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Patrimoine: les défenseurs au front

9 juillet 2017, 23:15

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Patrimoine: les défenseurs au front

Maurice accueillera, le 18 juillet prochain, une quinzaine de ministres de la Culture de la région Africaine pour une conférence de l’Unesco sur la protection du patrimoine. Cela, alors que 15 jours plus tôt, La School, bâtiment vieux de 250 ans qui a abrité le collège Royal de Port-Louis, a été rasée…

La responsable de la conférence sur le patrimoine, Karalyn Monteil, explique que le but est de «fournir une plateforme de discussions entre les acteurs nationaux et internationaux pour renforcer les synergies pour la protection du patrimoine culturel». Elle enchaîne : «Cette réunion régionale offrira également aux ministres la possibilité de partager leurs expériences, leurs pratiques novatrices et leurs politiques en Afrique de l’Est et dans l’océan Indien. De plus, elle augmentera les capacités et renforcera les actions communes de protection du patrimoine culturel.»

Quid de La School dans tout ça ? Depuis que sa destruction a débuté le week-end dernier, La School suscite la sympathie, mais surtout la colère des défenseurs du patrimoine. En effet, entre ceux qui proposent des solutions, d’autres qui évoquent les lois pertinentes ou encore, qui rêvent de sa reconstruction, La School n’a pas laissé insensible.

Sollicité, le ministère des Arts et de la culture a fait savoir que cette conférence de l’Unesco, qui a une portée mondiale, ne doit pas être ramenée à «cette affaire entourant La School». «Maurice a été choisi par l’UNESCO pour accueillir la première table ronde ministérielle sur la protection du patrimoine culturel des pays de l’Afrique de l’Est. Le but de cette réunion est de promouvoir l’échange d’informations entre les différents États sur la question, mais surtout sur la destruction et le pillage des sites historiques en raison des attaques terroristes et des calamités naturelles», poursuit le ministère, avant de réitérer que La School ne figure pas sur la liste des patrimoines nationaux.

Si personne n’a voulu se prononcer sur la destruction du bâtiment, Karalyn Monteil soutient qu’il incombe aux États membres d’assurer la protection du patrimoine. À Maurice, c’est le National Heritage Fund (NHF) qui a le devoir d’assurer la protection du patrimoine.

Toutefois, du côté du NHF, un officier affirme que l’organisme ne peut rien faire dans ce cas, car le bâtiment n’était pas classé, mais assure que le Board se réunira bientôt pour évoquer ce problème. Sans s’avancer sur les décisions qui peuvent être prises, l’officier précise que des amendements seront bientôt apportés au NHF Act pour une meilleure protection du patrimoine.

Yannick Cornet, ancien Chairman du NHF, ne partage pas l’avis de l’officier. «La School a beau ne pas être classée, mais personne ne peut nier l’importance historique et culturelle d’une bâtisse vieille de 250 ans. Le NHF a le devoir de protéger notre héritage, donc, il est directement impliqué», laisse-t-il entendre. Selon lui, l’ancien collège Royal figurait sur une liste de national heritage potentiel. Même si cette liste n’a aucune valeur légale, Yannick Cornet est d’avis qu’elle méritait une attention particulière.

L’ancien ministre de la Culture, Mukheshwar Choonee, peine aussi à accepter la décision des autorités de démolir La School. Il soutient que le gouvernement a classé la maison coloniale sise au 6, Rue Saint Georges en moins d’une semaine. «Ils ont pris la décision qu’il fallait sans perdre de temps ; je les félicite pour cela. Mais pourquoi n’ont-ils pas fait la même chose pour une propriété de l’État?», se demande Mukeshwar Choonee. «Ce bâtiment témoignait du savoir-faire des esclaves. Personne n’avait le droit de le démolir», lâche-t-il.

Reconstruction possible?

Puisque le mal a déjà été fait, peut-on limiter les dégâts ? Jean-François Koenig déclare que la reconstruction du bâtiment est possible. «Nous avons les moyens de reconstruire La School à l’identique», confirme-t-il. Les techniques qui ont été utilisées pour l’édifice de cette bâtisse, totalement en bois, sont parfaitement maîtrisées. «Si les matériaux similaires sont utilisés à nouveau, on peut avoir un bâtiment qui va durer bien plus», dit l’architecte. «Les architectes et artisans qui travaillent le bois et tous les autres talents qui sont nécessaires sont à Maurice», ajoute-t-il.

Avant sa démolition, un projet avait été soumis au gouvernement par la Port-Louis Development Initiative (PLDI), où «La School» aurait été partie intégrante de la nouvelle Cour suprême. Mais ce projet est resté sans réponse, tout comme les questions posées à ce sujet. «Intégrer la vieille bâtisse à la nouvelle construction n’aurait pas été une mauvaise idée. De plus, cela aurait demandé une rénovation de La School, qui n’aurait pas été une mauvaise chose», avance Jean-François Koenig.

