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Tradition: mieux connaître la danse chagossienne

1 août 2017, 23:30

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Tradition: mieux connaître la danse chagossienne

La ravanne a résonné fort à Pointe-aux-Sables samedi matin. Ses battements étaient accompagnés de chants qui ont attiré pas mal de monde au siège du Chagos Refugees Group (CRG). Ces personnes se sont regroupées pour admirer le spectacle. Une troupe de séga traditionnel des Chagos s’est alors lancée dans une démonstration. 

Si la semaine précédente, ces mêmes lieux avaient accueilli la cuisine traditionnelle chagossienne, le week-end dernier, c’était au tour de la danse, du chant et des instruments de musique. «Chaque semaine, nous proposons des ateliers qui ont pour but de transmettre aux deuxième et troisième générations de Chagossiens les connaissances des aînés», explique le Dr Laura Jeffery, anthropologue à la tête de ce projet. Si le séga traditionnel chagossien a des points communs avec le séga mauricien, on note toutefois des différences. «Lors de la danse du séga chagossien, les pieds des danseurs doivent rester collés au sol. Le séga tambour, qui est présenté ici est la base. On retrouve ce séga dans d’autres îles telles que les Seychelles et Rodrigues, mais dans la culture chagossienne, il y a aussi d’autres types de chansons comme santé zavi- ron que les Chagossiens entonnaient quand ils se déplaçaient d’une île à l’autre, les notes de cette musique allaient de pair avec les mouvements des rames. Il y avait aussi santé zanfan pour marquer les naissances et santé la mort lors des décès. Il existait toute une variété de chansons en fonction des évènements sociaux. Cette culture est encore vivante. Sonn, le conteur de la communauté des Chagossiens, n’est malheu- reusement pas à Maurice actuellement car autrement, il nous aurait raconté des contes de chez lui. Ce qui est extraordinaire, c’est le fait que ce sont les Chagossiens de Maurice qui gardent ces traditions intactes», explique le professeur Vinesh Hookoomsing, linguiste et un des membres de l’organisation de ce projet.

Reprises non autorisées

Samedi dernier, c’est le séga tambour qui a battu son plein dans la cour du CRG avec la troupe Groupe Tambour Chagos, menée par Mimose Furcy. Cette troupe a fait la démonstration de ce type de séga pour les jeunes pré- sents. «J’ai quitté les Chagos à l’âge de 13 ans. C’est pour cela que j’ai composé le sega Mo ti ena 13 ans. Malheureusement aujourd’hui, bon nombre de personnes l’ont repris. Je n’ai jamais abandonné ma culture. J’ai toujours le regret d’avoir quitté mon île. Je pense souvent au fait qu’à 13 ans, j’ai été exilée à Maurice. Ma chanson raconte ce que j’ai sur le cœur. C’est à travers la musique que nous partageons notre chagrin», explique Mimose Furcy, avant d’ajouter «nous continuerons à garder notre culture vivante. Nous avons déjà sorti un CD. On continue à chanter et à concevoir nos vêtements traditionnels. Personne ne nous changera.Mais il est dom- mage que nos chansons soient reprises sans notre autorisation. Cela fait mal car ce sont nos vies que nous racontons à travers ces chansons».

Les vêtements traditionnels des danseuses se composent d’un premier jupon étroit qui recouvre les cuisses, d’un autre jupon plus ample par-dessus. Au final, une jupe colorée, fendue sur le devant, recouvre le tout. «Lorsque nous dansons, nous tenons entre nos mains les deux pans de la jupe colorée et cela fait comme des ailes de papillon. Nous dansons toujours pieds nus et on porte le condé sur la tête. Le condé est une tradition des Chagos. Toutes les femmes en portaient autrefois. On le portait aussi bien pour aller travailler que pour aller à la messe ou pour danser. Nos condés sont différents de ceux qu’on retrouve à Maurice. La manière de les at- tacher n’est pas la même. Aux Chagos, les femmes portaient des condés blancs pour le travail et des condés colorés pour la danse», souligne Mimose Furcy.

Alors que la ravanne, le maravanne et le triangle rythment la cadence des jupes aux couleurs du Chagos Refugees Group (orange, noir et bleu), celles-ci virevoltent dans l’air. «Orange, c’est pour rappeler le ciel en feu des Chagos, le noir, c’est le signe de notre chagrin d’avoir dû quitter notre pays et le bleu, c’est le bleu infini du lagon des Chagos», rappelle Mimose Furcy.

Si la ravanne, le maravanne et le triangle sont similaires à ceux utilisés à Maurice, le rythme du musicien est toutefois plus lent. «À Maurice jusqu’ici, la ravanne était fabriquée avec la peau de cabri. Mais j’ai entendu quelqu’un dire que comme les peaux de cabris se faisaient rares, ils utilisent la peau des ânes», souligne le professeur Hookoomsing. Aujourd’hui, comme c’est le cas à Maurice, beaucoup de Chagossiens se tournent vers des ravannes synthétiques, faute de peaux.

Les instruments chagossiens s’enrichissent également du makalapo, du zes et du bobre. Ces instruments ont quasiment disparu à Maurice mais les Chagossiens tentent de les garder vivants. «Le makalapo était souvent utilisé aux Chagos lors de moments récréatifs et festifs. Les ségas étaient composés dans l’instant présent. C’était souvent des conversations. Chacun y ajoutait une phrase», se souvient Francis France, un natif de l’île Salomon.

Pour montrer aux jeunes comment utiliser ces instruments, un makalapo a été fabriqué dans la cour du CRG. «Il est composé de bois flexible, de fil en métal et d’un récipient que l’on enterre. Le récipient doit être en tôle de préférence pour que le son soit meilleur», explique Francis France, tout en s’asseyant pour montrer comment jouer du makalapo. «Le musicien doit pouvoir maîtriser à la fois le bois et le fil de métal pour faire naître une mélodie», souligne-t-il.

De son côté, Marcel Himbert fait une démonstration de zes et du bobre. «Le zes se joue comme une guitare tandis que le bobre a deux notes. Je l’ai reconstruit de mémoire. Les jeunes à Maurice ne jouent pas de ces instruments parce qu’ils ne les connaissent pas. C’est pour cela qu’il est important d’avoir ces ateliers», expliquent-ils.

La petite Emelyn Sowamber (photo) , âgée de dix ans, s’extasie devant la culture de ses grands-parents. «J’ai aujourd’hui appris comment les gens vivaient aux Chagos et j’ai pu voir les instruments de musique qu’ils utilisaient. J’ai appris à tirer des sons du makalapo et du zes. Je trouve que ce sont des instruments extraordinaires, qui donnent de jolis sons. Je ne les connaissais pas. Il a fallu cet atelier pour que je découvre ces instruments. On m’a aussi appris à danser le séga des Chagos. Dans le séga mauricien, nous faisons beaucoup de pas tandis que dans le séga chagossien, il y a toujours un seul pas et les pieds sont plaqués au sol», raconte-t-elle. 

Entre chants, danses et musique, à un moment, nous nous sommes cru aux Chagos où tous les samedis après-midi, le rythme du séga ponctuait les vies.