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Dr Roukaya Kasenally: «Le manque de fonds pour la recherche n’est qu’une infime dimension du problème»

20 juin 2017, 15:45

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Dr Roukaya Kasenally: «Le manque de fonds pour la recherche n’est qu’une infime dimension du problème»

Une des mesures phares du Budget 2017-18 est la promotion de la recherche à Maurice. La Dr Roukaya Kasenally, chargée de cours à l’UoM, nous donne son avis sur le sujet.

Le Budget propose plusieurs mesures afin de booster le secteur de la recherche. Maurice en avait-elle besoin ?
Bien sûr. Je pense qu’on a toujours besoin de plus de stimulus pour encourager la recherche. Mais d’un, il ne faut pas que ça soit juste des effets d’annonce. C’est le concret qui compte. Et deuxièmement, nous avons besoin de davantage que de l’argent. Nous avons besoin d’une vision. Il ne faut pas que ça reste un vague concept. Nous avons entendu parler d’une économie basée sur les connaissances il y a quelques années ; nous avons aussi eu le concept d’«île intelligente» et là, d’économie novatrice. Y croit-on encore ?

Comment inculquer une telle vision ?
Il faut que la recherche fasse partie de notre ADN. Il faut que les petits aient le sens de la recherche. Il faut développer la curiosité et l’intérêt dès un jeune âge. À Maurice, les gens ne sont pas assez curieux. Il faut créer un vrai écosystème pour la recherche.

C’est ce qui bloque la recherche à Maurice ?
Cela mais aussi le fait que nous sommes encore fermés. Dans le sens où la recherche à Maurice veut encore dire la recherche scientifique. La science dure, on la voit, elle est tangible, on a tendance à prendre cela plus au sérieux. Bien sûr la recherche scientifique est importante, mais la recherche en science sociale ou encore linguistique est tout aussi importante. Et ce, parce qu’elle mène à l’élaboration des politiques. Il faut qu’on réalise que la recherche peut nous aider à prendre des décisions. C’est extrêmement important.

Et le manque de fonds ?
Le manque de fonds n’est qu’une infime dimension du problème. Bien sûr, Rs 50 millions (NdlR : fonds alloué pour la recherche dans le Budget), ce n’est pas beaucoup. Peut-être l’équivalent de dix études. Mais on peut facilement surpasser cela. Si les académiciens le veulent vraiment, ils peuvent développer des réseaux de collaboration régionaux, panafricains. Les fonds sont là, il faut juste aller les chercher. Et puis, de nos jours, le monde s’ouvre à nous, we need to make the most of it.

Comptez-vous beaucoup de doctorants à l’Université de Maurice ?
Il est difficile d’avancer un nombre mais nous pouvons définitivement faire mieux. Encore une fois, nous avons souvent des élèves qui viennent nous voir mais il n’y a pas cette culture.

Plusieurs de nos institutions d’enseignement supérieur ont, aussi, pour mission de faire de la recherche. Le font-elles suffisamment ?
Il est difficile de répondre à cette question. Nous ne le faisons pas suffisamment, même si je sais que c’est une des missions du nouveau vice-Chancelier. Mais voilà, le problème c’est que nous n’avons pas le temps de le faire. La recherche prend du temps et les membres du corps académique n’en ont pas. Nous passons le plus clair de notre temps en cours, en préparation de cours… En plus, on ne va pas aimer queje dise cela mais nous avons aussi trop de tâches administratives.

Quelle serait la solution ?
La solution serait de créer deux filières pour le personnel académique. Une qui se consacrerait à l’enseignement et l’autre à la recherche. C’est le cas dans plusieurs universités à l’étranger. Il faudraitaussi permettre aux universitaires de prendre du temps pour leur recherche. Instituer un système d’années sabbatiques peut-être.

Est-ce que la recherche figure dans le cahier des charges d’un académicien ?
Non.

Mais c’est souvent le cas à l’étranger ?
Encore une fois, à l’étranger les académiciens ont le temps de faire de la recherche.

Comment ces Rs 50 millions devraient-elles être utilisées ?
Il faut que la Tertiary Education Commission ait une discussion ouverte avec les universités, les universitaires… Il faut qu’elle vienne dans les universités voir de quoi nous avons besoin.

Plusieurs pays, dont Singapour, s’appuient énormément sur la recherche et l’innovation. Pensez-vous que cela pourrait être le cas pour Maurice ?
Ça pourrait. Mais Singapour a investi énormément dans cet écosystème dont je vous parlais. Un peu comme à la Silicon Valley en Amérique. C’est un microcosme, il y a des compagnies, des laboratoires. Il y a toute une culture de la recherche. Ici, nous devrions commencer par rendre la recherche accessible. La vulgariser, pour que les enfants comprennent et s’y intéressent. Et puis aussi Singapour s’est ouvert aux autres, il y a eu beaucoup de collaborations. Il nous faut aussi collaborer avec l’Afrique, dans la région. La recherche requiert une diffusion de l’information, elle n’est pas stagnante. C’est ainsi qu’on s’enrichit.