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Enrichir l’ADN mauricien

22 août 2017, 13:25

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Enrichir l’ADN mauricien

Le défi des défis de la société mauricienne en ce début du 21e siècle est de pérenniser le vivre et le construire ensemble tout en l’enrichissant. Notre ADN, l’ADN mauricien, est le fruit d’une histoire longue de plus de trois siècles pendant laquelle des groupes venus des quatre coins du globe se sont installés pour construire une société traversée par des contradictions, des souffrances, des luttes, des opportunités, des crises, des sorties de crise et des avancées. Si tout le monde s’accorde sur la résilience de notre vivre-ensemble, il ne faut nullement le prendre pour acquis. Le défi aujourd’hui est complexe, et il faut bien en saisir le sens profond, de même que ses dimensions. 

La situation à la veille du 50e anniversaire de l’Indépendance est inquiétante, troublante. Et nous pesons nos mots. Les dynamiques qui la travaillent sont dangereuses, voire mortifères. Sur tous les fronts il y a des raisons de s’inquiéter : les inégalités croissantes, la précarité, la pauvreté et l’extrême pauvreté; la drogue avec ses mafias qui ont infiltré les institutions ; l’État – ou plus précisément le mauvais état – de la gouvernance et l’étendue de la corruption; les violences latentes et manifestes, verbales et physiques. 

 

Modèle sociétal et valeurs

 

Le modelé sociétal et les valeurs qui le sous-tendent constituent une dimension de base. Est-il nécessaire d’insister sur le fait que, tout au long de notre histoire, la soif de justice a été une constante qui a donné lieu à des luttes et des combats sur de nombreux fronts ? Cette soif se traduit par un refus d’une justice à deux, voire à plusieurs vitesses. Une autre valeur fondamentale est l’égalité des chances et d’espérances. Il va sans dire que ces valeurs ne se décrètent pas mais doivent se traduire dans des pratiques concrètes, tant au sein des institutions et organisations publiques que privées. Une politique volontariste s’impose afin de tout mettre en œuvre pour en finir avec ces «ismes» pollueurs que sont le népotisme, le favoritisme, le clanisme et le «noubanisme» qui rongent notre société et entraînent frustrations individuelles et de groupe. Le «noubanisme» n’est pas le fait des seuls politiques. Les institutions du privé sont autant concernées. Confrontées à la mise en pratique, des initiatives dans le sens de la promotion des valeurs modernes donnent à penser que, souvent, elles obéissent à du «politically correct» quand ce n’est pas du simple «lip service»

Socio-économie et vivre-ensemble

Dans toute société, la population – toutes ses composantes – aspire à satisfaire ses besoins de base. Elle a des attentes et des aspirations pour améliorer sa qualité de la vie et préparer l’avenir de ses enfants. Le modèle de développement suivi depuis quelques années engendre des inégalités croissantes. La pauvreté et l’extrême pauvreté s’amplifient aussi parce que les initiatives et plans imaginés pour en venir à bout n’ont pas donné les résultats escomptés. Nous sommes en train de jouer avec le feu.

Quelques semaines avant les émeutes de 1999, certains analystes et observateurs avaient évo- qué la résilience de notre société pour dire qu’elle était à l’abri d’une révolte. Or, notre lecture à l’époque était que février 1999 a été une «révolte des exclus» qui a très vite dérapé pour se transformer en bagarre communale. 

Nous l’avons échappé belle en février 1999. Mais ce danger existe bel et bien même si la souffrance et la colère sont latentes aujourd’hui. Le malaise social s’est généralisé et il est plutôt question, maintenant, de dépression sociale et de risque d’implosion-explosion. Les violences actuelles seraient, selon nous, les signes d’un processus d’implosion plus dangereux que la révolte. La polarisation de classe peut engendrer une situation où d’un côté se trouvent ceux qui ont tout à perdre car ils ont tout, et de l’autre ceux qui n’ont rien à perdre car n’ayant rien. Le vivre et construire ensemble c’est aussi de voir «pli lwin ki nou bout néné» et de bien intégrer la lutte contre tous ces maux. Cela dans un modèle socio- économique à inventer qui soit porteur et porté par tous. Notre destin commun ne peut se conjuguer avec un «aménagement du territoire» fondé sur la ségrégation socio-spatiale et le sentiment d’une majorité de Mauriciens se sentant devenir locataires dans leur pays, avec l’envahissement de multimilliardaires venus d’ailleurs. 

