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Faizal Jeeroburkhan: «Le Nine-Year Schooling propose des changements dans la forme, pas assez dans le fond

7 juin 2017, 11:44

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Faizal Jeeroburkhan: «Le Nine-Year Schooling propose des changements dans la forme, pas assez dans le fond

Pour Faizal Jeeroburkhan, ancien chargé de cours au Mauritius Institute of Education, rien n’indique que le Nine-Year Schooling débouchera sur une amélioration de la qualité de l’éducation à Maurice.

Vous estimez que le Primary School Achievement Certificate (PSAC), qui a remplacé le Certificate of Primary Education (CPE), comporte de nombreuses qualités sur le papier et que le temps nous dira si elles seront effectivement traduites dans la réalité. Quelles sont ces qualités ?
Il faut d’abord saluer la volonté politique et le courage affiché par les autorités de proposer ces changements tant attendus que les gouvernements précédents ont été incapables d’apporter dans notre système éducatif. Il y a sans nul doute de bonnes intentions pour mener ces changements à bon port. Mais rien n’indique qu’ils déboucheront sur une amélioration de la qualité de l’éducation. Parmi les qualités, on peut mentionner d’abord la valorisation de l’enseignement technique et préprofessionnel pour mieux répondre au déphasage entre notre système éducatif et le marché du travail, pour permettre aux enfants qui ont des talents autres qu’académiques de réussir leur parcours scolaire. À partir du Grade 9, les élèves pourront suivre cette filière et éventuellement intégrer une des nombreuses écoles polytechniques. Les autres qualités sont le dépistage précoce des élèves en difficulté scolaire et un système de rattrapage avec un suivi psychologique individuel pour les remettre sur les rails; une évaluation globale des potentiels de l’enfant, y compris l’évaluation de ses compétences nonacadémiques (sports, théâtre, technologies de l’information et de la communication); l’introduction d’une certaine dose de contrôle continue pour réduire le stress des examens de fin d’études et encourager le développement des compétences essentielles (life skills); la proposition d’un système modulaire pour certaines matières comme l’histoire et la géographie; la régionalisation de l’éducation pour limiter le déplacement inutile des élèves et pour réduire la pression due à une compétition insoutenable au niveau national, et la mixité de l’éducation pour préparer les jeunes à vivre harmonieusement dans la société, à développer plus de respect pour le sexe opposé et à combattre la timidité.

Qu’en est-il des faiblesses du PSAC ? Vous avez déjà mentionné l’empressement aussi bien que le manque de consultations élargies, de préparation et de planification…
Le PSAC propose des changements dans la forme mais pas suffisamment dans le fond. L’accent est toujours sur la scolarité et les certificats, pas sur l’éducation pour la vie. L’éducation holistique proposée n’est qu’un slogan creux pour mieux vendre le produit. Le programme d’études est déterminé uniquement par les examens, ce qui fait que le système éducatif ne répond pas aux besoins socio-affectifs de l’individu et à nos besoins socioéconomiques. Le système d’évaluation n’a pas changé : il est dominé par les examens qui encouragent les connaissances livresques associées au bourrage de crâne, au détriment de la pensée critique et créative. Les collèges régionaux de différents niveaux accentuent la compétition au niveau régional. Le business de l’éducation (leçons particulières) est renforcé surtout avec les examens en grade 9 et les «académies». L’éducation est une commodité vendable au plus offrant. L’équité est, de ce fait, bafouée. Les enfants des familles riches ont un avantage indéniable sur ceux des familles pauvres. Le développement holistique, l’esprit d’entreprenariat et d’innovation tant escompté resteront des voeux pieux. En l’absence de règlements pour évaluer le système régulièrement et systématiquement, l’impact des changements restera un grand mystère. La formation des enseignants et du personnel administratif n’est pas à la hauteur des enjeux. L’accent est mis sur les connaissances académiques et pas suffisamment sur les compétences, l’engagement, l’initiative et l’innovation. L’absence d’autonomie au niveau des écoles, la résistance au changement, l’absence de soutien pédagogique et d’encouragement aux jeunes profs, qui veulent se démarquer des anciens, ne font que multiplier les faiblesses.

A votre avis, la compétition sera-t-elle plus forte ?
Un des buts principaux du Nine-Year Schooling est de faire baisser la compétition, qui était devenu insupportable. Avec deux examens majeurs, le PSAC en Grade 6 et le National Certificate of Education en Grade 9, utilisés pour le classement et le placement, et aussi avec les académies, la compétition sera nécessairement plus rude. La compétition n’est pas mauvaise en soi. Mais, poussée à l’extrême pour les jeunes enfants, elle peut avoir des effets psychologiques néfastes, qui les marqueront à vie. C’est surtout une compétition où certains enfants sont favorisés par leur statut social alors que d’autres sont dopés artificiellement par des leçons particulières. Une compétition trop forte pousse certains enfants à abandonner les études. Ceux qui réussissent se transformeront en citoyens dépourvus de valeurs humaines, égoïstes, accapareurs et incapables de travailler en groupe à l’image de notre auguste Assemblée législative !

