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À la croisée des Chemins – Babita Thannoo: «Pour un système axé sur le développement optimal de l’élève»

2 mai 2017, 15:25

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À la croisée des Chemins – Babita Thannoo: «Pour un système axé sur le développement optimal de l’élève»

Responsable du Foundation Course dans une institution privée de l’éducation supérieure, Babita Thannoo affirme que plusieurs élèves de l’école publique ne peuvent faire des analyses réfléchies et raisonnées.

Quels sont les manquements que vous relevez chez les étudiant(e)s qui s’inscrivent auprès des universités ?

De nombreux élèves issus de l’école publique mauricienne éprouvent des difficultés à faire des analyses basées sur la réflexion et la raison, car l’enseignement de certaines matières à l’école les conditionne à ‘capter’ des informations ou à apprendre par coeur. Les droits de l’enfant pour une éducation saine sont souvent bafoués par un système, qui n’est pas centré sur l’importance du jeu au niveau préscolaire, qui impose des examens de Cambridge, aujourd’hui dépassés. De nos jours, on ne peut ignorer toute la recherche sur les méfaits des examens à un très jeune âge. On ne peut non plus négliger la recherche sur un système axé entièrement sur le développement optimal de l’enfant, qui a fait ses preuves en Finlande. De nombreux enseignants ne comprennent pas l’autisme et la dyslexie parmi tant de difficultés d’apprentissage et ils n’ont donc pas les moyens d’aider l’enfant en difficulté. C’est un drame social. Issus de ce contexte malsain, les élèves, qui mettent les pieds à l’université, peinent à avoir confiance en eux, à travailler de façon autonome, à planifier leur temps. Le système éducatif demeure discriminatoire, car bien que certains sortent du lot, on constate que beaucoup d’étudiants arrivent avec un handicap : on n’a pas forgé leur caractère, leur indépendance, leur connaissance de soi. Certains n’ont même jamais été suivis psychologiquement après des traumatismes subis lorsqu’ils étaient très jeunes. La société se rattache toujours à un système éducatif qui ne permet pas l’épanouissement de l’enfant. J’accuse ici nos décideurs politiques, qui ne nous écoutent pas. On nous vend un nouveau système qu’on appelle le Nine-Year Schooling et on entoure ce projet de belles paroles !

Vous enseignez l’Advertising, Public Relations & Media. Quelles sont les nouvelles formes d’illettrisme à l’ère de Google ?

En tant que chargée de cours d’un module axé sur les campagnes de résistance à travers le monde et l’étude philosophique du pouvoir, je peux affirmer que la nouvelle génération, extrêmement dépendante de Google, a besoin d’être guidée vers l’information fiable et critique. Notre devoir en tant qu’éducateur est précisément de former nos enfants à gérer le monde de l’information et à filtrer ce qui peut être fiable. Et ce n’est pas évident ! Par exemple, les médias sociaux ont créé un nouvel espace où les jeunes peuvent prendre la parole et réagir à ce qui se passe autour d’eux. Néanmoins, ces médias sociaux reflètent aussi le nivellement de la pensée par le bas, car on y trouve une pléiade d’actes criminels comme l’expression du racisme.

Pour revenir à votre question, l’illettrisme actuel ne peut être attribué qu’au jeune universitaire qui absorbe souvent, telle une éponge, tout ce qui est publié sur sa page Facebook. L’illettrisme est le résultat délibéré d’un système de pouvoir, qui utilise la propagande à l’outrance. Pour citer Michael Moore, «toute l’humanité vit dans un univers de fiction». Nos élèves sont ancrés dans cette conjoncture de désinformation. Donc, c’est à nous de travailler à contre-courant, de promouvoir l’esprit critique. Notre survie en tant que critique et enseignant en dépend.

«L’université est devenue l’académie du néolibéralisme.»

Que pensez-vous du constat que l’éducation supérieure devient de plus en plus mercantile ?

L’université est devenue l’académie du néolibéralisme car elle prône les valeurs mercantiles du capitalisme à outrance à grande échelle. L’université se compose de plusieurs hiérarchies de pouvoir puisque les compagnies privées y projettent leurs tentacules et, par conséquent, les facultés sont soumises à un régime de rentabilité. Le savoir est à vendre, une commodité de plus pour enrichir les privilégiés du système de classe. J’ai vécu ce processus à l’étranger, où le chargé de cours fait face à la déprofessionnalisation de son domaine. Sa productivité est sous surveillance car il faut rapporter gros. En outre, la compétition académique devient féroce. Il faut produire les articles, les livres et les conférences et créer une image pour assurer son emploi et sa survie. On assiste même au vol systématique et sans scrupule de la recherche des autres. Le savoir peut être marchandé avec une valeur basée seulement sur l’apparence. Ainsi, le jeune universitaire se retrouve dans un monde de compétition sans pitié. J’ai vu à l’étranger le détenteur d’un doctorat réduit à travailler comme assistant libraire alors que les universités ferment carrément les facultés dites peu profitables comme celle des sciences humaines. Ironiquement, quand ces mêmes universités s’implantent ailleurs, ce même jeune peut se voir attribuer des responsabilités énormes car il faut produire à tout bout de champ malgré les obstacles. On parle même de ‘l’université creuse’, puisque le profit prime sur la qualité. L’étudiant est le client et non l’être que l’on doit guider pour son épanouissement. Dans ce contexte, les universitaires doivent se battre pour permettre à la liberté de pensée de survivre dans un monde outrageusement mercantile.

Alors que la démocratie est en crise un peu partout dans le monde, quel type de citoyen l’école devrait-elle former ?

On vit dans la crise aux niveaux politique et social. On devrait former un citoyen qui réfléchit, qui est prêt à assumer ses droits et ses responsabilités. Ironiquement, malgré ses défaillances, l’école mauricienne a donné naissance à des gens qui n’empruntent pas les chemins battus et qui se dévouent corps et âme à leur combat contre l’oppression. Dans un contexte idéal, l’école devrait former des gens qui pourraient prendre le gouvernail de notre société malade, des citoyens prêts à se battre pour une société plus juste, plus égale. Malheureusement, le néolibéralisme veut que l’on forme des employés qui ne remettront pas en question la hiérarchie du pouvoir. Ceux-là se laissent faire car, coincés dans l’engrenage du système, ils pensent qu’il n’y a pas d’autre moyen pour survivre. Ainsi, on perpétue l’abject, l’inacceptable. On ferme les yeux et on prétend ne rien voir. À l’école, la promotion de l’esprit critique est aussi importante que celle des valeurs de l’empathie et de la justice.