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Nirveda Alleck, plasticienne : «L’État s’en fout royalement des artistes»

30 juin 2017, 15:47

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Nirveda Alleck, plasticienne : «L’État s’en fout royalement des artistes»

Artiste multidisciplinaire, Nirveda Alleck revient des État- Unis. Ses oeuvres étaient exposées du 25 avril au 11 juin dernier à la Richard Taittinger Gallery, New York. Elle fait partie du groupe qui avait appelé au boycott de la fête de l’indépendance. Elle est parmi ceux choisis par le ministère des Arts et de la Culture pour les consultations autour du Status of Artist Bill. Le récent Budget 2017/2018 illustre encore une fois, selon elle, l’absence de politique culturelle.

Quel signal les mesures culturelles du Budget 2017 /2018 envoient aux artistes ?

Prenez les Rs 50 millions de subvention aux artistes (Artist grants). C’est mieux que rien. Cela a été abordé avec Vesna Copic (NdlR : experte de l’Unesco venue à Maurice en février 2017 pour des consultations autour du Status of Artist Bill). Elle devait revenir, on ne l’a pas vue.

Vous faites partie des artistes choisis par le ministère des Arts et de la Culture pour participer à ces consultations. Où en est le projet de loi ?

La seule façon de savoir c’est d’entrer en contact avec Vesna Copic, l’experte qui devait revenir en avril 2017. Si elle n’est pas encore là, cela veut dire que le ministère a fait comme il a l’habitude de faire : appeler tout le monde, présenter une belle image et puis… partez.

Avez-vous fait un suivi auprès du ministère ?

À qui demander ? Le Director of Culture est parti (NdlR : à la retraite).

Il a un remplaçant, non ?

À chaque fois que je l’appelle, il ne répond pas. Après, il y a eu une autre sélection d’artistes qui a été invitée à la rencontre pré-budgétaire.

Vous n’en faisiez pas partie ?

Personne ne m’a appelée.

Qu’est-ce que cela veut dire au juste ?

La première fois, on m’a appelée pour paraître équitable. Si on a décidé de ne pas revenir vers moi, c’est parce que je faisais partie du groupe qui a appelé au boycott de la fête de l’indépendance, avec Percy Yip Tong. Si c’est le cas, c’est dommage. Cela montre que si vous n’êtes pas d’accord, vous êtes rayé de la liste. J’espère pour eux que tout cela n’était qu’un oubli. Mais je pense que c’est difficile de m’oublier (éclats de rire).

L’appel au boycott a-t-il eu un impact réel ?

(Réflexion) Je pense que oui. On a vu la façon dont on fait les choses. La participation des artistes à la fête de l’indépendance doit passer par un appel d’offres, mais cela n’a pas été le cas. Pour se payer Move for Art (NdlR : société d’événementiel d’Astrid Dalais et Guillaume Jauffret) il faut avoir des sous. Cela veut dire que les fonds n’étaient pas un problème depuis le début. Si l’on peut apparemment trouver autant d’argent à la dernière minute juste pour faire semblant qu’on est fort même si des artistes nous boycottent, tout cela montre comment les choses marchent vraiment.

Mais l’État a-t-il entendu la voix des artistes ?

Non. L’Etat s’en fout royalement, parce qu’il sait que les artistes sont divisés. Un artiste est venu à l’une des réunions du groupe qui appelle au boycott, j’ai fait des photos avec lui. Le jour de l’indépendance, on le voit en train de chanter. Il faut savoir de quel côté on est, avant de s’engager. Si on n’est pas sûr, c’est mieux de ne pas participer à la révolution et paraître ridicule à la fin.

L’action du collectif autour de Percy Yip Tong a-t-elle été contre-productive ?

Je ne le crois pas. Plus il y aura ce type d’action, plus notre voix sera entendue. S’il n’y avait pas eu ça, les artistes n’auraient pas été consultés pour le Budget.

Pour vous, c’est une conséquence directe ?

Définitivement. C’est ce qui fait qu’il y a eu autant de mesures annoncées. Sauf qu’il n’y a que trois mesures qui sont monétisées. Il y a les Rs 50 millions de subvention, ce n’est pas assez pour professionnaliser les artistes. Est-ce qu’une subvention, one off, ça suffit pour ça ? Chaque artiste a des besoins spécifiques. J’espère que cette subvention n’est pas que pour financer des artistes qui vont à l’étranger. Dans le passé, seulement ceux qui pouvaient aller à l’international avaient droit à une subvention, tous les deux ans. Les modalités ne sont pas encore connues. Si Porlwi by Light qui dure trois jours a un budget qui tourne autour de cette somme, alors si on prend ce que font les artistes pendant toute une année, Rs 50 millions ce n’est pas beaucoup. Mais on ne veut pas non plus être dépendants du ministère. Ce qui est plus important, c’est une politique culturelle.