Maurice est un modèle pour le monde en raison de la coexistence de groupes ayant des différences culturelles et religieuses. Ces différences constituent une richesse qui est trop souvent ignorée en raison de l’exploitation et de l’instrumentalisation de ces différences par des sectaires et autres intégristes qui sont actifs dans notre société. Ces derniers sont des fossoyeurs. Leur idéologie sape les fondements même du vivre-ensemble et de la République. Là où cela se complique c’est quand la complicité des politiques avec ces forces intégristes et sectaires va jusqu’à des compromissions contraires aux valeurs et pratiques d’une république réellement moderne.

Cette dimension est centrale dans la problématique du vivre et construire ensemble, et nous tou- chons là à la nécessité de refonder la politique pour dire «non» à l’ethnopolitique et à toutes ses dérives. Ces forces sectaires puisent leur force dans le terreau socio-économique et acquièrent de l’importance par les politiques. Le vivre et construire ensemble passe par la refondation de la politique à Maurice – voir «Refondons la politique*». Des forces politiques plus ou moins nouvelles en ont fait leur cause ; et les initiatives en cours et à venir qui vont dans ce sens mé- ritent un soutien actif. 

C’est à l’Etat et à ceux qui le dirigent qu’il revient au final de créer l’environnement global nécessaire pour garantir l’égalité citoyenne dans tous les domaines. Ici, il convient de repenser notre laïcité comme principe de neutralité à l’égard des composantes de notre société. Il y a un travail de démystification, de sensibilisation et d’ouverture vers les autres à faire. On évoque souvent la tolérance. Il ne s’agit pas de tolérer mais de s’ouvrir et de s’enrichir des différences.

En finir avec l’ethnocentrisme réactionnaire

La révolution culturelle est devenue une urgence sociale car tout passe par elle. Nous avons plaidé pour cette révolution ici même le 15 mai 2017 (NdlR : «Projet de société : pour une révolution culturelle»). Elle passe par l’ouverture vers les autres ; ouverture qui commence par celle de nos esprits, bloqués, entre autres, par l’ethnocentrisme qui reste un réel problème. Cet ethnocentrisme trouve ses racines dans une phase d’hégémonie idéologique occidentale au niveau mondial, étalée sur plus de quatre siècles, et qui a sa déclinaison à Maurice, avec son lot de préjugés, de méconnaissances et de complexes de supériorité. 

La mondialisation en cours est en train de bouleverser la donne sur le plan culturel avec le retour en force de pays hors du champ occidental. Cet ethnocentrisme fausse un certain nombre de débats et provoque des incompréhensions et des tensions. À l’exemple des récents débats autour du patrimoine avec la démolition de La School. Il faut qu’on en finisse avec la conception dépassée que la culture et ses déclinaisons artistiques – le sens, le beau et autres – seraient le monopole d’un groupe ou d’une communauté. Dans l’environnement mondialisé qui se développe, l’ethnocentrisme est objectivement réactionnaire. De là à parler de racisme il n’y a qu’un pas, qui est vite franchi. L’ethnocentrisme doit, au nom du vivre et construire ensemble, être ex- posé, dénoncé si nous voulons nous enrichir de nos différences. Si nous voulons trouver notre place dans le nouveau monde, il nous faut nous adapter à sa nouvelle configuration non seulement économique mais aussi culturelle où l’influence occidentale ira en diminuant. Dorénavant, nourrir l’ADN mauricien signifie aussi que nous devenions des citoyens du monde. Il y a un potentiel qui existe chez les jeunes de la génération internet et d’un continent numérique en développement pour qu’ils puissent assumer leurs devoirs et responsabilités dans cette mouvance. Ils ont leur rôle à jouer pour pérenniser l’ADN mauricien. Nous approfondirons ce point dans une prochaine problématique : «Place aux jeunes»

«Al dan lari Porlwi, le vivre et le construire ensemble sont là», «Oui, les citoyens ordinaires vivent le vivre et construire ensemble», «Oui, c’est inévitable», disent des compatriotes en réaction à une question sur le vivre et construire ensemble. Ce qui est réconfortant. Cependant, il ne faut rien prendre pour acquis malgré la résilience dont notre société a fait preuve jusqu’ici. Ces temps-ci tous les ingrédients qui peuvent nourrir les forces actives souhaitant mettre à mal le vivre et construire ensemble sont présents. La résilience de la société mauricienne a ses limites. Il ne faut pas trop tirer sur la corde. Il y a une société à sauver. Il y a un pays à construire. Pour cela, il nous faut pérenniser le vivre et le construire ensemble. Que tous les acteurs du développement assument leurs responsabilités de manière concrète. Personne ne sera épargné par une descente aux enfers.

 

 

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