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Teeluck Bhuwanee: «Le Nine-Year Schooling ne change rien fondamentalement !»
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Teeluck Bhuwanee: «Le Nine-Year Schooling ne change rien fondamentalement !»
Consultant à l’UNESCO, ancien Registrar de l’université de Technologie et ancien assistant directeur au ministère de l’Éducation, Teeluck Bhuwanee affirme que rien ne change fondamentalement avec le Nine-Year Schooling car il y a une absence de vision et un manque de conviction et de discernement.
Que pensez-vous de l’introduction et de l’application du Nine-Year Schooling ?
Je tiens à féliciter la ministre de l’Education d’avoir réussi à mettre en oeuvre le Nine-Year Schooling alors que ses prédécesseurs ont échoué. C’est un coup de maître politique, mais un gâchis éducatif. Elle avait une occasion historique de transformer le paysage éducatif du pays, mais elle n’a réussi qu’à pervertir le système davantage. Il y a certes un petit changement structurel et les secondary schools in greatest demand (institutions secondaires d’élite) admettront maintenant ceux ayant obtenu les meilleurs résultats aux examens de grade 9. À la différence de ses prédécesseurs, la ministre a cédé au lobbying de la plus puissante fédération des enseignants.
À part le remplacement du Certificate of Primary Education (CPE) par le Private School Achievement Certificate (PSAC), vous affirmez que rien ne change fondamentalement, car les critères pour l’admission des élèves en Grade 7 sont les mêmes ?
C’est exactement le cas : si le PSAC remplace le CPE, les critères d’admission pour les élèves au niveau secondaire restent les mêmes, c’est-à-dire le choix des parents, le grade final obtenu au PSAC ou la proximité du domicile par rapport à l’institution secondaire. Les quatre zones régionales de l’éducation sont maintenues. On a raté l’occasion de rationaliser ces zones. Par exemple, j’habite Beau-Bassin et ma zone s’étend jusqu’à Camp-de-Masque- Pavé et Sébastopol ! C’est cela, la régionalisation ? J’affirme qu’il n’y aura que très peu de changements, sauf que les garçons et les filles ne seront pas admis dans les collèges nationaux, les soi-disant écoles d’élite. Ceux qui échouent au PSAC (CPE) entreront en Grade 7, puis iront en Grade 8, ensuite en Grade 9 et éventuellement abandonneront l’école. Actuellement, 25 % abandonnent après avoir terminé les classes pré-professionnelles parce que la pression pour accéder aux meilleures écoles de la région est toujours présente.
Et les examens ?
Ils s’étaleront sur deux examens au lieu d’un (PSAC et National Certificate of Education) et les leçons particulières ne disparaîtront pas. Le stress pour se faire admettre dans les meilleures écoles (les académies) s’accentuera. À une époque où nous avons un grand besoin de techniciens les mieux formés et les plus talentueux pour prendre en main le métro express, le hub océanique, la technologie verte et d’autres développements infrastructurels majeurs, les élèves qui seront admis dans les écoles techniques seront ceux qui auront échoué à se faire admettre dans les académies ou dans les institutions régionales. L’enseignement technique, la formation professionnelle (EFTP) et le développement des compétences sont une fois de plus perçus comme le dernier recours. Nous continuerons donc à manquer de techniciens compétents. Par ailleurs, l’application du Nine-Year Schooling dépendra désormais du Mauritius Institute of Education, du Mauritius Examinations Syndicate et du ministère de l’Éducation, même pas des directeurs de zones régionales et sera gérée par les hauts cadres encore plus éloignés du terrain. Et sans l’engagement des parents et des enseignants. L’accent est de nouveau mis sur ce qu’il faut faire et non pas sur la manière de le faire. C’est pourquoi je maintiens que, fondamentalement, rien ne change.
Si rien ne change, selon vous, c’est à cause de l’absence d’une vision…
Il s’agit non seulement d’une absence de vision mais aussi d’un manque de conviction de la part de ceux qui ont initié le changement, ainsi que de discernement par rapport à la dynamique du changement. Tous les gourous du changement vous diront que sa gestion est un processus de développement d’une approche planifiée du changement et d’optimisation des bénéfices globaux, pour tous ceux qui sont concernés par le changement, et de réduction minimale du risque d’échec dans l’application du changement.
Pour procéder à un changement, il est nécessaire d’avoir une vision, de définir une stratégie pour la réaliser, de pouvoir communiquer de façon efficace afin de transmettre cette nouvelle vision pour assurer sa réussite à court terme. Tandis que vous capitalisez sur les avancées, vous apportez d’autres changements jusqu’à ce que vous ayez ancré ces nouvelles approches dans l’education culture. Le personnel du ministère semble plus concerné par le fait de savoir quel(le) élève fréquentera quelle école et par la manière de gérer les admissions avec le moins de problèmes pour le ministère. Il est triste de constater que le changement actuel est géré par les mêmes personnes qui ont défendu le concept de Middle School de Kadress Pillay, qui ont soutenu Steven Obeegadoo lorsqu’il a procédé à la régionalisation, qui, plus tard, ont prêté main forte à Dharam Gokhool pour tout remettre en question et qui ont ensuite fait la promotion des idées de Vasant Bunwaree ! Le MES, pour sa part, considère toujours les apprenants comme des candidats qui doivent reproduire ce qu’on leur a enseigné en classe. Le même MIE, avec les mêmes chargés de cours, qui ont formé des milliers d’enseignants, vont maintenant former ces mêmes enseignants autrement ! C’est à mourir de rire ! Le mindset n’a pas changé.
