Publicité

Jayshan Keejoo: au nom du père

22 janvier 2017, 15:31

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Jayshan Keejoo: au nom du père

Jayshan Keejoo croyait pouvoir grandir en se la coulant douce. C’était compter sans son père qui lui a mené la vie dure. Un traitement qui lui a rendu service car il exerce aujourd’hui comme International Arbitrator et médiateur à Boston, États-Unis, et anime des formations professionnelles pour le compte de l’université de Harvard.

Très tôt dans la vie, ce quadragénaire, originaire de Curepipe, a pris une mauvaise pente. Il faisait régulièrement l’école buissonnière, faussait ses notes sur ses bulletins scolaires et se montrait fainéant. Son père Deoduth Keejoo, originaire de Surinam, entré comme caissier à la mairie de Curepipe pour en sortir à la retraite en tant que Chief Executive Officer, ne l’a pas entendu de cette oreille et l’a fait marcher à la baguette.

Jayshan n’a pas oublié le jour «où mon père m’a imposé une rédaction et que j’avais décidé de la faire à mon heure. Un matin, il est entré dans ma chambre à 5h30 alors que je dormais encore et m’a balancé un broc d’eau au visage en disant : 'Mwa mo amenn enn lavi dir, ek toi to pe ronflé!'» Il se souvient aussi du jour de son examen de fin d’études secondaires où son père l’a obligé à prendre l’autobus et à se rendre dans les champs familiaux pour superviser les travailleurs. «Il m’a récupéré à 11 heures et mon examen était à 13 heures. Il ne voulait pas que j’aie tout sur un plateau.»

Une fois qu’il obtient son Higher School Certificate, son père le dirige vers la filière  International Business Administration et du management en l’envoyant en Grande-Bretagne. Il est admis à l’université de Lincolnshire. Il étudie et travaille en même temps pour arrondir ses fins de mois. Jayshan obtient son Bachelor of Science  et regagne Maurice. Il rejoint l’épicerie familiale et travaille aux côtés de son père mais aussi dans des offshore management companies, tout en faisant des études à distance auprès de l’université de Leicester en vue d’obtenir un Masters in Business Administration. Il réussit avec brio.

«Mon postulat de thèse était de dire qu’on aura beau être le plus grand technicien ou scientifique, sans les bases et principes de qualité, on n’arrivera à rien.»

C’est à cette époque que le jeune homme prend conscience de l’importance d’un système de qualité dans n’importe quelle entreprise. Il continue à travailler avec de petites sociétés et les aide à mettre en place leur système de qualité. Au vu de sa spécialité, il anime aussi des cours à l’université de Technologie de Maurice (UTM).

Une participation à un concours en ligne organisé par l’université de Madison, aux États-Unis, lui permet d’obtenir une bourse auprès de cette université new-yorkaise et de faire son doctorat à distance. Sa thèse porte sur l’essence même du management. «Mon postulat de thèse était de dire qu’on aura beau être le plus grand technicien ou scientifique, sans les bases et principes de qualité, on n’arrivera à rien.»

Son doctorat obtenu, il continue à donner des cours à l’UTM, en anime d’autres à l’université de Maurice et part tous les deux à trois mois à Londres animer des cours dans certaines Business schools qui ont, à l’époque, poussé comme des champignons.

En devisant avec son père un soir, ce dernier, qui a toujours rêvé d’avoir un avocat dans la famille, lui propose de financer ses études de droit. Jayshan est certes motivé par les défis mais au fond, il veut surtout faire plaisir à son père qui insiste tant et si bien qu’il accepte. Il tente alors sa chance, toujours en prenant des cours à distance, cette fois auprès de l’université de Londres.

Si sa première année de LLB lui paraît facile – il est même premier pour Maurice dans une matière – il n’obtient pas la moyenne dans une autre matière en deuxième année. Son père l’envoie à Londres pour refaire sa dernière année qu’il réussit. Il passe aussi l’examen du barreau.

Embauché dans une compagnie juridique comme clerc, il y découvre la médiation et se passionne pour cet aspect du droit dont l’objectif est d’obtenir un accord acceptable aux deux parties en litige. Il se familiarise aussi avec l’arbitrage où la règle est qu’il faut un gagnant et un perdant. Il suit une formation de médiation commerciale et civile. Et lors de vacances aux États-Unis, il se fait remarquer par de grosses pointures de la Boston Management and Law Professionnals qui le sondent à propos d’une éventuelle migration aux États-Unis. Il se dit partant.

«S’il y avait un level-playing field, il n’y aurait pas eu un si grand exode des cerveaux mauriciens. Les jeunes ont un potentiel énorme mais tous les employeurs ne leur donnent pas la chance de briller.»

Quelques mois plus tard, il est invité par cette même firme à passer une épreuve et est mis en situation réelle d’arbitrage. Jayshan impressionne tant et plus que la firme lui propose un emploi comme Trainee Arbitrator. Il s’installe donc à Washington et suit un cours d’arbitrage et réussit l’examen y relatif, ce qui lui permet d’obtenir son adhésion à l’American Bar Association et à l’American Management Association. Toutes les cinq semaines, il est envoyé dans une ville américaine où son employeur a des filiales pour effectuer des médiations ou des arbitrages. Au bout de deux ans, la firme le retient à Boston.

Parmi les cas les plus importants que Jayshan ait arbitrés figurent un litige opposant un milliardaire indien au gouvernement de son pays. Une somme de 13 millions de dollars est en jeu. Jayshan réussit à trouver des failles dans le jugement initial et à obtenir un moratoire pour le client de la firme.

Le networking fonctionnant à plein régime aux États-Unis, il obtient une licence d’expert en Global Change de l’université de Harvard pour laquelle il agit comme consultant en animant des formations professionnelles en Change Management auprès d’entreprises spécifiques. Il vient récemment d’obtenir une licence en leadership auprès de l’université de Cornell.

Si Jayshan fraye dans de hautes sphères, l’idée de revenir à Maurice lui passe de temps à autre par la tête. Mais il se reprend aussitôt car il est conscient que tout y est «ethnicisé et politisé». «S’il y avait un level-playing field, il n’y aurait pas eu un si grand exode des cerveaux mauriciens. Les jeunes ont un potentiel énorme mais tous les employeurs ne leur donnent pas la chance de briller. L’ethnicité joue à plein régime.»

De plus, il pense que les dynasties politiques n’ont plus leur raison d’être. «La politique m’intéresse mais je n’accepte pas que l’on détaille mon pedigree ethnique avant de m’accepter dans un parti ou avant de me donner ma chance. Ce pays appartient aux jeunes et en particulier aux jeunes électeurs. Il faut en finir avec les dynasties politiques et avoir du sang neuf. Il faut se défaire de la médiocrité des leaders en place.»

Il aurait souhaité apporter son soutien à la jeunesse mauricienne car il est convaincu qu’elle a un potentiel énorme, surtout si on permet à cette jeunesse de s’exprimer. Valeur du jour, «peut-être que je retournerai à Maurice… à la retraite…»