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Jacqueline Sauzier : «Les échanges d’innovations bloqués par la méfiance entre agriculteurs»

24 avril 2017, 18:50

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Jacqueline Sauzier : «Les échanges d’innovations bloqués par la méfiance entre agriculteurs»

Du nouveau au sujet de la «Smart Agriculture» de la Chambre d’agriculture de Maurice. Ce projet, divisé en trois phases, en a achevé la première, le diagnostic. Il s’apprête à entamer sa deuxième phase. Jacqueline Sauzier nous en dit plus sur cette agriculture raisonnée.

Alors que le projet «Smart Agriculture» s’apprête à entamer sa deuxième phase, pouvez-vous nous en dire plus sur le diagnostic ? Quel constat avez-vous fait sur l’utilisation d’intrants chimiques chez les agriculteurs ?

L’enquête réalisée lors de la phase 1 a montré la très grande dépendance des producteurs aux pesticides pour lutter contre les bio-agresseurs de leur culture. Les agriculteurs peuvent effectuer jusqu’à 52 traitements (insecticides/fongicides) sur une parcelle, par an, selon la succession de cultures. Ces pratiques répétées et souvent préventives, dans 90 % des cas, conduisent de plus en plus à des impasses techniques de gestion de certains bio-agresseurs (produits retirés du marché, résistance des bio-agresseurs aux molécules actives, changement climatique, etc.). Ceci augmente les craintes des agriculteurs vis-à-vis des perspectives pour leurs coûts de production.

De manière générale, les agriculteurs sont conscients des impacts des pesticides sur la santé et l’environnement. Se sentant concernés, ils souhaitent changer leurs pratiques, mais doivent évoluer dans un monde agricole qui prône majoritairement un conseil très prescriptif, qui limite l’indépendance des agriculteurs vis-à-vis des produits phytosanitaires.

D’ailleurs, les producteurs s’approprient encore mal les techniques alternatives existantes à Maurice et vulgarisées. La collaboration semble difficile car une méfiance entre agriculteurs existe, engendrée le plus souvent par la peur de la compétitivité. Les échanges d’innovations se trouvent ainsi bloqués. Pourtant, face aux contraintes auxquelles doivent faire face les agriculteurs, l’implication des producteurs semble primordiale car ils ont exprimé, à 89 %, le besoin de changer l’agriculture. Mais ils ont stipulé la nécessité de plus de formation (53 %), de suivi (17 %) et d’exemple (27 %) pour changer leurs pratiques actuelles. Ils veulent produire différemment mais ne savent pas comment faire différemment. À ceci s’ajoutent une formation parfois faible et des connaissances agricoles souvent héritées de leurs aïeuls. Les détails de l’enquête ont été publiés dans un rapport nommé : Les pratiques phytosanitaires des producteurs de légumes à Maurice, disponible auprès de la Chambre d’agriculture.

Qu’en est-il de la deuxième phase ?

La phase 2 de Smart Agriculture consiste en un changement de l’accompagnement technique des agriculteurs en créant des réseaux composés d’une dizaine de producteurs. Concrètement, deux réseaux composent ce projet. L’un constitué de petits planteurs basés à la Laura et un second composé de membres de la Chambre d’agriculture. Le but est de changer les pratiques et de créer des innovations adaptées à différents contextes et enjeux de production.

La méthode d’encadrement employée se rapproche de celle des fermes de type Dephy qui sont mises en place en France. Chaque réseau est géré par une personne, appelée Ingénieur Réseau, qui se charge d’animer le groupe d’agriculteurs. Là où, habituellement, on applique un conseil du haut vers le bas, nous chercherons à favoriser une approche collective et participative de recherche de solutions aux problématiques rencontrées au travers de formation, de documentation et de partage avec différents acteurs.

Le projet compte également la participation du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), de La Réunion. Quel est son apport.

Le CIRAD est impliqué depuis la première phase en tant que soutien technique à la mise en place des méthodes, le suivi de leur mise en œuvre et l’analyse des résultats. Pour la deuxième phase, le CIRAD reste également un partenaire technique sur la reconception de systèmes de production et les techniques agricoles innovatrices particulières, mais aussi sur la connaissance de certains éléments qui concernent la gestion des bio-agresseurs. Par ailleurs, le Food Agricultural Research and Extension Institute est également notre partenaire. Cette collaboration est en droite ligne avec les attentes d’une collaboration public-privé au bénéfice de la communauté des planteurs. Ces différents partenariats sont également essentiels pour promouvoir les échanges entre les pays de la région qui travaillent souvent dans des conditions climatiques similaires et ayant les mêmes enjeux économiques.

Le secteur agricole n’attire pas forcément beaucoup d’investissements et trouver les fonds reste parfois difficile pour des projets de longue haleine. Qu’en est-il du financement du projet ?

Le projet a un budget total avoisinant les 18 millions de roupies sur une période de trois ans. Une partie du financement est déjà assurée. La difficulté de trouver les fonds ne se situe pas dans la motivation des acteurs à s’impliquer, mais plutôt dans la disponibilité des fonds de ces acteurs pour notre domaine d’action.

Quels sont les défis qu’il reste à surmonter ?

La Smart Agriculture ne sera possible que grâce à une motivation propre de ses participants à changer leurs pratiques agricoles. Leur réticence vient souvent du manque d’accès à l’information et d’un manque d’accompagnement sur le terrain. C’est pour cela que le projet a pour objectif de mettre en confiance les agriculteurs participants, en leur assurant un soutien technique tout en les laissant décider des pratiques qui seront mises en place. Ensuite, il faudra espérer que durant les trois ans, il n’y ait pas de trop forts épisodes climatiques de type cyclonique qui pourraient perturber les avancées effectuées.

 

En quelques mots

<p>Lancé en 2016, le projet &laquo;<em>Smart Agriculture</em>&raquo; ou &laquo;<em>agriculture raisonnée</em>&raquo; est une initiative qui vise à rendre la culture agricole plus durable en réduisant et maîtrisant l&rsquo;utilisation d&rsquo;intrants chimiques tels que les pesticides et les fertilisants. Ce projet a également pour objectif d&rsquo;arriver à une meilleure optimisation de l&rsquo;utilisation des ressources naturelles telles que l&rsquo;eau dans la culture vivrière. Étalé sur dix ans, il est divisé en trois phases : le diagnostic, le changement de techniques de production auprès d&rsquo;agriculteurs identifiés sur une base pilote et la dissémination des connaissances acquises à grande échelle. Selon Jacqueline Sauzier, la période de dix ans est estimée pour la <em>&laquo;mise en place des jalons de législation, formation, certification et commercialisation pour assurer l&rsquo;accessibilité à des techniques de production durables à l&rsquo;ensemble de la communauté agricole&raquo;.</em></p>

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