu, allons dire les malentendus qu’il y avait entre la police et nous. Soit des policiers qui ont exagéré, soit des avocats qui ont exagéré. Nous avons tiré tout cela au clair. Il y a eu une réunion mais plusieurs échanges de correspondance concernant les plaintes des avocats contre la police et certaines plaintes de la police contre des avocats.

Votre mandat arrive à terme le 27 janvier. What next ?

Je prends ma retraite. J’ai fait plus de soixante ans au barreau et ça suffit comme ça. Arrivé à un certain âge il faut commencer à se méfier de soi-même. La mémoire n’est plus aussi bonne. Donc, à ce moment-là, il y a des risques que je n’ai pas le droit de prendre vis-à-vis des clients. Vous avez commencé à perdre vos facultés, vous ne pouvez pas continuer, vous n’avez pas le droit de continuer. Donc j’arrête. C’est triste, mais nécessaire.

Et qu’allez faire de vos journées, à présent ?

À vrai dire, heureusement que j’ai des violons d’Ingres, principalement l’Histoire. Je suis membre de la société d’Histoire de l’île Maurice. Nous sommes en train de préparer, en ce moment, une seconde édition du Dictionnaire de biographie mauricienne où figurent tous les Mauriciens qui ont joué un rôle quelconque dans le pays. Nous sommes arrivés à trois mille pages. Il faut remettre de l’ordre dans tout cela. Et ça va prendre beaucoup de mon temps.

En 60 ans, comment le comportement des avocats a-t-il changé ?

Écoutez, il y a un changement majeur. Vous avez des seniors qui ont ouvert leur bureau aux jeunes et qui ont créé des bureaux de QC. Sir Hamid Moollan a été un des premiers et plusieurs autres l’ont suivi. De ce point de vue-là nous avons suivi la Grande-Bretagne. Et à travers ce système-là il y a des jeunes qui s’intègrent plus vite et plus rapidement. Mais en dehors de cela, vous savez, il y a un obstacle qui se présente : c’est le nombre. Comment voulez-vous que le président du Bar Council puisse connaître suffisamment sept cents membres en l’espace de quelque mois, quelques semaines… ce n’est pas possible. C’est une tâche trop grande, on ne peut pas tout faire. Il y en a beaucoup qui viennent me voir à titre personnel mais il y a encore des centaines que je ne connais pas.

Le nombre d’avocats n’est-il pas trop élevé ?

Je n’irais pas jusqu’à dire ça. Quand j’ai décidé d’aller étudier le droit, le directeur de l’instruction publique de l’époque m’a dit : «You are going to starve», parce qu’il y avait déjà cinquante avocats. J’ai persévéré et je n’ai pas «starve». Je ne regrette rien. À l’époque, les relations étaient très cordiales, par exemple entre le barreau et les avocats du Parquet, principalement Marc David, sir Maurice La Tour Adrien – je les fréquentais presque par intérêt. Parce qu’à chaque fois que j’avais un problème d’ordre légal, je discutais avec eux très facilement. Ce n’était pas moi uniquement, mais le jeune barreau avait un accès très facile au Parquet, qu’on appelle maintenant le State Law Office.

La relève au sein du Bar Council est-elle assurée ?

Ah, je le pense. Écoutez, sur sept cents membres, nous avons des candidats pour servir au Bar Council et il n’y a pas de raisons que ça ne marche pas. Tous les avocats, dès qu’ils ont entre cinq et dix ans de pratique, deviennent tout à fait capables de prendre des responsabilités à tous les niveaux.

Quel rôle le Bar Council sera-t-il appelé à jouer dans les années à venir ?

Le même que jusqu’à présent mais son rôle sera encore plus important. Avec le nombre d’avocats qu’il y a, la discipline, par rapport au juge, par exemple, est une chose. Une bonne relation entre le barreau et les juges est une chose qu’il faut surveiller de très près.

Qu’en est-il de la relation entre le Bar Council et la police ? Et celle entre le Bar Council et le judicaire ?

Il y a toujours eu des good working relationships avec la police même si on ne peut pas empêcher certains dérapages des deux côtés. Mais on a toujours essayé de trouver un terrain d’entente, de résoudre tout conflit de manière très amicale, très professionnelle. Nous n’avons jamais cassé les vitres, ce n’est pas dans nos habitudes. Les relations sont excellentes avec le judicaire, elles ont toujours été excellentes ; le chef juge et le président du Bar Council travaillent très souvent la main dans la main à chaque fois qu’il y a un problème important.

Comment se porte la profession aujourd’hui ?

Très bien. Nous sommes en train d’entrer en territoire inconnu, soit avec la présence, parmi nous, de firmes étrangères qui s’installent, avec des avocats anglais et sud-africains en particulier. Des avocats mauriciens travaillent avec ces firmes et il n’y a pas de raisons pour que ça ne porte pas ses fruits à l’avenir.

Des avocats seront appelés à témoigner devant la commission d’enquête sur la drogue. «L’express» en parlait la semaine dernière. Cela ne remet-il pas en question l’intégrité du métier d’avocat ?

Là, il faut faire très attention. Vous avez des brebis galeuses dans toutes les professions, malheureusement, et nous avons les nôtres. Mais il ne faut pas confondre les agissements d’un ou deux, qui peuvent être pervers, avec ceux des autres. On ne peut mettre tous les sept cent membres du barreau dans le même panier. Ce n’est pas juste. Je dois vous dire que ce que nous faisons au Bar Council, et ce que nous avons fait jusqu’ici, c’est observer la commission d’enquête de Monsieur Lam Shang Leen.

