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René Leclézio: «Si je croise un guitariste et un mendiant, je vais toujours donner au guitariste»

10 avril 2017, 13:55

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René Leclézio: «Si je croise un guitariste et un mendiant, je vais toujours donner au guitariste»

René Leclézio est membre du conseil d’administration de la Port Louis Development Initiative (PLDI). Ce regroupement du secteur privé, lancé la semaine dernière, veut donner un nouveau visage à la ville, en coordonnant les divers projets de développement. René Leclézio nous parle de l’Arts Centre – la salle de spectacle du Caudan – actuellement en construction et de ce qu’il préconise pour le théâtre de Port-Louis, fermé pour rénovation depuis 2008.

Pourquoi vous associer à la Port-Louis Development Initiative (PLDI) ?

Je travaille avec Gaëtan Siew (NdlR : président de la PLDI) de- puis quelques années déjà, sur la régénération de Port-Louis. Il y a eu un «urban decay» au fil des ans, principalement dû au fait que les choses ont été paralysées par une loi qui protégeait les locataires après le cyclone Carol. Le Landlord & Tenant Act arrive à échéance cette année.

Ensuite, la ville s’est vidée au fur et à mesure, sauf pour les banlieues. J’ai participé à un atelier de travail de Landscope Mauritius (NdlR : le vendredi 7 avril). Un urbaniste anglais a expliqué le «doughnut effect», quand les gens quittent les villes pour diverses raisons, avant de se rendre compte que les services du quotidien coûtent plus cher là où ils se sont installés. Il y a donc eu une re-migration en ville. Nous essayons de faire la même chose à Port-Louis.

Quel rôle pour les arts et la culture dans pareil contexte ?

C’est le moteur de l’emploi, principalement pour les femmes et les jeunes. L’Unesco a écrit un rapport (NdlR : René Leclézio nous montre une copie du Culture Urban Future Global Report). Récemment, une experte de l’Unesco est venue voir quoi faire pour les artistes (NdlR : Vesna Copic, experte déléguée dans le cadre de l’élaboration du Status of Artist Bill). L’une des mesures préconisées est de payer un salaire minimum aux artistes. Ils peuvent vivre en partie de leur art et arriver à boucler les fins de mois.

L’idée est d’avoir un campus à Port-Louis et de transformer des bâtiments en logements à prix abordables, pour attirer des jeunes dans la ville. La PLDI souhaite planter 10 000 arbres, un arbre pour un enfant, dans une boucle qui va de Chinatown au Caudan. Sur ce parcours, il faut refaire les trottoirs, revoir l’éclairage, renforcer la sécurité, pour encourager les citoyens à sortir de chez eux. Quand les citoyens recommencent à fréquenter la ville la nuit, on peut facilement agrandir la boucle du Caudan à Chinatown, en passant par la Citadelle, le Champ-de-Mars, Marie-Reine-de-La-Paix et les Casernes centrales.

C’est comme des fourmis qui vont sortir du trou pour être dans la lumière. Les gens qui marchent vont attirer des commerces, qui vont ouvrir la nuit. Rien ne peut battre des habitants qui reviennent au centre-ville. Cela viendra dans un deuxième temps, si on crée les conditions.

Pourquoi le Caudan croit-il dans le potentiel de la culture ?

C’est dans notre ADN. Peut- être que c’est moi, ce n’est pas le Caudan (sourire). Demain, quand je prendrai ma retraite, peut-être que c’est un comptable qui viendra. J’espère pas.

 

«Le gouvernement ne peut continuer à dire non à une industrie importante comme les arts.»

 

Pourquoi la culture est-elle aussi importante pour vous ?

Elle est importante dans mon quotidien et dans celui de beau- coup de gens. À la BBC, j’ai vu que l’extension de la galerie du Tate Modern a coûté une fortune. Un journaliste a demandé au responsable comment il justifiait autant de dépenses pour l’extension d’un truc un peu éphémère comme le Tate Modern, alors qu’il y a tant d’autres problèmes. Le responsable a dit : «Expose yourself to arts and see what happens.» Les gens ne le savent pas mais, déjà, avec les fresques de Porlwi by Light, cela a rendu la ville plus agréable.

L’Arts Centre du Caudan est en chantier. Pourquoi une salle de spectacle d’environ 400 places ?

C’est 417 places. Pas plus petit parce que c’est difficile à rentabiliser. Que ce soit 400 ou 200 places, c’est une centaine de hauts parleurs et de lumières. Il y a des frais fixes, peu importe la taille de la salle. Pourquoi pas plus de places ? On est limité par la grandeur du terrain. C’est prévu pour fin 2018.

La salle du Caudan arrive alors que le théâtre de Port-Louis est fermé depuis 2008. Comment imaginez-vous un futur où votre salle côtoiera le théâtre qui aura réouvert ?

