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Fête du travail: ils ne rendront pas les armes

1 mai 2017, 22:51

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Fête du travail: ils ne rendront pas les armes

Cordonnier, dhobi, coupeur de cannes… Autant de professions qui se font de plus en plus rares avec le développement de la société. En cette journée internationale des travailleurs, zoom sur quelques métiers qui, tant bien que mal, font de la résistance...

Wazeer Allubocus, cordonnier bien chaussé

Casé dans un petit atelier, à la rue Virgile Naz, à Port-Louis, Wazeer Allybocus résiste à la mondialisation. Ce jeune homme de 23 ans a repris la cordonnerie de son père, il y a sept ans. Depuis, il est l’exemple vivant que les petits métiers sont loin d’être en voie de disparition. 

Aucune enseigne à l’extérieur. Mais le parfum du cuir mélangé à celui du caoutchouc chauffé, du cirage et une pointe de colle ne trompe pas. Nous sommes bien chez un cordonnier. Dans l’atelier de Wazeer Allybocus, il fait assez sombre. Par endroits, on voit les murs à travers les étagères. Ils sont noircis par le temps, la poussière et par les divers produits utilisés pour traiter le cuir. Sur les étagères, des chaussures à n’en plus finir. Sports, à talons, classiques, pour hommes, pour dames, pour enfants, cassées, réparées, chics, funky. De marque, pour certaines : française, italienne… 

Les réseaux sociaux

Wazeer Allybocus est installé derrière une petite table, elle aussi recouverte de semelles et autres chaussures en état de souffrance. À portée de main, pinceaux, colle, fils, brosses, chiffons et aiguilles. La seule touche de modernité dans l’espace est un appareil accroché au mur. «C’est pour polir les semelles», explique le jeune homme. 

«Les gens peuvent penser que j’ai récupéré les clients de mon père et que je vais devoir mettre la clé sous le paillasson avec leur disparition. Mais il n’en est rien», affirme Wazeer Allybocus. Il est vrai que la fidèle clientèle de son père est toujours là. Mais elle s’est aussi rajeunie et développée. «La cordonnerie est un art et les personnes de tout âge aiment l’art. Puis, tout le monde porte des chaussures», dit-il en riant. 

L’expansion de l’affaire s’est faite petit à petit. Grâce aux réseaux sociaux notamment, à travers lesquels Wazeer a commencé à toucher à un plus grand nombre de personnes. Il a créé la page Facebook de son atelier et y présente son travail à travers des photos et vidéos. Il a même une carte de visite qu’il distribue. Le jeune a fait tout ce qui était nécessaire pour transformer son atelier en entreprise, qu’il gère seul pour le moment.

Reprendre le flambeau 

«Je n’ai suivi aucun cours. Depuis que je suis en cinquième, j’aide mon père dans l’atelier, ce qui m’a permis d’en comprendre les rouages. C’est un peu naturellement que j’ai repris le flambeau», explique-t-il. 

Pendant ses années d’apprentissage, il a développé plein de techniques pour que le travail soit impeccable. Il ne laisse pas de traces en colmatant les trous. Les semelles, en bois ou en caoutchouc, sont remises à neuf. Le corps de la chaussure est aussi remis en état. 

Mais ce n’est pas toujours simple. Wazeer révèle que de temps en temps, il tombe sur un nouveau modèle assemblé différemment. Et doit, à ce moment-là, chercher comment avoir un travail parfait. 

Spécialiste de  la Maroquinerie 

Avec le temps, la dextérité de ses doigts s’est développée et il s’est spécialisé dans la maroquinerie, la sellerie et la réparation des valises. Le jeune homme avance qu’il reçoit aussi plusieurs commandes pour fabriquer des chaussures. «Ce n’est pas l’envie qui me manque, mais le temps.» Ses journées commencent et finissent avec des réparations. Plus d’une cinquantaine par jour. De ce fait, il n’a pas le temps pour donner libre cours à sa créativité. Mais il ne perd pas espoir de pouvoir se lancer un jour. 

Avec l’ouverture de magasins offrant des chaussures à pas cher, comment Wazeer Allybocus voit-il son avenir ? Sur place jusqu’à la retraite, répond-il sans détour. Du haut de ses 23 ans et ses 14 ans d’expérience, il est persuadé que la cordonnerie ne va pas disparaître, malgré la mondialisation. «Vous savez, il y a des gens qui achètent une paire de chaussures à Rs 4 000 ou  Rs 5 000. Ils ne vont pas la jeter lorsque  la semelle est usée !» 

Et pour finir, est ce que Wazeer Allybocus est le plus mal chaussé ? «Non, je ne peux pas me le permettre, de toute façon.»

Musicien de rue  : la peur du qu’en dira-t-on

Triste constat pour Futta Vayoud, 63 ans. Cela fait trois ans que cet habitant de Terre-Rouge joue de la musique dans la rue. Et, dit-il, ce métier se fait de plus en plus rare. «Les jeunes ont peur de ce que penseront les autres…» 
D’avouer que lui aussi était hésitant au départ. «Au fil du temps, cela a changé.»
Pourquoi éprouver de la honte, se demande-t-il. «C’est un travail honnête.» 

