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Swadicq Nuthay: «Notre régime fiscal devra changer tôt ou tard»

13 juin 2017, 10:35

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Swadicq Nuthay: «Notre régime fiscal devra changer tôt ou tard»

Swadicq Nuthay exprime ses craintes sur l’avenir du Global Business. Cela, suivant l’absence de mesures budgétaires concrètes pour atténuer les effets des défis fiscaux. Il trouve aussi que le Budget manque de mesures fortes pour relancer la machinerie économique.

Le Budget 2017-18 se propose «to rise to the challenge of our ambitions». Après sa lecture, êtes-vous convaincu que cet exercice réponde à cet objectif ?

Afin de relancer la machine économique, il faut insuffler un nouveau dynamisme à l’économie. Ce n’est guère une tâche facile de dépasser les 4 % de croissance. Pour devenir un pays à revenu élevé, nous avons besoin d’une croissance économique beaucoup plus importante que les 4 % et d’un taux d’investissement proche des 25 % du produit intérieur brut (PIB).

Certes, le Budget contient quelques très bonnes idées, mais il aurait fallu être plus audacieux afin de permettre à notre économie d’être plus performante. Au cas contraire, nous allons patauger dans le middle-income trap. Afin de franchir ce nouveau palier de développement, nous devons nous en donner les moyens. Nous n’avons pas d’autre choix que de secouer l’arbre. Je m’attendais à des bold measures afin d’assurer la relance de l’économie.

Aujourd’hui, nous faisons face à de nouveaux défis, alors que les règles du jeu ne cessent d’évoluer. Le Brexit, l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), l’abolition complète du filet de protection pour le sucre avec la libéralisation des quotas en Europe au profit des betteraviers, le retour au protectionnisme et le nouvel ordre mondial, entre autres, sont autant de challenges qui vont peser sur notre économie durant les années à venir. Comment surmonter ces difficultés si nous ne nous en donnons pas les moyens ?

Comme les années précédentes, le gouvernement privilégie l’investissement public pour relancer l’économie à travers l’injection d’un peu plus de Rs 35 milliards dans le développement des infrastructures. Estimez-vous que ce soit la bonne stratégie ?

L’investissement public est un moyen pour booster la croissance. Le Budget a mis beaucoup d’accent sur les projets de développement sur plusieurs fronts, qui seront financés en grande partie par le don de Rs 12,7 milliards et la ligne de crédit de Rs 18 milliards de l’Inde. Certes, les nouvelles infrastructures aideront le pays à améliorer son potentiel de croissance. Mais le revers de la médaille, c’est le niveau de l’endettement qui ne cesse de s’accroître. On s’approche dangereusement des 70 % du PIB.

Dommage que le concept de PPP (Public Private Partnership) ou de BOT (Build, Operate and Transfer) soit resté dans les tiroirs. Le pays sortirait gagnant avec la concrétisation de grands chantiers selon cette formule. Cela aurait pu ouvrir la porte à l’investissement direct étranger et à l’avènement des opérateurs privés traditionnels dans ce secteur. Un apport du secteur privé dans la réalisation des projets d’infrastructures permettra un meilleur taux d’exécution et, accessoirement, réduira la dépendance de l’État à la dette.

Une des mesures-phares du Budget est l’annonce de la constitution d’un «Economic Development Board». Dans quelle mesure ce nouvel organisme aidera-t-il à planifier notre stratégie de développement économique ?

Pendant un certain temps, il y a eu consensus entre les économistes, la communauté des affaires et la société civile pour que Maurice soit doté d’un département de planification pour le développement économique du pays. Le manque de ressources fait que le ministère des Finances n’est pas suffisamment équipé de l’expertise sectorielle nécessaire pour dégager correctement les politiques susceptibles de prendre en ligne de compte les spécificités de chaque secteur clef de l’économie.

Généralement, le ministère consulte et recueille les propositions des acteurs économiques venant de différents secteurs et travaille de concert avec les institutions telles que le Board of Investment, la Financial Services Promotion Agency et Enterprise Mauritius. Par la suite, les techniciens des Finances travaillent sur les grandes orientations économiques. Mais, bien souvent, le manque de coordination entre les différentes parties concernées fait que les propositions sont laissées sur la touche ou prises en isolation.

J’espère que les deux directorates proposées par l’Economic Development Board (EDB) sont conçues pour combler spécifiquement cette lacune. Cependant, l’EDB devrait être investi de certains pouvoirs afin de mener à bien son mandat. Vu les énormes défis auxquels le pays aura à faire face, il serait souhaitable qu’une cellule spéciale y soit dédiée afin d’assurer une meilleure préparation et planification de notre stratégie. La personne qui sera choisie pour être à la tête de cette importante institution devra fournir les compétences nécessaires et non pas être un nominé politique.

Le Budget ne fait aucune mention du Global Business alors que d’importants défis se profilent à l’horizon avec l’avènement du BEPS, du MLI et du GAAR prochainement. Quelle est votre analyse ?