Qu’en est-il du coût ? Selon l’architecte, il est difficile pour l’heure de l’estimer. «Mais ce sera définitivement moins cher que ce qui est prévu», ironise-t-il. D’ailleurs, ajoute-t-il, l’entretien de l’ancien bâtiment aurait aussi coûté moins cher que le milliard de roupies prévues pour la nouvelle Cour suprême. Sollicité, le ministère des Infrastructures publiques, responsable des constructions de l’État, soutient ne pas être au courant de la proposition de la PLDI.

Quelle est la suite ?

SOS Patrimoine en péril a demandé une injonction à la Cour suprême le 1er juillet. Cela, alors que les travaux de démolition avaient déjà débuté. La requête devrait être dé- battue le 10 juillet. Mais La School ayant déjà été rasée, à quoi sert donc l’injonction ? «Nous réfléchissons à la prochaine étape», s’est contenté de dire Thierry Le Breton, président de l’association. Avec les hommes de loi et juristes qui défendent cette cause, SOS Patrimoine en péril devrait apporter plus de précision sur la législation régulant la sauvegarde des monuments. Pour Thierry Le Breton, le NHF a failli à sa tâche en laissant les autorités procéder à la démolition de La School.

«Nous demandons un inventaire de tout ce qui a été récupéré», annonce-t-il. L’escalier de cette bâtisse est aussi sous haute surveillance. «C’est un escalier en spirale unique dans l’océan Indien et nous ne laisserons pas cela être dilapidé», prévient Thierry Le Breton

Patrimoine : source d’économie

Krish Seetah, professeur en anthropologie à Stanford et d’origine mauricienne, est actuellement à Maurice pour une étude. Il estime la décision de raser La School déplorable. «Cette décision a été prise à la hâte. Le fait qu’il n’y ait pas eu de notice annonçant sa démolition, ni même des débuts de consultations quant à une éventuelle reconversion, le prouve. Même les procédures ont été bafouées !» fustige-il. Selon son analyse, la démolition de l’édifice ne sera béné- fique que dans le court terme. La sauvegarde du patrimoine, surtout pour un pays, dont une bonne partie de l’économie repose sur le tourisme, est primordiale. «L’année dernière, les revenus européens par rapport au patrimoine et monuments a été de 643 milliards d’euros, soit 13 % du PIB», affirme-t-il. «Maurice est riche en héritage historique, mais a du retard quant à la valorisation de ses biens, surtout que de tels bâtiments ne sont plus érigés de nos jours», poursuit le professeur.

Les monuments classés n’ont pas qu’une valeur économique. Krish Seetah estime qu’une nation se construit et se retrouve aussi derrière son histoire et de tels bâtiments contribuent à la construction du tissu social. Mais le laxisme des autorités face à ce type de problème n’aide pas à avancer dans ce sens.

Que dit la loi ?

Ce débat est sur le tapis depuis le mois d’avril, lorsque la démolition de La School avait été annoncée. Le ministère et le NHF s’accordent à dire que le bâtiment ne figure pas sur la liste des monuments classés et de ce fait, la raser ne pose aucun problème.

Les monuments sont régis par le National Heritage Fund Act. Cette loi, datant de 2003, définit un monument comme étant «any structure of cultural significance, remains of such a structure, building or group of buildings, which, because of its homogeneity or its place in the landscape is of outstanding value». Mais lorsqu’il s’agit de protection ou de prohibition de dégrader, les monuments ne sont pas concernés. Il n’y a que les bâtiments dits «national heritage» qui sont pris en compte par la loi.

À un moment, La School arborait une plaque annonçant qu’elle était sous la protection de l’Ancient Monuments Act. Cette loi puise ses origines dans une ordonnance datant de 1938, date à laquelle la première régulation en ce qui concerne les bâtiments avait été émise. C’est à ce moment que le bâtiment aurait été classé. Le patrimoine était alors géré par le Comité des souvenirs historiques. Le comité siège jusqu’en 1964, puis est dissolu. S’ensuivent alors deux décennies de vide. «Entre le comité qui a travaillé pendant presque un siècle et le Monuments Board qui a été créé en 1985, le statut de certains édifices a changé», explique Philippe La Hausse de Lalouvière, ancien président du National Heritage Trust Fund (ancêtre du NHF). Malgré la plaque, il se peut que le bâtiment en question ne soit pas classé, comme La School.

Mais Alexandre Barbès-Pougnet, juriste, n’est pas de cet avis. «La School portait une plaque stipulant qu’elle était protégée par la loi. C’était un bâtiment du ministère. Que faut-il de plus pour prouver qu’elle était classée ?», demande-t-il.

En ce qui concerne l’absence d’affichage du permis de démolition, le lord-maire, Daniel Laurent, explique que le terrain et la nouvelle construction appartiennent au gouvernement et de ce fait, exemptés de permis et d’obligation d’affichage pour les démolitions et constructions.