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Serge Constantin: la passion puissance maximale
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Serge Constantin: la passion puissance maximale
La biographie de l’artiste-peintre, décorateur-scénographe vient de paraître. Intitulée «Serge Constantin, le locataire du Plaza», elle est signée Bernard Lehembre.
Un «locataire» qui fait presque figure de propriétaire. C’est l’une des images marquantes de Serge Constantin, le locataire du Plaza. La biographie de l’artiste-peintre, décorateur-scénographe, signée Bernard Lehembre, a été lancée la semaine dernière. Une semaine avant le début de la rétrospective Serge Constantin, qui marque le centenaire de sa naissance (voir calendrier hors texte).
Un locataire quasiment propriétaire parce que Serge Constantin compte 50 ans de vie au théâtre municipal de Rose-Hill, de 1949 à 1998. Il hante le grenier, où se trouve son atelier. Il y donne des cours de peinture, y boit le thé avec ceux qu’il admettait dans le cercle. Il incarne l’institution. Il «réclame une subvention qui permettrait un programme moins chargé». Aux responsables, il lance : «Vous traitez ce théâtre comme une prostituée qui n’a même pas le temps de se laver !» Parmi les marques qu’il y a laissées : la fontaine, conçue avec Nirmal Hurry, qui, au gré des sécheresses, s’efforce de couler devant le Plaza.
Cette biographie nous restitue une époque où le théâtre du Plaza était vivant. Bruissant des répétitions de saisons lyriques, de créations de pièces de théâtre en anglais, en français et en créole. Ce compte rendu détaillé des œuvres qui ont existé entre les murs du plus grand théâtre de Maurice ne fait qu’accentuer le vide et le silence, accumulés depuis 13 ans. Treize ans depuis que le théâtre du Plaza est fermé.
La biographie ne sombre pas dans la nostalgie. Elle suit un homme, pas à pas. De l’enfant de Port-Louis devenu fonctionnaire municipal. Succédant à Max Boullé et responsable des décors du théâtre. Les mots «fonctionnaire municipal» prennent une tout autre dimension avec Serge Constantin. Aux antipodes de la caricature du mollasson, attendant que la journée se termine.
Exigence jusqu’à l’acharnement
Quand Serge Constantin prend son poste au Plaza, en 1949, il comprend que Jean Alleaume, le décorateur du théâtre de Port-Louis, est un «rival potentiel». C’est le début d’un sacerdoce, d’une mission. D’une exigence poussée jusqu’à l’acharnement. Tant pis pour les coups de gueule avec Malcolm de Chazal, Yves Forget et d’autres. Il déteste «avoir recours à des arrangements scéniques (…) en employant des éléments «déjà vus», nécessitant de sa part des prodiges d’imagination pour changer leurs aspects».
Serge Constantin, le locataire du Plaza, en plus de raconter l’histoire d’un homme, retrace celle d’une époque. Les artistes étaient-ils moins claniques ? Toujours est-il que Serge Constantin côtoie ceux de son époque. Pas uniquement dans la peinture, mais aussi dans le théâtre. Traversant les générations. S’adaptant autant aux saisons lyriques qu’à Li, Hair, Starmania.
Un projet à Rs 5 millions
La rétrospective Serge Constantin s’ouvre le 17 août. Elle durera jusqu’au 14 octobre. Trois expositions, des conférences, une biographie, le lancement d’un timbre commémoratif à l’occasion des 100 ans de la naissance de l’artiste. Une manifestation «coûteuse» qui, selon Rachel Constantin, mobilise «entre Rs 5 millions à Rs 6 millions».