L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et l’Union européenne (UE) sont collectivement en train de réprimer la planification fiscale agressive des multinationales. Cela est évident vu leur position commune vis-à-vis de l’initiative BEPS. Ces mesures sont carrément des mauvaises nouvelles pour les centres financiers, incluant Maurice. Notre centre financier a longtemps servi comme tremplin pour les investissements venant de l’OCDE, visant principalement l’Inde et l’Afrique.

Le Multilateral Instrument (MLI) est une composante de l’initiative BEPS et vise à aligner tous les traités de non-double imposition fiscale à un minimum de standard. Maurice s’est déjà engagé à signer le MLI d’ici la fin de ce mois-ci. S’agissant du General Anti-Avoidance Rule (GAAR), qui est une disposition légale du code fiscal indien, il donne des pouvoirs au fisc indien de refuser les bénéfices fiscaux, y compris ceux auxquels les investisseurs sont éligibles sous le Double Taxation Avoidance Agreement (DTAA).

Une telle démarche pourrait représenter la fin de ces nombreuses entités structurées sous le GBC 1 à Maurice, dans la mesure où elles ne passeront pas le test du GAAR. En conséquence, nous perdrons certainement notre avantage compétitif d’être le centre financier pour l’Inde. En outre, l’Inde est en train d’introduire le concept de Place of Effective Management, qui peut potentiellement affecter la position de Maurice comme le hub pour attirer des investissements transitant par l’Inde.

Ce sont autant de défis qui vont substantiellement affecter la position de Maurice comme un centre financier. À voir de près les statistiques sur le secteur du Global Business, sur les 11 000 entités ou plus, il n’y a qu’un millier de fonds qui peuvent remplir les conditions de minimum standards. La différence, près de 90 %, est principalement composée des Investment Holding Entities qui ne génèrent pas suffisamment de substance à Maurice. Le secteur du Global Business emploie directement quelque 3 000 professionnels et il serait souhaitable que nous agissions au plus vite pour éviter le pire.

Le Blueprint n’est-il pas une solution en soi ?

Le Blueprint annoncé dans le Budget n’est pas une solution. Ce sont surtout les recommandations qui doivent intégrer le Budget comme des mesures. Il est fort probable que le ministre des Finances ait voulu être prudent, en prenant la décision de ne pas annoncer de réforme du Deemed Foreign Tax Credit (DFTC), qui constitue le coeur même du Global Business et qui a été critiqué par l’OCDE comme étant un harmful tax practice.

Il est impératif que nous diversifiions nos activités au niveau de notre centre financier international. Nous pouvons privilégier le Fund Business mais sans compromettre les Investment Holding Entities. Il serait souhaitable que les consultations entre le gouvernement et les opérateurs de ce secteur bougent très vite afin de dégager des solutions mutuellement bénéfiques à tous les partenaires.

Après la grande réforme fiscale de 2006, Pravind Jugnauth a décidé de revisiter cette formule en introduisant la «Negative Income Tax» et la «Solidarity Levy». Est-ce que cela répond à nos besoins économiques ?

La taxe uniforme à 15 % a été un très bon système par sa simplicité et son niveau compétitif. Cependant, à cause du régime fiscal actuel, avec le concept de DFTC, Maurice doit faire face à des pressions énormes venant de l’UE et de l’OCDE, entre autres. Que nous le voulions ou pas, notre régime fiscal devra changer tôt ou tard.

Les réformes qu’apportent la Negative Income Tax et la Solidarity Levy sont certes une bonne chose du point de vue social (et surtout politique), mais l’aspect fiscal nécessite plus d’attention. Le DFTC de 80 %, applicable sur les revenus étrangers et accordé uniquement aux GBC1, a une espérance de vie très limitée aujourd’hui. Une solution probable demeure dans la normalisation de la taxe effective sur les sociétés onshore et offshore, quitte à ramener le DFTC à 50 %. Pourquoi pas ?

Et quid de l’UE et de l’OCDE dans la nouvelle structure fiscale ?

Un des objectifs clés de l’UE et de l’OCDE est l’éradication des systèmes de taxation d’une même juridiction, qui diffèrent entre ses structures locales et ses structures «offshore». La solution à ce problème se trouve dans la «substance» et la «valeur ajoutée». Maurice a toujours été une juridiction de substance par rapport à d’autres, comme les îles Cayman ou les Bahamas. Mais pour survivre dans ce secteur, Maurice doit aller bien plus loin. Nous devons pouvoir offrir aux investisseurs étrangers des services non seulement pour administrer leurs affaires mais aussi des services à valeur ajoutée pour les accompagner et les guider dans leurs investissements étrangers, basés de Maurice.

Ce que le secteur du Global Business ne propose pas ?

Notre secteur du Global Business offre actuellement un service de qualité mais qui reste quand même basique. Il faut que ce secteur se transforme en offrant des services à haute valeur ajoutée et où nous devenons de vrais partenaires et conseillers pour chaque investisseur. Il faut aussi que nous profitions pleinement de notre proximité et de notre appartenance au continent africain. L’Afrique possède un potentiel énorme mais reste un continent difficile et à haut risque. C’est exactement là que Maurice possède déjà plusieurs longueurs d’avance de par son expérience sur le continent, sa stabilité politique et sa population bilingue pouvant opérer en Afrique francophone et anglophone, entre autres.