Nous demandons toujours à tout un chacun d’être créatif, de venir de l’avant avec de nouvelles idées, de Think out of the box. Et pourtant dans ce tableau, nous avons boxed (mis en boîte) toutes les parties du système éducatif !
Maintenant voyez le tableau ci-dessous que j’ai proposé pour le programme d’éducation de base en Afrique (BEAP ou l’éducation élémentaire dans le programme africain) et qui est cité en page 3 du document Inspiring every child. Bien sûr, c’est ce qui avait été proposé pour l’Afrique où l’éducation gratuite au primaire n’existe pas dans de nombreux pays, mais à Maurice, l’éducation est censée être obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans et non pas jusqu’en Grade 9 seulement.
En gros, vous faites une distinction cruciale entre schooling (scolarité) dont il est question dans le Nine-Year Schooling et éducation ?
Je parle constamment de changement par rapport au Nine-Year Schooling et non de réforme du système éducatif. Le principal changement, c’est que si un/e élève échoue au PSAC, il/elle sera promu/e en Grade 7. C’est pourquoi vous entendez parler de Nine-year continuous basic éducation et, dans la même foulée, de Nine-Year Schooling. Pour beaucoup d’acteurs qui pilotent ce changement, l’éducation est synonyme de scolarité. D’ailleurs, le livret sur le Nine-year continuous basic education (NYCBE, document en Pdf sur le site du ministère de l’Éducation), donne au livret Inspiring Every Child le titre de Nineyear Schooling (NYS). Le NYCBE ne prend guère en considération les tendances internationales en matière d’éducation et semble oublier qu’avec une espérance de vie d’environ 65 ans, l’enfant qui entre en Grade 7 en 2017 vivra tout au moins jusqu’à l’an 2075 ! Préparons-nous les enseignants à former ces enfants pour en faire des individus productifs durant la deuxième moitié du XXIe siècle, en ayant à l’esprit l’accélération des développements technologiques ?
Que faudrait-il faire à votre avis ? Quelles propositions alternatives ?
Il ne faudrait pas faire machine arrière par rapport à ce changement car il peut setransformer en vraie réforme éducative. Il faudrait penser autrement. Il nous faut une transformation totale du paradigme, qui prendrait en considération l’ensemble du système– de l’école maternelle à l’université – de manière holistique, qui inclurait une décision sur le maintien ou non du système des lauréats (bourses d’État), qui s’interrogerait sur le statut que nous voudrons accorder aux institutions polytechniques. Nous devrons aussi nous assurer que les universités cessent de produire des diplômés médiocres, et que le MIE ne forme plus d’enseignants médiocres alors que cet organisme a maintenant le droit de décerner des degrees. Au lieu de mettre la charrue avant les boeufs, nous devrons tenir compte du profil de l’élève lorsqu’il arrive au bout de sa scolarité et concevoir un programme pour que les élèves puissent avoir des compétences appropriées. À l’heure actuelle, nous débutons avec les Grades 5-7, puis les «experts» en programme d’études (curriculum) se pencheront sur le Grade 8, ensuite sur le Grade 9, en remontant du bas vers le haut !
Il faudrait, selon vous, revoir les objectifs…
En effet, ce qu’il faut également, c’est une définition claire des objectifs d’une série d’apprentissages nécessaires, qui prépareraient tous les apprenants pour la vie, à la citoyenneté, à la formation continue, peu importe le moyen. Il nous faut aussi une réforme de l’éducation des enseignants, accorder plus d’attention au matériel d’apprentissage et aux nouvelles technologies d’information et de communication, nous tourner vers divers moyens d’apprentissage, améliorer globalement les écoles, nous interroger sur des questions de gouvernance et de gestion, sur les moyens d’établir des liens avec la communauté et le marché de l’emploi, et initier les collaborations intersectorielles au niveau national et régional.. Nous devons repenser le but de l’éducation – pas seulement de la scolarité – et mettre fin à l’enseignement axé uniquement sur le contenu du programme et trouver des modes alternatifs d’évaluation. Ainsi, quand l’International Baccalaureate mentionne les compétences à acquérir, les moyens par lesquels ces compétences seront acquises sont aussi décrits en détail. Par exemple, les portfolios et leur mode d’évaluation et non seulement des examens à la fin des cours.
Et en ce qui concerne l’éducation de base, le rôle des parents, les enfants autrement capables…
Nous devrons développer un programme d’études pour l’éducation de base avec les outils d’évaluation qui s’imposent, et la méthodologie à suivre, en incluant des stratégies de rattrapage pour les élèves ayant des difficultés d’apprentissage. Nous devrons évidemment redéfinir le rôle des parents à l’école, non pas la traditionnelle association parents-enseignants, mais une participation plus active pour bâtir un partenariat efficace entre les parents, la famille et l’école afin de soutenir l’apprentissage des élèves, ce qui déboucherait sur une amélioration des résultats de cet apprentissage. Nous avons l’obligation de ne pas exclure tout un pan de la population qui a des besoins spéciaux, des enfants qui sont autrement capables, qui ont un handicap (psychologique, physique, émotionnel ou mental). Ce sont également des citoyens de ce pays et ils méritent qu’on leur accorde toute notre attention. Finalement, nous devrons repenser le rôle de l’école dans un environnement technologique en évolution constante. Les écoles doivent devenir des Learning organisations qui réagissent plus rapidement aux changements externes, qui accueillent favorablement les innovations dans l’organisation interne et qui aident les enfants à réussir davantage dans la vie.
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