«Avec deux examens majeurs, le PSAC en Grade 6 et le NCE en Grade 9, la compétition sera nécessairement plus rude…»

Selon vous, les leçons particulières régneront en maîtresses absolues ?
Avec une compétition accrue au niveau des examens, ce sera le renforcement des leçons particulières comme système d’éducation parallèle,qui brasse plusieurs milliards de roupies chaque année. C’est une vache à lait que les syndicats des enseignants veulent à tout prix préserver avec la complicité des autorités et des parents, au détriment de cette noble profession qu’est le professorat. L’éducation, la vraie, a perdu son âme. Les leçons particulières représentent un fardeau inutile pour beaucoup d’élèves, ainsi que pour les parents. Elles font un tort immense à nombre d’enfants en les privant d’une enfance libre et agréable, encouragent le bourrage de crâne et sont à l’antipode des approches pédagogiques modernes. Dispensées en outre dans des conditions physiques et psychologiques souvent exécrables, elles bafouent le principe d’équité, car les élèves de parents aisés sont favorisés par rapport aux élèves dont les parents sont pauvres. Sur le plan légal, elles frisent la corruption selon la Prevention Of Corruption Act. Certains enseignants, aveuglés par un gain financier facile et hors taxe, pratiquent un vrai «business de la connaissance». Malheureusement, tout cela est toléré officiellement et se fait au détriment d’une éducation de qualité.

Et l’équité sera-t-elle respectée pour que les droits des enfants pauvres ne soient pas bafoués ?
L’absence d’équité commence déjà au niveau du pré-primaire, qui est le socle de tout système éducatif. Les premières années de la vie sont cruciales pour le développement physique, neurologique, cognitif, socio-affectif et langagier d’un enfant. Malheureusement, le pré-primaire demeure l’enfant pauvre de la reforme avec seulement 2 % du budget de l’éducation. Les écoles pré-primaires privées sont généralement mieux équipées en termes de ressources, de compétences et d’engagement par rapport aux écoles pré-primaires publiques. Les enfants, qui sont issus des milieux défavorisés et qui fréquentent les écoles publiques, se retrouvent avec un handicap majeur dans leur parcours scolaire. Ces enfants sont déjà défavorisés sur le plan financier, familial, nutritif et émotionnel. Ils n’arrivent pas à tirer profit des structures mises à leur disposition. Au niveau de l’éducation primaire, malgré les efforts déployés par les autorités, les leçons particulières favorisent les enfants de familles aisées, qui ont tous les atouts en leur faveur : soutien familial indéfectible, écoles plus performantes, environnement riche et interactif, etc. Cette absence d’équité fait que nous produisons, d’une part, une élite sans valeurs humaines et citoyennes, corrompue, accaparatrice et, d’autre part, des recalés, qui sont étiquetés comme des incapables et exploités inhumainement par notre système capitaliste et qui sont bien souvent jetés à la rue ou en prison pour des délits criminels.

Vous affirmez que le développement holistique, la pensée critique et créative, l’esprit d’entrepreneuriat et d’innovation resteront des voeux pieux. Expliquez-vous…
Le développement holistique n’est pas possible dans un système où le manuel scolaire est la seule source de connaissance, où le prof est celui ou celle qui sait tout, qui dirige tout et qui écoute peu, où les problèmes ont une unique solution et où les erreurs sont proscrites, où règnent les pédagogies passives basées sur la mono-intelligence et où les connaissances livresques sont évaluées par des examens écrits dans une salle pendant quelques heures. L’éducation est bien trop complexe et noble pour être traitée de cette façon. Développer l’esprit critique et créatif est un enjeu majeur dans un monde globalisé, interconnecté et en pleine mutation. L’esprit critique est nécessaire pour l’émancipation sociale, professionnelle et citoyenne de l’individu. Construire une pensée critique implique une posture intellectuelle nécessitant la curiosité, la flexibilité, l’autonomie, l’objectivité, etc. Pour cela, il faut une approche pédagogique active et différenciée (discussions, débats, études de cas, etc.) pour développer la capacité d’argumenter dans des disciplines telles que la philosophie, la logique, les sciences, l’éducation civique et morale, l’éducation à la citoyenneté, l’éducation artistique et culturelle.