Nous observons attentivement ce qui se passe là-bas. Et jusqu’à présent on a parlé des avocats, mais ils n’ont pas encore déposé. Quand ils déposeront, ce sera extrêmement intéressant pour le Bar Council de voir ce qu’ils vont dire. D’abord, de quoi les accuse-t-on, et qu’est-ce qu’ils donnent en guise de réponse. On a beaucoup parlé de ces avocats-là et jusqu’à présent on ne les a pas entendus. Il faut commencer par les entendre et ce n’est qu’à ce moment-là qu’on pourra se faire une opinion.

Ne faut-il pas dans ces cas-là donner davantage de pouvoir au Bar Council, qui est perçu comme un bouledogue sans dents ?

En ce qui concerne le côté disciplinaire, il faut absolument augmenter les pouvoirs du Bar Council de manière à ce que ce soit lui-même qui décide s’il faut suspendre un avocat. Autrement, la Cour suprême pourrait être encombrée d’affaires, puisque nous sommes assez nombreux maintenant et qu’une affaire de ce genre se traite toujours avec des full bench et avec grand soin. Ce qui fait que ça peut prendre beaucoup de temps et il vaudrait mieux laisser le Bar Council s’occuper du côté disciplinaire avec, évidemment, un droit d’appel.

Que le Bar Council puisse faire son travail en tout et pour tout, c’est-à-dire s’occuper à part entière des affaires disciplinaires. Le Bar Council n’est certainement pas un bouledogue sans dents, c’est simplement qu’on n’est pas disposé à servir de nos dents à tort et à travers. D’abord il faut savoir qu’il y a une barrière dans la loi qui ne nous permet pas de nous occuper de certaines affaires disciplinaires, que nous sommes obligés d’en référer à la Cour suprême à travers l’Attorney General. Voilà pourquoi je dis que nous devrions en fait avoir le pouvoir d’aller jusqu’au bout ici-même avec simplement un droit d’appel en Cour suprême.

Le Prosecution Commission Bill a fait couler beaucoup d’encre ; le Bar Council a pris position contre ; le Parti mauricien social-démocrate a même démissionné du gouvernement. Quelle est votre position sur ce projet de loi, en tant que doyen des avocats ?

Je ne peux rien dire sur ce sujet, car je suis l’avocat du Directeur des poursuites publiques.

Quelles sont, selon vous, les failles du système judiciaire auxquelles il faudrait s’attaquer ?

Je n’en connais pas beaucoup. Au cours de ces soixante années au sein du système judicaire, je n’ai jamais vu de failles ou de manquements sérieux à la Cour suprême. Quelquefois, des juges tardent à rendre un jugement. À part ça, ce n’est pas véritablement une faille.

Que pensez-vous des examens du barreau jugés plus durs que ceux en Angleterre ?

Ce n’est pas vrai. Chaque pays à son standard lorsqu’il s’agit de préparer les papiers d’examens. Et il est nécessaire de garder un standard très haut parce que ceux qui accèdent à la profession d’avocat sont ceux qui vont servir le public. Donc on doit s’assurer que ce sont des candidats et éventuellement des avocats qui ont des aptitudes nécessaires pour leur permettre la pratique du barreau à Maurice. Donc il n’est pas vrai de dire que les examens sont «tricky». Les examens sont ce qu’ils sont et sont préparés avec beaucoup de soin. Il y a une chose qui mérite d’être signalée : c’est que nous avons du droit français en plus, ce n’est pas plus difficile que le droit anglais. Simplement les connaissances de l’avocat mauricien sont plus vastes que celles d’un avocat anglais parce qu’il chevauche deux systèmes.

Quels conseils donneriez-vous à vos confrères qui viennent de commencer dans la profession, et ceux qui y sont déjà ?

Ce n’est pas un conseil mais c’est un devoir. Il faut qu’ils connaissent leur code d’éthique. C’est un code très complet et ils y trouveront les solutions. Mais si l’avocat ne trouve pas de solutions ou estime que sa solution est douteuse, il peut s’adresser à un senior ou même à un juge pour demander un conseil ou une interprétation.

Il n’y a rien de plus important que la réputation et l’intégrité d’un avocat – on ne peut pas faire de compromis avec cela. Si un avocat a une réputation et une intégrité douteuses, il est perdu. Ça ne se refait pas, ces choses-là.

Quel est le procès qui vous a marquer le plus pendant vos 60 ans au barreau ?

Il y a un procès de ma jeunesse aux Assises. Il y a un gars qui était condamnable à mort, parce qu’il était accusé d’avoir tué un collègue à coup de couteau, lors d’une bagarre. Et j’ai réussi à persuader le jury qu’il n’y avait pas de préméditation. L’élément de préméditation étant écarté par le jury, la question de le condamner à mort ne s’est plus posée. J’ai pu recommencer à dormir…

Raymond d’Unienville, vous avez eu aussi une vie politique intense au sein du Parti mauricien social-démocrate de Jules Koenig et de sir Gaëtan Duval. Quel regard jetez-vous sur le PMSD aujourd’hui ?

Aucun regard parce que j’ai cessé toute politique depuis 1972. J’ai été le conseil légal du PMSD en 1965 quand il y a eu de grandes discussions à Londres sur la Constitution, avec mon ancien tuteur, c’est ça qui était intéressant. Mon ancien tuteur d’Oxford avait été retenu par le PMSD et lui et moi, nous avons travaillé ensemble. Donc j’ai été conseil légal jusqu’à ce que je cesse la politique et que je m’en éloigne. La politique soit on se jette dedans, on se bat à cent pourcent, soit on reste loin. Et personnellement, j’ai eu la chance d’être entouré d’avocats comme Jules Koeing, Gaëtan Duval et d’autres. Nous étions un groupe d’avocats, nous nous épaulions mutuellement dans toutes nos affaires. Ce n’était pas une diversion de la profession.

Le mot de la fin ?

Je prends ma retraite !