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Jason Soobrayen: «Pravind Jugnauth dit oui à tout et à tout le monde»

10 septembre 2017, 16:30

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Jason Soobrayen: «Pravind Jugnauth dit oui à tout et à tout le monde»

Son nom ne dit rien au grand public. Jason Soobrayen, 32 ans, cadre dans une entreprise d’outsourcing, a piloté pendant plus d’un an une officine de communication du MSM. Une année plus tard, alors qu’il vient de rejoindre le Reform Party, il raconte.

Commençons par le commencement : en 2015, à 30 ans, le MSM vous repère sur les réseaux sociaux et vous recrute. Comment ça s’est passé ?

L’histoire commence en 2014. À l’époque j’étais très actif sur Facebook, je postais beaucoup en partageant mes impressions politiques. Après la cassure MMM-MSM, je me suis rapproché de sir Anerood Jugnauth. Un rapprochement idéologique, pour ses valeurs, ses idées, je n’avais aucun contact physique avec la politique. Et puis on est entré en campagne, je postais de plus en plus. C’est là, je suppose, que j’ai été repéré. Début 2015, je suis invité à une session du comité central. J’y vais. Un «bazar» total…

C’est-à-dire ?

Il n’y a pas d’organisation, c’est de l’agitation et du brouhaha. Pas de tri non plus, c’est très ouvert, la seule condition est d’être pro- MSM – voilà comment des dirigeants du parti se sont fait photographier aux côtés de trafiquants de drogue présumés. Ce qui me marque d’emblée, c’est le côté passif : tout le monde est spectateur. Vous êtes là pour écouter religieusement des monologues : ceux de Pravind Jugnauth, Soodhun ou Bodha.

Vous l’avez fait combien de fois ?

Une douzaine de fois en un an et demi.

Qu’avez-vous vu de surprenant auquel vous ne vous attendiez pas ?

Le jour où Pravind a demandé d’éteindre les caméras. C’était avant les élections municipales de 2015. Comme à chaque comité central, les caméras du parti tournaient. Pravind demande d’arrêter, et là, il s’adresse directement aux dirigeants des organismes parapublics. Il leur demande de s’impliquer dans la campagne. Il leur fait comprendre qu’ils sont redevables envers le MSM et que le moment est venu de renvoyer l’ascenseur.

Plus personnellement, comment avez-vous été accueilli ?

Très bien ! Chaleureusement, même. Très vite, on me propose d’intégrer la régionale n°20, là où j’habite, je deviens de fait un membre officiel du parti. Au départ, j’étais fier et super motivé. J’ai vite déchanté. Je m’attendais à ce que ça bouge, j’avais imaginé un tourbillon de débats, d’idées, de réflexions collectives. En fait, rien. C’est léthargique. Toutes les décisions sont prises dans un cocon, personne n’a son mot à dire. Les chefs sont d’un côté, la base de l’autre, ces deux mondes ne se nourrissent pas. Je l’ai compris petit à petit, quand j’ai commencé à travailler sur la communication du parti.

Racontez…

Parallèlement à mon travail dans la régionale, j’étais responsable d’une cellule de communication. Une cellule informelle. Il s’agissait d’animer la page Facebook du parti. Mais pas seulement : je concevais toute communication online du MSM. On m’imposait des choses qui ne me plaisaient pas, sans discussion possible.

C’est qui «on» ?

(Embarrassé) C’est du passé, je ne veux pas faire de flammes.

À ce point ?

La personne dirige une grande entreprise de télécommunication. Elle n’est pas censée être en politique active.

Le CEO de Mauritius Telecom ?

(Silence)

Est-ce que vous nous dites que Sherry Singh est le patron des basses oeuvres de la propagande numérique du MSM ?

Aujourd’hui, je ne sais pas. Je ne parle que de ce que j’ai vécu.

Et qu’avez-vous vécu ?

Je recevais des directives de la «cuisine» qui me mettaient mal à l’aise, comme demander à un ségatier de composer une chanson insultante sur des adversaires politiques, organiser l’enregistrement, tout ça. Le patron des basses oeuvres, comme vous dites, je n’avais pas directement affaire à lui. Tout passait par des intermédiaires.

Étiez-vous payé pour ce travail ?

(Rire gêné) Oui, j’avais un salaire.

Un bon salaire ?

Hmmm, oui. Mais pas du MSM, de ses bailleurs de fonds.

Combien ?

Je ne le dirai pas.

Reprenons le fil de votre parcours. En 2016, après 16 mois de bons et loyaux services, bim : vous claquez la porte avec fracas...

Fracas, c’est vous qui le dites.

Je cite votre lettre de démission : «Les propositions de 2014 n’étaient qu’un funeste coup de marketing. […] La famille passe avant tout et la méritocratie est balancée à la poubelle au profit d’un clan restreint.» Un peu rude, non ?

C’est ce que j’ai ressenti de l’intérieur. Dans cette lettre je parle surtout des engagements non respectés, de l’absence de cap politique, des incompétences qui nuisent à la population. Un an plus tard, les faits me donnent raison. La gestion calamiteuse du Metro Express, pour ne citer qu’un exemple, est un condensé de tout ça. Les gens oublient vite : hier encore un miracle économique était promis, aujourd’hui on exproprie les gens à coup de bulldozers. Est-ce que j’ai eu raison trop tôt ? C’est possible. J’ai côtoyé ce gouvernement pendant un an et demi, je sais de quoi il est capable, mais surtout de quoi il est incapable.

