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Gerald Lincoln: «La réussite économique du pays passe par son ouverture aux étrangers»
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Gerald Lincoln: «La réussite économique du pays passe par son ouverture aux étrangers»
La prise de fonction de Pravind Jugnauth au poste de Premier ministre entraîne une contestation. On note aussi une contestation à la prise de pouvoir de Donald Trump à la présidence américaine...
Ce n’est pas le même type de contestation. Aux États-Unis, c’est la personne de Donald Trump qui est contestée.
À Maurice, c’est le procédé menant à la passation du pouvoir entre sir Anerood Jugnauth et son fils qui est remis en cause. Il y a eu, certes, une manifestation de rue, mais c’est loin d’être une levée de boucliers généralisée contre la nomination de Jugnauth fils.
Personnellement, vous n’êtes pas choqué ?
Pas du tout. Car sir Anerood Jugnauth s’était déjà prononcé sur la question et avait déjà précisé son choix en s’appuyant sur certaines clauses juridiques. À partir de là, il ne devrait pas y avoir de «issue».
«La nomination de Pravind Jugnauth est venue apporter de la clarté à la situation politique.»
N’empêche que les opérateurs économiques peuvent s’interroger sur la pérennité de ce gouvernement confronté à sa première grande crise politique. Et se demander si l’incertitude perdurera ?
Au contraire, cette nomination est venue apporter de la clarté à la situation politique et, accessoirement, donner plus de visibilité économique au pays. Au moins, on sait maintenant qu’on a un Premier ministre qui sera en poste pendant les trois prochaines années.
Mieux : la continuité aux Finances est un réconfort. On peut penser que Pravind Jugnauth s’assurera de suivre et exécuter toutes les décisions prises dans son dernier exercice budgétaire. D’ailleurs, c’est la même équipe au Trésor public qui l’encadre dans la mission qu’il s’est donnée de porter la croissance à plus de 4 % en juin prochain.
Ne pensez-vous pas que la décision de Pravind Jugnauth de conserver le portefeuille des Finances est un mauvais signal envoyé aux opérateurs économiques qui s’attendaient à ce qu’il soit entièrement occupé par un ministre?
C’est, certes, un challenge. Cette double responsabilité relève d’une décision qu’il a dû murir avant d’accepter. Dans cette situation, tout dépend de son entourage, de ses conseillers et de ses cadres qui sont là pour s’assurer que la ligne directrice décidée par le ministre soit suivie dans les moindres détails.
«Il est clair que, si Pravind Jugnauth échoue, il ne pourra s’en prendre qu’à lui-même.»
Je suis néanmoins rassuré à l’idée que Pravind Jugnauth aille au bout de son raisonnement en restant concentré sur ses annonces pour redresser l’économie. Par ailleurs, être Premier ministre en endossant en même temps l’habit du ministre des Finances donne au fils de SAJ des pouvoirs étendus pour réussir dans sa mission.
Il est clair que, s’il échoue, il ne pourra s’en prendre qu’à lui-même. Il prend de gros risques, mais il a trois ans pour se prouver qu’il n’est pas seulement le fils de son père, qu’il a l’étoffe d’un Premier ministre et qu’en 2019 il pourrait se présenter de nouveau, cette fois comme leader et PM.
Certains spécialistes tablent sur une reprise économique en 2017. Or, la croissance reste molle, moins de 4 % alors que les économistes s’accordent à dire que le pays aurait besoin d’une croissance de 5 % à 6 % pour résorber le chômage et faire repartir la machinerie économique ?
La problématique de la croissance ne se résume pas à un chiffre absolu. Il faut relativiser et comparer ce qui est comparable. Le contexte économique est aujourd’hui difficile à l’échelle mondiale.
Déjà, certaines grosses puissances économiques en Afrique, comme l’Afrique du Sud et le Nigéria, souffrent d’une baisse de croissance pour des raisons diverses. L’Europe ne fait pas mieux.
Si, à Maurice, on réalise une croissance proche de 4 %, il ne faut pas désespérer. Évidemment, il faut s’employer à faire mieux car nous avons d’importants défis à relever, dont la courbe du chômage à inverser, plus particulièrement celui des jeunes.
Je persiste à croire que la réussite de notre économie passe par son ouverture aux étrangers. C’est la seule voie qui me paraît à la portée du pays pour doper la croissance.
Vous parlez d’ouverture du pays pour attirer des compétences étrangères ?
Tout à fait. Je sais qu’il y a une certaine ouverture. Mais ce n’est pas suffisant pour permettre au pays d’engranger quelques points de croissance.