Les couleurs du monde
Calendrier d’activités
<p>La rétrospective Serge Constantin du 17 août au 14 octobre propose des expositions gratuites et ouvertes à tous. </p>
<p>18 août au 14 octobre, Théâtre du Plaza, Rose-Hill : <em>«Serge Constantin (1917-1998), rétrospective. Les couleurs du monde». </em></p>
<p>24 août au 30 septembre, Institut Français de Maurice, Rose-Hill : <em>«Serge Constantin et l’art de l’estampe». </em></p>
<p>31 août au 15 novembre, Institute of Contemporary Art Indian Ocean, rue Desforges Port-Louis : <em>«Visions de Port-Louis, Constantin et ses amis».</em></p>
Questions à... Bernard Lehembre, biographe de Serge Constantin
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<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" src="/sites/lexpress/files/images/bernard_lehembre_0.jpg" />
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<p><strong>«Un peintre qui s’inscrit dans le courant de la modernité»</strong></p>
<h3>En tant que biographe, comment avez-vous abordé Serge Constantin, que vous n’avez jamais rencontré ? </h3>
<p>J’ai d’abord commencé à recueillir des documents sur l’art à Maurice. Avec Barbara Luc, historienne de l’art, nous avons rencontré 150 collectionneurs. Dans toutes ces collections, il y a huit artistes qui ressortent, du début du siècle dernier jusqu’à l’indépendance. Ce sont Xavier Le Juge de Segrais, Max Boullé, Gaëtan de Rosnay, Hervé Masson, Claude Béthuel et Serge Constantin bien sûr. Mais aussi Marcelle Lagesse et Maurice Ménardeau.</p>
<h4>Quelle est la particularité de Serge Constantin dans ce panorama de la peinture mauricienne ? </h4>
<p>Nous avons eu le bonheur de découvrir que la famille avait vidé son atelier du Plaza. Il n’y a pas tellement de toiles de Serge Constantin, mais beaucoup de croquis, de dessins et des carnets de voyage considérables. J’ai photographié 1 800 œuvres de Serge Constantin. Je ne suis pas allé jusqu’au bout. Philippe (NdlR : Phlippe Piguet, commissaire de deux des expositions de la rétrospective) en a consulté 2 000, pour tirer les 200 qui sont exposées. </p>
<p>Par la presse, nous avons pris connaissance des manifestations auxquelles il a participé. On s’est aperçu que Serge Constantin est arrivé pour la première fois, avec le groupe d’Hervé Masson en 1947, dans une exposition qui a fait beaucoup de bruit, parce qu’elle amenait l’École de Paris à Maurice et bousculait l’habitude de voir uniquement des paysages mimétiques. Là, c’était déjà un post-cubisme avec Hervé Masson. Serge Constantin s’inscrit déjà dans ce courant de modernité, où la peinture n’a plus à être mimétique, ni par les couleurs ni par le dessin. </p>
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<p>«J’ai photographié 1 800 œuvres de Serge Constantin.»</p>
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<p>Ensuite, nous avons recueilli d’autres témoignages. Serge Constantin est décédé en 1998, il y a pas mal de gens qui l’ont côtoyé, d’abord dans le milieu de la peinture, ensuite dans celui du théâtre. </p>
<h3>Dans la biographie, «Serge Constantin, le locataire du Plaza», quel aspect du personnage mettez-vous en avant ?</h3>
<p>Il a eu un début de vie difficile. Il n’en a jamais parlé. Je l’ai découvert dans sa correspondance avec des amis artistes, des juifs réfugiés à Londres, qu’il a côtoyés à la Central School of Arts and Craft. Il raconte des bribes de son enfance. Par exemple, quand sa maman n’avait pas 50 sous pour offrir un lit en ferblanc à Noël, à sa petite sœur. Durant la période de Noël, il est mal, dépressif. Cela lui rappelle la misère de son enfance et ses parents, qui étaient devenus alcooliques. </p>
<p>Il est orphelin à 17 ans. Avec son frère et sa sœur, ils sont hébergés par des oncles et tantes qui ne les ont pas maltraités mais pas traités comme leurs propres enfants. Ils étaient habillés avec les vêtements des cousins. Lui n’a pas eu droit à des cours du soir, alors qu’on en payait à ses cousins. Il fréquente le collège St Stanislas à Rose-Hill. Un de ses professeurs lui fait découvrir le théâtre shakespearien pour lequel il aura une grande passion. </p>
<p>De plus, un de ses oncles était féru d’art lyrique, comme la bourgeoisie à laquelle il appartenait. Il avait loué une loge à l’année au théâtre de Port-Louis. Il y allait les soirs de gala, c’est-à-dire pour se montrer, pas tellement pour le spectacle, en vérité. Mais il avait cette générosité de permettre à ses neveux et nièces d’avoir accès à la loge. C’est comme cela que Serge Constantin a vu tous les spectacles, sans avoir aucune formation. Il est devenu un mélomane autodidacte. </p>
<p>Quand on lui a confié les décors du théâtre du Plaza, il savait déjà ce qu’il ne fallait pas faire sur scène.</p>
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