Les artistes réclament un National Arts Council. Est-ce réaliste de penser que l’État va abandonner ses pouvoirs et créer une instance indépendante ?

Combien de temps va-t-il faire la sourde oreille ? La seule façon de faire, c’est d’avoir des artistes élus ou nommés par les autres artistes, sur un board qui veille sur les intérêts des artistes. Si c’est un État intelligent, il va écouter une instance pareille. Ce ne sera pas comme un conseiller qui a été nommé parce que c’est un ami, un parent ou qu’il a collé des affiches. Aussi longtemps que l’État ne met pas en place une plateforme où les artistes peuvent dire ce dont ils ont réellement besoin, on ne va pas avancer.

Ce n’est pas possible pour les artistes de se débrouiller sans l’aide de l’État ?

C’est possible de se débrouiller, mais ce n’est pas possible pour tout le monde. Pourquoi on n’aide pas les artistes à participer dans les marchés d’art à l’étranger ? C’est en place dans d’autres secteurs, comme la bijouterie, le design. C’est vrai qu’on peut s’enregistrer comme petit entrepreneur, mais les artistes ne sont pas des marchands. Créer de l’art c’est être philosophe, poète, avoir un regard sur la société. On a d’autres préoccupations que de chercher un marché. Pour avancer, l’art a besoin de structures, de gens qualifiés qui accompagnent les artistes. Sinon on sera toujours en train de faire du marketing, au détriment de la création. Et les artistes doivent avoir un autre métier, pour subvenir à leurs besoins. On ne peut pas vivre des arts plastiques à Maurice, à moins de faire un certain type d’art.

Vous vous voyez dans le futur village des artistes annoncé dans le Budget ?

Est-ce que ce sera un espace de création ou un espace de vente ? Je me vois mal faire le trajet de New-Grove à Rivière -Noire tous les jours, pour travailler dans ce village. Il faut que ce soit dans un lieu plus facilement accessible. La Batterie de L’Harmonie est un très beau lieu qui doit effectivement être utilisé pour l’art, mais est-ce de cela dont nous avons besoin en ce moment ? N’est-ce pas viser trop loin, trop vite ? C’est peut-être viable dans le temps, s’il y a un restaurant, une vie touristique autour. Mais au lieu de recommencer à zéro à Rivière-Noire et d’investir encore une fois l’argent destiné à l’art dans les infrastructures, pourquoi ne pas utiliser des espaces déjà existants, comme à Belle-Mare ? Pour moi un village des artistes est un lieu de recherches, pour la création. On ne peut pas créer à cinquante, il faut être quatre ou cinq à faire des résidences d’artistes. Le village artistique est une bonne idée, mais l’emplacement choisi, non. En plus, il faudra rénover la Batterie de l’Harmonie. Qui dit rénovation, dit Théâtre de Port-Louis, mais le Budget n’en parle pas. Comment est-ce qu’on peut trouver des fonds pour rénover un bâtiment qui n’est pas aussi important que le théâtre ?

Au final quel est le message envoyé par les autorités ?

Y-a-t-il un agenda caché ? Ou est-ce une de ces fausses bonnes idées où on ne sait pas vraiment ce que veulent les artistes. On en revient à la nécessité d’avoir une politique culturelle. J’en ai marre de ces idées à la con. La présidence de la république vient d’organiser une exposition dans les jardins du Réduit. C’est de la merde.

Le public y achète des plantes, admire des voitures de collection et voit des jeunes en train de peindre…

J’adore les plantes, mais je ne veux pas mettre mon oeuvre à côté du stand de fleurs. C’est une brillante idée de la présidence, mais ce n’est pas ce dont j’ai besoin en tant qu’artiste. J’ai besoin que ce pays développe une politique culturelle dans la durée. Qu’est-ce qui va se passer quand la présidente de la république ne sera plus là ? Est-ce que tout cela va s’écrouler? Comment est-ce qu’on va vivre d’une exposition une fois par an au Réduit ? C’est bien comme idée, mais ce n’est pas ce que l’on veut. L’argent qui a été dépensé par la présidence pour la marquise, les invités etc, d’où vient-il ? Pourquoi ne pas l’utiliser de manière concrète, au lieu de faire juste un week-end, «come to my palace». C’est ridicule tout cela.