Bien entendu, on ne parle d’ouverture à tous les étrangers. Je pense surtout à ceux qui peuvent contribuer à aider le pays à faire ce saut qualitatif dans certains secteurs qui requièrent nécessairement de l’expertise étrangère.
Je pense au secteur des services, notamment aux finances. En particulier dans des créneaux pointus comme la gestion de la trésorerie, la gestion de patrimoine, si on veut attirer des individus financièrement fortunés. Bref, à toutes les compétences nécessaires au positionnement de notre centre financier à l’échelle internationale.
«La problématique de la croissance ne se résume pas à un chiffre absolu.»
Est-ce que la décision gouvernementale autorisant les étrangers à acquérir des appartements s’inscrit dans cette logique ?
Dans une certaine mesure, oui. Mais cette décision est trop restrictive. Il faut donner le libre choix aux étrangers d’acheter n’importe quel type de résidence. Comme cela se fait à Cape Town, à Paris, à Singapour et ailleurs. C’est à ce prix qu’on va pouvoir attirer des étrangers.
Faut-il imposer une limite à la présence de ces étrangers quitte à ne pas mettre en danger l’équilibre social du pays?
Je note qu’environ 5 000 étrangers ont des permis de travail. C'est peu par rapport à d’autres pays comme Singapour ou Dubaï qui ont misé sur cette stratégie pour assurer le décollage de leur pays.
Nous avons la capacité d’accueillir 100 000 étrangers. Bien entendu, cela ne va pas se faire du jour au lendemain. Car il ne faut pas croire non plus que les étrangers font la queue pour venir à Maurice. Il y a d’autres pays qui sont agressifs dans leur stratégie de marketing pour attirer ces compétences étrangères. Il faut que Maurice s’y mette et se lance dans une campagne internationale.
«Nous avons la capacité d’accueillir 100 000 étrangers… mais il ne faut pas croire qu’ils font la queue pour venir à Maurice.»
Est-ce que nos infrastructures pourront soutenir la présence de 100 000 étrangers ?
En termes d’infrastructures, je ne crois pas que cela poserait des problèmes. Elles sont suffisamment développées, que ce soient en termes de shopping malls, de routes, de résidences de luxe ou d’autres services comme les soins de santé.
Par ailleurs, outre leurs compétences, ces étrangers ont un gros pouvoir d’achat susceptible d’induire une relance de la consommation. Sans compter d’autres effets multiplicateurs liés aux services de restauration, de voyages et de santé privée pour ne citer que quelques-uns.
«Ce qui se passe aux États-Unis est incontestablement un retour en arrière.»
Au niveau international, ce qui retient l’attention est la nouvelle orientation économique et commerciale des États-Unis sous l’administration Trump. Celle-ci privilégie le protectionnisme économique qui suscite déjà l’appréhension des pays émergents. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?
Ce qui se passe aux États-Unis est incontestablement un retour en arrière. Car il est difficile de suivre Donald Trump dans ses orientations économiques.
La décision de la nouvelle administration américaine de privilégier les accords de libre-échange au niveau bilatéral avec des pays de son choix est contraire au multilatéralisme défendu par l’Organisation mondiale du commerce qui prend en compte les intérêts économiques de tous les pays, peu importe leur taille.
Donald Trump doit savoir que l’économie mondiale est interconnectée et que le recours facile à un protectionnisme peut entraîner le ralentissement économique mondial.
Comment expliquez-vous que malgré les critiques de sa politique commerciale et économique, le marché réagit positivement à certaines de ses mesures ?
Il faut comprendre qu’avec le Brexit, l’Europe est fragilisée. Il y a des risques que d’autres pays de l’Union européenne emboîtent le pas au Royaume-Uni.
Parallèlement, il y a des incertitudes liées aux élections en France et en Allemagne. Résultat des courses : l’euro a plongé à son niveau le plus bas, ce qui, mécaniquement, profite au dollar américain. Reste à savoir si cette situation va perdurer. Entre-temps, on ne sait pas ce que nous réserve Donald Trump.
Il existe un débat actuellement à l’effet que le libéralisme économique a atteint ses limites. On l’a vu avec la crise financière de 2008, le Brexit, l’avènement de Donald Trump et peut-être avec Marine Le Pen en France. Êtes-vous de cet avis ?
Je ne crois pas que le libéralisme ait atteint ses limites. Tous les exemples cités ont un fil conducteur: c’est l’immigration, liée au terrorisme. Malheureusement, il y a un amalgame qui est fait entre les deux. Du coup, il y a réflexe de repli sur soi et de se protéger contre cette vague migratoire.
Je ne crois pas qu’il faille remettre en cause le libéralisme économique. Peut- être, faut-il l’humaniser.
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