Futta Vayoud joue de plusieurs instruments à la fois. Notamment la flute de pan, le tambour chamane, la tambourine ainsi que des instruments qu’il fabrique lui-même. Une question monsieur l’artiste : la musique, vous vous y êtes mis comment ? Au début, c’était juste par plaisir. Il a appris la flute à pan auprès du musicien et chanteur Claudio Cassimally. «Li’nn anseign mwa la baz apré mo’nn dévlop li par momem.» 

Mais Futta Vayoud n’a pas toujours fait ce métier. Pendant 32 ans, il a exercé comme helper dans une usine de beurre. Avant de prendre sa retraite, il a également travaillé comme agent de sécurité. 

Le sexagénaire dit avoir un caractère assez particulier. C’est sa passion pour la musique qui l’a toujours poussé à éviter toute négativité. « Dan lézot travay éna boukou palab. Mé kan ou fer lamizik, éna zis ou ek ou bann linstriman. Palab ki zot fer, fer tou dimounn zot zorey kontan.» Raison pour laquelle il ne compte pas déposer les… instruments. Du moins, jusqu’à ce que la vie en décide autrement.

Charpentier de marine : de père en fils

Son métier, il l’apprend toujours de son père, Ti-Zean, comme ils le connaissent tous à Sin Fat, Grand-Gaube. Jean-Claude Cangy est charpentier de marine. C’est Jean Cangy, âgé de 60 ans, qui a débuté ce métier alors qu’il n’en avait que 15. Depuis quelques années, c’est son fils qui prend la relève. Nous avons rencontré ce dernier dans Latélier Ti-Zean à Sin Fat, où les belles coques encore à l’état brut font déjà rêver. 

Cela fait 20 ans depuis que Jean-Claude exerce en compagnie de son père. Sa plus belle réussite a été la construction d’un catamaran en bois qui est aujourd’hui amarré à Trou-d’Eau-Douce. Jean-Claude nous confie qu’il construit des bateaux en bois et matériaux associés ainsi qu’en fibre de verre. Il peut également les réparer. Son travail consiste à tracer, découper, border et forger. Il assemble ainsi le «squelette» de la coque, fixe les parois et s’occupe aussi de l’intérieur. 

Pour construire un bateau en bois, le charpentier de marine utilise le bois du jaquier. Auparavant, il construisait à peu près deux, voire trois, bateaux par mois. Mais aujourd’hui, comme cet arbre se fait rare, cela arrive qu’il n’en construise que trois par an. «Pié zak pe disparet aster, népli trouvé mem. Dimounn pé fer plis bann bato an fib ek bizin bat lot plas kan péna bato pou fer», déplore-t-il.

 

Coupeur de cannes : «tablisman népli pran dimounn akoz bann masinn»

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	<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="450" src="/sites/lexpress/files/images/4_39.jpg" width="620" />
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<p>Vingt-huit ans déjà que Sooryadeo Doorgah est coupeur de cannes. Et à 53 ans, l&rsquo;habitant de Petit-Raffray est réaliste. Ce métier va disparaître &laquo;akoz bann masinn-la&raquo;.&nbsp;</p>

<p><em>&laquo;Quand je venais de débuter, le travail se faisait autrement. Nous avions beaucoup plus à faire et cela demandait énormément d&rsquo;efforts&raquo;</em>, raconte cet employé d&rsquo;un établissement sucrier dans le nord, à St Antoine . Avant, il fallait <em>&laquo;tir bann ros nou mem, met pestisid, répar bann klwazon, koup kann, ramas li, anbarké. Nou ti bizin mars boukou distans pou fer tousala, alé-vini enn lazourné&raquo;.&nbsp;</em></p>

<p>Mais avec la mécanisation grandissante du secteur sucrier, les laboureurs ne font presque plus ces tâches. D&rsquo;où les heures de travail écourtées. Sooryadeo Doorgah doit être dans les champs à 6 h 30. Le travail prend fin à 11 h 30. <em>&laquo;Avan, nou ti bizin terminn nou kota pou ki nou al lakaz. Parfois c&rsquo;est à 15 heures qu&rsquo;on quittait les champs de canne.&raquo;&nbsp;</em></p>

<p>Quand il a débuté dans ce domaine, en 1990, ils étaient à 400 employés. Ils ne sont plus que 13 aujourd&rsquo;hui, le dernier groupe ayant pris leur retraite volontairement (Voluntary Retirement Scheme) en 2001. Ils n&rsquo;ont pas été remplacés. <em>&laquo;Tablisman népli pran dimounn akoz bann masinn.&raquo;&nbsp;</em></p>

<p>La récolte dure six mois. Elle débute vers le mois de juin ou juillet et s&rsquo;arrête quelques semaines avant le 31 décembre. Quand ce n&rsquo;est pas la saison, Sooryadeo Doorgah travaille quand même dans les champs. Il y asperge les herbicides, s&rsquo;occupe du sol et des plants de canne à sucre.&nbsp;</p>

<p>Le quinquagénaire dit avoir de la chance ; jusqu&rsquo;à présent, il y a encore des endroits où les machines ne peuvent entrer. Au cas contraire, il n&rsquo;y aurait plus eu besoin de laboureurs.&nbsp;</p>

<p><em>&laquo;Mo&rsquo;nn abitié ek sa travay-la&raquo;</em>, confie Sooryadeo Doorgah. Raison pour laquelle il<em> &laquo;luttera jusqu&rsquo;au bout&raquo; </em>pour conserver son emploi. Car, lui, ce qu&rsquo;il aime, c&rsquo;est travailler la terre.</p>