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Zulaika Sunthbocus: «Que l’État agisse en facilitateur auprès des entreprises pour l’innovation»
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Zulaika Sunthbocus: «Que l’État agisse en facilitateur auprès des entreprises pour l’innovation»
Votre entreprise s’est dotée d’un département de recherche et de développement depuis sa création. Parleznous de votre expérience ?
Notre ADN depuis nos débuts, c’est l’innovation. En 2009, nous avons été les premiers à lancer le CRM (Customer Relationship Management) dans le Cloud (Lire lexique). Notre modèle se décline en trois volets. Le premier consiste à développer des projets en marque blanche, c’est-à-dire que nous concevons des produits et services que nos clients vendront sous leur propre marque. Le deuxième niveau consiste à développer nos propres produits. Nous en avons d’ailleurs lancé un sur la gestion des images qui est disponible sur des plateformes de ventes en ligne telles que l’Appstore. Le troisième volet consiste à travailler avec des experts et techniciens étrangers pour qu’ils viennent développer leurs produits à Maurice. Pour nous, l’innovation passe par le Cloud. Nous travaillons avec des progiciels qui le permettent. Nous ne lésinons pas non plus sur la formation de notre personnel.
Quelles ont été les retombées de cette stratégie ?
Nous avons construit des équipes composées de professionnels hautement qualifiés, du même niveau que des étrangers sur le Cloud. Nous avons également gagné en crédibilité auprès de nos clients. Ils savent que nous avons l’expertise. Nous avons eu un très bon retour au niveau du marketing aussi. Salesforce, le partenaire stratégique avec lequel nous travaillons, nous reconnaît même comme un innovateur dans son système. Cela nous aide à nous faire connaître et nous offre donc plus de visibilité.
«Le gouvernement a compris les enjeux de l’innovation pour le pays. Mais ce qui serait bien, ce serait l’accompagnement»
L’incidence de ce choix de stratégie d’innovation sur votre entreprise a été conséquente. Qu’est-ce qui explique que la plupart des entreprises n’en fassent pas autant ?
Je pense qu’il y en a qui le font. C’est une tendance qui se précise de plus en plus. Mais nous constatons également un manque de connaissances sur l’importance de la recherche et le développement ainsi que de tout ce qui entoure l’innovation. Je pense les gens sont encore dans une logique où ils font de l’innovation de manière informelle mais n’ont pas encore franchi le pas pour le faire de manière structurée comme nous l’avons fait. Ils sont encore en mode marque blanche sans trop l’affirmer. Pourtant, on observe de plus en plus d’engouement pour les nouvelles technologies, qui est un des moyens par lesquels passe l’innovation. Les gens s’y intéressent de plus en plus. Il y a eu par exemple l’Innovation Forum de Huawei qui s’est tenu il y a quelques mois, ou encore celui sur l’Internet of Things à l’université de Maurice. Il y a de plus en plus de conférences sur la recherche et l’innovation, mais cela n’est pas encore ancré dans nos moeurs.
Le gouvernement a annoncé une série de mesures, notamment une réorganisation du Mauritius Research Council et des mesures fiscales en faveur de l’innovation. Qu’en pensez-vous ?
Le plus important, c’est de comprendre que la recherche et le développement se font surtout au niveau des entreprises privées. C’est ce que l’on constate lorsqu’on regarde autour de nous. Ce qu’on aimerait, c’est que l’État agisse plus en facilitateur. Le Budget annonce effectivement le relooking du Mauritius Research Council qui deviendra le Mauritius Research and Innovation Council. Il y également une dizaine de mesures qui ont été annoncées pour construire une économie numérique et innovante. On sent que le gouvernement a compris les enjeux de l’innovation pour le pays. Mais ce qui serait bien, ce serait l’accompagnement, voire l’octroi d’une subvention dans certains cas. Pour l’heure, l’accompagnement n’est pas suffisamment présent. Parmi les mesures qui ont attiré notre attention, il y a également l’Innovator Occupation Permit. Cette mesure, en particulier, est intéressante pour nous car elle correspond à ce que je disais plus tôt sur notre troisième modèle d’innovation. Cela peut attirer des innovateurs à Maurice.
N’est-ce pas un énième effet d’annonce ?... Cela fait plusieurs années déjà que le gouvernement parle d’inculquer l’innovation au niveau national…
On aimerait que tout cela se concrétise. Parce que, franchement, tous les ans le gouvernement propose de nouvelles mesures. Au Budget 2016-17, on avait également parlé d’innovation, mais pas avec autant de mesures que dans celui de 2017-18. On voit bien que le gouvernement est de plus en plus conscient de l’importance de l’innovation et de la recherche. Mais il faudrait que les mesures soient mises en oeuvre. Que le gouvernement comprenne aussi que, même s’il ne contribue pas financièrement, ses initiatives, notamment en termes d’octroi de permis, faciliteront la démarche d’innovation au niveau national.