Cela ne vous gêne pas de cracher dans la soupe que vous avez bue ?

C’est le MSM qui a craché dans sa propre soupe ! Moi, j’ai rejoint ce parti parce que je croyais au programme. Je n’ai pas «signé» pour la famille, les maîtresses ou le métro léger.

Il y a un mois, vous intégrez le Reform Party. Pour prendre une revanche ?

Absolument pas. Ce sont les idées qui m’ont séduit. J’avais été approché une première fois au moment du lancement du parti. J’ai dit non. La proximité avec Xavier-Luc Duval me dérangeait, c’était en contradiction avec le discours officiel de se tenir à l’écart des dinosaures et des dynasties. Quand Roshi Bhadain s’est dissocié du PMSD, je suis venu. Nos trajectoires se ressemblent, nous avons eu des responsabilités au MSM, on a eu le courage de lâcher nos statuts et nos privilèges – même si pour moi c’était à l’étage inférieur.

Quelle est la différence majeure, à vos yeux, entre Roshi Bhadain et Pravind Jugnauth ?

(Direct) Le charisme. Pravind Jugnauth n’en a pas. Les rares fois où l’on s’est retrouvé en tête à tête il disait oui à tout. Il est comme ça, il dit oui à tout et à tout le monde. Il a le charisme d’un fonctionnaire (sic).

Sympa pour les fonctionnaires…

Je veux dire qu’il peut travailler sous les ordres de quelqu’un, mais diriger, ce n’est pas son truc. Pravind Jugnauth n’est pas un leader, c’est un suiveur, celui de son père. Gérer des équipes, et a fortiori un pays, n’est pas naturel chez lui.

C’est quand même dingue qu’un (presque) puceau politique fasse la leçon comme ça. Elle vient d’où, cette confiance ?

J’ai commencé très bas dans la vie, comme agent téléphonique dans un call center. Je suis devenu chef d’équipe, formateur, et aujourd’hui responsable de la formation. Contrairement à d’autres, je ne suis pas né avec une cuillère en argent dans la bouche.

L’expérience MSM a-t-elle été formatrice ?

Absolument. J’ai appris à m’affirmer, à oser dire non, à avoir le courage de mes convictions.

Parlons de votre nouveau parti. C’est sérieux cette pétition anti-métro ?

Complètement. Vous en doutez ?

Vous ne pensez pas que l’administration indienne a d’autres chats à fouetter ?

C’est mal poser le problème. Il s’agit de dire au gouvernement indien : souhaitez-vous financer une catastrophe annoncée ? Cette pétition peut faire bouger les choses. D’autant plus que Roshi Bhadain n’est pas un inconnu à Delhi. Il a été reçu plusieurs fois au ministère des Finances.

Admettons que cette pétition fasse un carton, pensez-vous que 40 000 signatures vont émouvoir un pays d’un milliard d’habitants ?

En tout cas, j’espère que le gouvernement indien a plus de discernement que vous. Quarante mille signatures, à l’échelle de Maurice, c’est beaucoup. Si toute une circonscription – ou une grande partie – dit non, cela fera réfléchir les Indiens, qui ne voudront pas être complices d’un projet rejeté par les Mauriciens.

Qu’est-ce qui vous dit que la population rejette ce projet ? Les Mauriciens sont contre l’amateurisme et la brutalité vus à La Butte et à Barkly, mais sont-ils contre l’infrastructure métro ?

Les faits sont là : ce gouvernement a été élu haut la main et à aucun moment il n’a été question que le métro se concrétise. Durant la campagne, c’est même l’inverse qui a été dit. Dans le manifeste électoral, ça tient en une demiligne : on parle, je cite, de ‘revoir la viabilité du projet’. C’est une autre solution qui est mise en avant : la construction de fly-overs à des points stratégiques. Donc, le métro n’a jamais été une priorité ; la priorité, c’est la décongestion routière. Le métro n’est pas la solution adaptée, ne serait-ce que par les chambardements générés sur le réseau routier, et les risques qui en découleront.

Revenons à la calèche, c’est plus sûr…

Revenons à des solutions plus modestes qui ont montré leur efficacité ailleurs : les double-decker buses, par exemple.

Une dernière question : le facebookeur que vous êtes regrette-t-il d’avoir induit ses «friends» en erreur ?

Soyez plus précis…

Le 6 mai 2015, en pleine campagne municipale, vous postiez ceci : «Voter l’alliance Lepep, c’est voter la stabilité, la productivité, l’impartialité, l’honnêteté et la proximité.»

Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Ou les yes men. Ou les suiveurs aveugles. Ou les fanatiques sans cervelle. C’est ce que j’ai choisi de ne plus être. Donc non, aucun regret.

Quelle est la nuance entre changer d’avis et retourner sa veste ?

Retourner sa veste, c’est trahir. Changer d’avis, c’est grandir.

Qu’est-ce qui nous dit qu’un jour vous ne balancerez pas sur Reform Party comme vous l’avez fait sur le MSM ?

Ça n’arrivera pas, je peux vous le garantir. Parce que ce serait me déjuger. Ici, il n’y a pas un chef qui décide de tout et des marionnettes autour, on travaille en équipe, on discute, on s’aide, on se respecte. Si Reform Party foire, c’est Jason qui foire.