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Marclaine Antoine: «Les grosses pointures, sé enn zar mafia»

28 février 2017, 17:41

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Marclaine Antoine: «Les grosses pointures, sé enn zar mafia»

Marclaine Antoine, musicien, arrangeur et ancien conseiller du ministre des Arts et de la culture, est en convalescence après avoir abandonné encore un orteil au diabète… Toutefois, son esprit critique est plus alerte que jamais. Distribution de claques garantie.

Le mot à la mode, c’est le boycott. Celui des célébrations du 12 mars. Êtes-vous pour ou contre ?

Les artistes sont devenus des pantins. Éna dé kouler lakord pé ris zot par deryer. Une rouge et l’autre bleue.

Ce sont des couleurs politiques ça ?

Natirelman. On assiste en ce moment à un jeu politique. On a un jeune gouvernement. Le ministre des Arts et de la culture n’est pas encore bien assis dans son fauteuil qu’il doit faire face à ces problèmes. Li pa koné kot pou dansé. Il a dit qu’il ne sait pas ce que les artistes veulent et en vérité, les artistes ne savent pas ce qu’ils veulent.

Le front commun des artistes a pourtant une liste de revendications… Comment tout cela a commencé ?

Stephan Rezannah, Percy Yip Tong et Bruno Raya sont des organisateurs, ce qu’on appelle des tourneurs. Tous les ans, ils ont au moins Rs 1,5 million pour monter un gros podium au Champ-de-Mars. Et vous savez qui sont les têtes d’affiche qui y participent…

Comment arrivez-vous au chiffre de Rs 1,5 million ?

Mo pa koné exaktéman. Zot pa pou dir. C’est mon estimation minimum. Quand ils ont abordé le nouveau gouvernement pour obtenir le contrat du 12 mars, les autorités n’ont pas accepté. Cela ne peut pas être la même chose à chaque fois. Sak zako protez so montagn. Quand cela pète à la gueule du gouvernement, li telman kouyon qu’il n’a pas pensé à quelque chose de très simple. Il n’a qu’à partager la somme qu’il donne habituellement aux grosses pointures pour le 12 mars entre les conseils de villages pour qu’ils organisent des fêtes dans leur localité. Cela aurait été plus national.

Quel public assiste à la grosse célébration après le lever du drapeau au Champ-de-Mars ? C’est le public portlouisien, quelques prolétaires sorti dan Barkly. Des gens qui viennent des Plaines-Wilhems. La nation toute entière ne profite pas de la fête de l’indépendance. Si on avait partagé la somme disons deux mois à l’avance, les gens auraient pu participer à la fête, sans avoir à se déplacer. Et l’argent public aurait été bien utilisé.

Revenons aux revendications. Vous dites que les artistes ne savent pas ce qu’ils veulent…

Ils demandent un stade musical. Cela va profiter à qui ? Aux tourneurs. Même pas aux artistes parce que ce ne sont pas eux qui organisent des concerts.

Vous dites que la fronde des artistes sert les intérêts d’un petit nombre…

Natirelman. Et les ficelles sont tirées par des agents politiques rouges et bleus (NdlR, Il cite des noms des deux bords). Ils cherchent un moyen pour boycotter la fête nationale et cela aura des répercussions internationales. On dira que Maurice est un pays où ce n’est pas le peuple tout entier qui participe à la fête de l’indépendance. Finn éna rouspétans. Les politiciens, kan pou dir finn éna rouspétans, ils ne vont pas dire que cela venait des artistes. Ils vont dire que c’est la majorité ou la moitié du peuple qui n’a pas participé à la fête.

Les petits artistes sont les dindons de la farce. Plusieurs sont venus me voir. Ils m’ont dit : «Si mo gagn Rs 70 000 pou al santé, eski mo alé ?»

Que leur avez-vous conseillé ?

Vous rendez-vous compte ? Enn artis zamé tinn pran li kont, enn sel kout li gagn Rs 70 000. Et il n’accepte pas ? Monn dir li alé mo nwar. Seulement, tu engages deux bouncers pour marcher derrière toi. Sakenn Rs 10 000. Parce que tu seras un casseur de grève. Si to pa pran sa larzanla, enn gro malin pou pran li pou twa.

Que faites-vous de la solidarité artistique ?