«Si, à ce jour, une série de mesures ont été proposées mais que rien n’a été appliqué, c’est peutêtre qu’il manque une équipe de suivi.»
Quelles sont les mesures d’accompagnement qu’il faudrait instaurer selon vous ?
Les entreprises devraient déjà prendre conscience de l’importance de la numérisation (digitalisation) pour leurs business. Il faudra impérativement passer par là pour développer notre économie. De plus, il faudrait instituer des plateformes d’accompagnement pour des incubateurs de startups innovantes comme La Turbine, des plateformes qui comprendraient leurs besoins et qui les aideraient en ce sens. Si, à ce jour, une série de mesures ont été proposées mais que rien n’a été appliqué, c’est peut-être qu’il manque une équipe de suivi. Il faut qu’il y ait une équipe qui connaisse bien le domaine de la recherche et de l’innovation pour s’assurer du suivi et de la concrétisation des mesures.
Dans le secteur informatique, la recherche et l’innovation sont presque monnaie courante. Comment faire pour le promouvoir dans d’autres secteurs d’activités ?
Je pense qu’aujourd’hui, plusieurs secteurs font déjà de l’innovation. Si je prends le cas du gagnant du Tecoma Award, Yan Mayer, il est dans l’innovation dans le domaine agricole. Idem pour le domaine de la santé. La clinique de chirurgie esthétique à Trou-aux-Biches en est un exemple concret. À l’université par exemple, il y a un laboratoire de R&D. Peut-être que ces projets ne sont pas suffisamment médiatisés.
Il faut aussi souligner que la numérisation ne concerne pas uniquement l’innovation dans l’informatique. On peut aussi faire de l’innovation dans un autre secteur avec l’aide de l’informatique. À notre niveau, par exemple, on travaille avec une teinturerie- blanchisserie en France. On y a installé des puce RFID (Radio Frequency Identity) pour une traçabilité totale des vêtements qui entrent et qui sortent. Le frein se situe, sans doute, au niveau de la perception. Les gens ne voient pas forcément le retour sur investissement que peut représenter l’informatisation de leur processus industriel. Il faudrait peut-être davantage de communication en ce sens. Autre idée intéressante : une subvention pour les entreprises qui veulent moderniser leur outil de production. L’objectif est d’améliorer la profitabilité des entreprises mauriciennes tout en allégeant la pénibilité de certains travaux.
«Les gens ne voient pas forcément le retour sur investissement que peut représenter l’informatisation de leur processus industriel.»
Ne faudrait-il pas construire une plateforme de partage des idées dans la société civile ?
Cela serait bien, mais il faudrait surtout s’assurer que les idées se concrétisent. C’est bien de réunir toutes les parties prenantes de l’écosystème. Il faudrait faire un suivi et accompagner et voir comment les solutions innovantes ont aidé les entreprises et le médiatiser. Pour l’heure, ce n’est pas encore ça.
Maurice peut-il aspirer à devenir un «Innovation Hub» comme l’ambitionne le gouvernement ?
L’innovation étant basée sur l’infrastructure réseaux informatiques, je pense que Maurice est bien placé. Bien sûr, il y a encore des améliorations à apporter. Le secteur des télécommunications bouge assez vite. Maurice est également connu à l’étranger, plusieurs universités veulent s’y installer. On a le potentiel, mais c’est l’exploitation de ce potentiel qui pas encore au point. Il faut du concret, pas que des idées. De plus, dans le secteur informatique, Maurice n’a d’autre choix que de choisir un positionnement différent. On ne pourra pas concurrencer les pays comme l’Inde. On devra offrir des services et produits de luxe, à la pointe de l’innovation car on ne peut pas faire du service de masse.
Pour se faire connaître dans le secteur de l’informatique, Maurice dispose d’un tissu fiscal stable et attrayant, qui attire les innovateurs. L’infrastructure aussi y est. Le niveau éducatif est bon. La position géographique est très bien aussi. Toutes les conditions sont réunies pour devenir un hub de recherche. Il faudrait, peut-être, renforcer la protection des données par rapport au Cloud, puisque certains ont exprimé leurs craintes par rapport à la protection de leurs données. Bien entendu, on n’attend pas tout de l’État, il est aussi du devoir de chaque entreprise d’investir dans l’innovation.
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