On parle de Rs 400 millions pour rénover le théâtre de PortLouis. Il faudrait dépenser plusieurs millions pour préserver le bâtiment. Je suis allé voir le lord-maire. Je lui ai proposé de retaper le théâtre et d’en faire un lieu touristique. Par exemple : un musée du théâtre, avec entrée payante. En refaire un lieu de spectacle, cela va être bien difficile, c’est trop coûteux.

La troisième phase du Caudan est la phase culturelle de son développement ?

Les arts sont une extension naturelle du Caudan. Avant, c’était Rivaltz Mayer qui s’en occupait, aujourd’hui c’est Olivier Langevin, l’Events manager. On a toujours aidé les artistes. Nous ne sommes pas un centre commercial comme les autres ; il n’y a pas de supermarché. La compagnie a un comité des arts et de la culture géré par Géraldine Hennequin-Joulia. Il accompagne une vingtaine de jeunes de la région de Case-Noyale dans plusieurs domaines. On va bientôt étendre cela à Port-Louis. Nous allons aussi faire un recensement de tous les artistes de Maurice, dans tous les domaines.

Le ministère des Arts et de la culture est l’un de vos interlocuteurs.

J’ai rencontré le ministre Roopun. Il a été extrêmement réceptif à tout ce que nous faisons. Il a une sensibilité aux arts. C’est quelqu’un qui fait enfin une différence entre les arts et la culture et la religion.

J’ai remarqué dans la présentation de Landscope Mauritius sur Highlands, dans la section intégration sociale, que la vision de la culture, c’est principalement la religion.

Dans le tourisme aussi les choses sont appelées à changer. Avec tous les cancers de la peau à cause du soleil, on ne peut proposer seulement sea, sun and beach. Si le seul avenir des musiciens, c’est de gratter une guitare au Paradis (NdlR : l’hôtel) en chantant Bridge over troubled waters, c’est triste.

Que faire pour que la population fasse la distinction entre culture et religion ?

Il faut savoir si passer une heure avec Patrick Bruel n’est pas plus agréable que passer une heure à l’église (sourire). Je ne peux pas parler pour tout le monde, mais je crois qu’il n’y a pas photo.

Revenons au ministère des Arts et de la culture. Il a déjà un recensement des artistes. Vous avez abordé la question d’un partage éventuel de données ?

Avec le ministre, c’était une prise de contact quand il venait d’être nommé. Je me suis fait un devoir d’aller le voir et j’ai eu un très bon vibe avec lui. Il est posé, il écoute. Il y a beaucoup d’artistes qui sont un peu dégoûtés du ministère des Arts et de la culture.

Ils vous en parlent ?

Ah oui, par exemple des promesses de billets d’avion non tenues. La liste des griefs est longue. On connaît ça depuis 20 ans. On aide les artistes comme on peut. Ce qui me perturbe et qui est à la base de notre action : les Caraïbes ont produit tellement d’artistes internationaux et nous, rien. On ne sait pas pourquoi.

Vous avez bien une petite idée, n’est-ce pas ?

Il n’y a pas assez d’argent mis dans les arts et la culture. Ceci dit, un V.S Naipaul n’a pas besoin d’argent, il écrit. C’est un grand écrivain et Trinidad est une petite île. Il y a peut-être un brainwashing des parents qui veulent absolument que leurs enfants terminent leurs études pour avoir un job dans le gouvernement ou autre.

Vous voulez dire que l’État n’en fait pas assez ?

Je pense que l’État a fauté. Il ne se rend pas compte de l’importance des arts dans la croissance économique d’un pays. Un rap- port comme celui de l’Unesco montre clairement le potentiel. On accorde énormément d’importance aux diplômes universitaires, mais souvent ces diplômés ne reviennent pas au pays après leurs études.

Est-ce parce que l’État n’en fait pas assez que le secteur privé se regroupe au sein de la PLDI ?

La PLDI, ce n’est pas que les arts. Il y a tout à refaire à Port-Louis. L’âme est là, il faut faire mousser un peu. Mais on ne peut pas se substituer au gouvernement. On a parlé de cela mille fois au niveau du comité des arts.

On ne peut pas créer une école d’art. Financièrement, il y a des responsabilités envers les actionnaires. Ce n’est pas possible. Le gouvernement ne peut continuer à dire non à une industrie importante comme les arts.

Quand on a ouvert le Caudan, on a demandé à des artistes d’ouvrir leurs boîtes à guitare, pour animer les lieux, mais ils ont arrêté au bout d’un certain temps. Rivaltz Mayer avait posé des questions. Disons qu’Eric Triton est un jeune en train de gratter une guitare de blues au Caudan. La réaction a été : «Eric dan bez, li pe mandié.» Les gens n’ont pas vu cela comme un métier. Si je croise un guitariste et un mendiant, je vais toujours donner au guitariste.