Quelle solidarité ? On sait que Zot Sa et Cassiya ont un clash. Enn lot finn met so kouyer ladan. Cest Alain Ramanisum qui a son petit studio. Chacun veut que son produit soit le meilleur, vann pli bokou, gagn kas. Cela fait longtemps qu’ils ne sont pas solidaires. Si les grosses pointures ne le sont pas, où est la place des artistes ki a pé lévé ?

Ce qui m’intrigue le plus, séki fer mwa sagrin, c’est que personne ne s’inquiète des artistes ki a pé lévé, à part moi. Eux aussi veulent exister, mais les grosses pointures accaparent tout. Elles ont leur studio, ont choisi leur style de musique. Sé enn zar mafia. C’est indéniable qu’il y a un clash extraordinaire entre le petit artiste et l’organisateur de concerts. Vous ne me ferez pas croire qu’un organisateur acceptera de toucher moins qu’un artiste.

Nous en étions aux revendications. Que trouvez-vous à redire ?

Les artistes doivent se mettre d’accord pour dire que faire de la musique, c’est un travail. Faire que la Sécurité sociale s’en mêle. Est-ce qu’un artiste touche une pension à l’âge de la retraite ?

«Il faut des revendications intelligentes et concrètes pour que l’artiste ait toute sa dignité. La mémoire de Ti Frer et de Michel Legris s’efface.»

L’ex-Mauritius Society of Authors (MASA) verse un petit quelque chose, n’est-ce pas ?

J’ai Rs 1 000 par mois. Les artistes doivent revendiquer une couverture sociale. Revendiquer un représentant dans l’Association des hôteliers et restaurateurs. Ils doivent réclamer l’effigie de Ti Frer sur un billet de banque. Il faut que Michel Legris figure sur un timbre-poste (NdlR, Ti Frer figure sur un timbre de Rs 5). Voilà les revendications que les artistes doivent faire. Pa get zot prop pos.

Ils réclament un National Arts Council…

Que ce soit un National Arts Council, l’ex-MASA ou le Centre culturel mauricien, tou sa la dan pos gouvernman sa. C’est lui qui tire les ficelles. Il faut revendiquer une école de formation professionnelle. D’ailleurs, c’est quoi être un professionnel ? Travailler dans un hôtel c’est être professionnel ?

C’est quoi votre définition du professionnel ?

Pour dire qu’on est professionnel, il faut sortir d’une école. Ce n’est pas juste se mettre derrière un micro et chanter. Ou pa enn politisien ou, pou vinn rakont bobar. Dans cette école, il devrait y avoir un comité de censure pour couper des mots que même mes oreilles ne peuvent pas entendre.

Les séga à double sens, c’était bon pour les vieilles popotes vicieuses. Zot ti kontan al dan piknik, lev zip an ler, mont bisiklet, roul sa may la, etc. Les gens qui acceptent cela sont des imbéciles. Ils ne se disent pas que leurs enfants aussi écoutent cela. Si un enfant demande à sa mère ki été dilo dir wi, est-ce que cette dernière pourra le lui expliquer ? É sa pé dir dan séga sa. On banalise la langue créole. C’est gens-là ont intérêt à se corriger avant de bat lestoma et de revendiquer quoi que ce soit.

Il faut des revendications intelligentes et concrètes pour que l’artiste ait toute sa dignité. La mémoire de Ti Frer et de Michel Legris s’efface. Personn pa pé pran zot kont. Une fois, j’étais invité dans une école. J’ai montré une ravanne aux élèves. Dessus, il y avait l’effigie de Ti Frer. Je leur ai demandé qui est ce personnage, zot tou dir mwa «Kaya». Dans une école de formation professionnelle, il faut enseigner l’histoire du séga.

Prenez mon cas. À La Réunion, on me considère comme un ethnomusicologue. Aux Seychelles, je suis considéré comme un griot. À Maurice, je suis considéré comme un nwar tcholo. Cela veut dire qu’il n’y a aucune institution pour reconnaître ma valeur. Si je vais à l’université de Maurice, est-ce qu’elle va me donner une formation de ségatier ? Quand un étranger me demande ce que je suis, je ne sais plus quoi lui dire. Pour en finir, je dis que je suis un griot. Un griot a plusieurs fonctions. Il est historien, guérisseur, compositeur.

Vous êtes guérisseur aussi ?

Oui.

Vous pratiquez toujours ?

Si le cas oblige, oui.

Maladies physiques ou mentales ?

Ninport.