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Will Fitzgibbon: «Pas de transparence quand le gouvernement décide des informations à rendre publiques»

12 août 2017, 18:00

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Will Fitzgibbon: «Pas de transparence quand le gouvernement décide des informations à rendre publiques»

Will Fitzgibbon, du Consortium international de journalisme d’investigation (ICIJ), est à Maurice pour ce qu’il qualifie de «mission de reconnaissance». L’un des principaux journalistes d’investigation à travailler sur les Panama Papers, il enquête notamment sur le secteur offshore à l’international. Will Fitzgibbon se dit étonné de l’absence de la Freedom of Information Act (FOIA) à Maurice.

C’est votre première visite à Maurice ?

Non, j’étais venu il y a quelques années de cela, à l’occasion du mariage de mon frère ici. Mais il faut l’avouer, cela a beaucoup changé depuis. J’étais in and out en tant que touriste. Mais, cette fois-ci, c’est dans une toute autre perspective.

Quel est le but cette fois-ci ?

Je suis ici dans le cadre du travail continu de l’ICIJ concernant les Panama Papers et le secteur offshore. Aussi gros qu’a été ce dossier, il y a certaines parties du monde qui demeurent des paradis fiscaux avec énormément d’affaires encore cachées. Je suis là pour voir comment cela se passe sur le terrain et au sein du judiciaire. Poser des questions.

Vous avez mentionné l’offshore mauricien un peu plus tôt en liaison avec les Panama Papers. Qu’avez-vous découvert jusqu’ici ?

Maurice est un petit élément des Panama Papers. Venir ici, c’est surtout la volonté de parler aux différents acteurs de ce secteur et de voir comment c’est exactement sur le terrain. On s’est rendu à la cybercité. On a parlé à plusieurs personnes du secteur financier. On a vu la dynamique entre les différentes parties prenantes autour de l’île ainsi que les parties les plus sombres. Il suffit pour cela de faire un peu sa documentation en ligne, dans les journaux, pour voir qu’il y a des préoccupations chez certains acteurs du secteur.

Quelle a été votre impression jusqu’ici du secteur financier à Maurice ?

De l’extérieur, cela me paraît être une industrie très florissante. En tant que journaliste qui a beaucoup écrit sur le secteur, je sais que Maurice a été pas mal dans l’actualité relative à ce sujet. Je me retrouve ici en fait à un moment opportun car un ou deux mois de cela, Maurice a signé le Base Erosion Profit Shifting (BEPS) package de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Plusieurs personnes s’y intéressent de près. Elles se demandent si cela va aider à atténuer les critiques sur le secteur offshore ou si rien ne changera.

Vous pensez vous lancer dans une investigation sur Maurice ?

C’est encore trop tôt pour le dire. Le secteur offshore et celui du Global Business sont très complexes. Il y a beaucoup d’arguments pour, mais aussi énormément de critiques. Ce n’est pas un sujet qu’on peut traiter en quatre jours. Je suis ici pour connaître le contexte, rencontrer certaines personnes, faire des interviews.

L’ICIJ a un modèle assez étrange dans le sens où des fois cela prend au minimum six mois de travail avant qu’un sujet n’aboutisse. Donc on verra bien où cela nous mène.

En ce qui concerne l’ICIJ, que se passe-t-il au niveau des Panama Papers ?

En surface, certains diront qu’il y a eu le pic en 2016, ensuite rien. Mais, fouillez un peu plus, et vous verrez qu’il y a des histoires qui se déploient actuellement. Tout récemment, le Premier ministre pakistanais a dû démissionner de son poste. Il y a plusieurs enquêtes criminelles en cours. Les autorités du fisc sont en train de retracer des milliers de dollars. Donc, une grosse partie de notre travail consiste à suivre ces développements.

La force de notre réseau, c’est le travail collaboratif avec des journalistes du monde entier, surtout pour faire le lien dans le secteur offshore, et aussi faire remonter à l’international des histoires qui se seraient peut-être tassées au niveau local. Par conséquent, faire réagir des gens, faire bouger les choses pour avoir toujours plus de transparence.

Le gouvernement ou des institutions à Maurice vous ont-ils contactés depuis que toute l’affaire a éclaté ?

Il n’y a qu’une seule agence de Maurice qui a pris contact avec nous, alors que nous recevons des tonnes de requêtes du monde entier, du fisc, des institutions anticorruption, de la police, du judiciaire entre autres. Ils veulent avoir accès aux données mais l’ICIJ ne travaille jamais avec le gouvernement. Nous travaillons exclusivement avec des journalistes, comme avec ceux de l’express. Dans l’espoir que ces articles, ces pistes vont aussi avoir une retombée au niveau des institutions.

Mais bien sûr, Maurice n’est pas le seul pays où il n’y a pas encore eu de suivi. Vu que je suis ici, j’ai demandé à rencontrer la Mauritius Revenue Authority (MRA), justement pour voir ce qui a été fait depuis.

À la présentation du projet de Metro Express, malgré la demande (NdlR : question de Touria Prayag de Weekly), le Premier ministre a refusé de rendre public l’accord passé entre Maurice et la compagnie qui a obtenu le contrat. Cela en disant qu’il a déjà donné l’information nécessaire. Qu’en pensez-vous ?

La transparence n’existe pas quand c’est le gouvernement qui décide quelles sont les informations qui doivent être publiques ou pas. Que ce soit les Panama Papers ou d’autres investigations du genre, si ceux qui détenaient les informations pouvaient décider, par eux, quelles sont les informations qu’ils veulent nous donner, rien n’aurait pu être fait.

On attend depuis 975 jours que le gouvernement honore sa promesse de mettre en place une Freedom of Information Act. Vous, qui êtes basé à Washington DC aux États-Unis où il y a justement la FOIA, comment voyez-vous cela ?

Je trouve cela surprenant et difficile d’accepter que des journalistes fassent face à de telles difficultés. La FOIA est un outil crucial et central au métier de journaliste et au bien-être même de la démocratie. De pouvoir demander et recevoir des informations là où le gouvernement avait initialement refusé, pour tous les pays, en particulier ceux qui disent être des démocraties, c’est essentiel.

C’est incroyable pour un pays de se proclamer être une démocratie alors qu’il n’y a pas de liberté de la presse et où un citoyen n’a pas le droit d’accéder à des informations d’intérêt public. Je vois très mal quelles sont les raisons pour lesquelles Maurice n’a pas de FOIA alors que cela peut être extrêmement bénéfique au public. C’est un vrai défi que de travailler en ayant toujours l’ombre d’un procès pour diffamation sur la tête.

Quelle a été la dernière grosse information qui a filtré grâce à la FOIA récemment ?

Pas plus tard que ce matin (NdlR : l’entretien a eu lieu le vendredi 11 août), j’ai lu qu’un journal, passant par la FOIA, a demandé que l’État du Texas rende public l’argent dépensé au nom de l’État dans les hôtels Trump. C’est une question d’autant plus pertinente que ces hôtels sont au beau milieu de l’amalgame entre les fonctions présidentielles de Trump et ses intérêts privés.

Quelle est votre perception de la presse mauricienne ?

Déjà, visuellement, ça se voit que la presse ici est très vivante. Les journaux sont épais, contrairement à beaucoup de pays où la presse est en déclin. Comme dans tous les pays, et surtout en tant que journaliste venant de l’ICIJ, j’aurais aimé voir plus d’investigations afin que des histoires qui arrivent à Maurice puissent aussi trouver audience ailleurs. Surtout dans le domaine de l’offshore.