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Barlen Pyamootoo, la pêche aux complications

12 septembre 2017, 00:15

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Barlen Pyamootoo, la pêche aux complications

Pour son quatrième roman, Barlen Pyamootoo orchestre la disparition d’un commerçant. «L’île au poisson venimeux» vient de paraître aux Éditions de l’Olivier.

Une disparition inexplicable. Qui, à la fin, ne reste pas inexpliquée. Pourtant, ce n’est pas une fin heureuse que ménage Barlen Pyamootoo dans L’île au poisson venimeux. Mais une histoire tortueuse, avec une boucle dans la boucle. Son quatrième roman vient de paraître aux Éditions de l’Olivier. 

Boucle parce que le personnage central – Anil le disparu, Adil le retrouvé – quadrille l’île dans une errance volontaire. «(…) Apprenti tailleur à Péreybère, gardien de phare à Albion, jardinier à Bambous, manoeuvre à Tamarin et aide-cuisinier à Britannia. Il avait même été clochard à Souillac et à Surinam.» Dérive physique, en quête de lui-même. Avant d’échouer derrière la caisse d’un magasin de vêtements, à Mahébourg. C’est-à-dire un retour à la situation qu’il a quittée à Flacq : commerçant sédentaire et père de famille. 

«Personnages croqués avec justesse, ce qui leur donne de l’épaisseur»

La majeure partie de cette course où l’on tourne en rond se déroule à Flacq. Village-ville que l’auteur reconstruit au gré de ses préférences de côtier. Car de son Flacq à lui, on voit la mer, les pêcheurs, même la rade. À charge pour le lecteur mauricien d’oublier ses repères, pour se perdre dans les méandres d’une société régie par des préjugés rigides et une police qui n’a que faire d’un disparu anonyme. 

Ce que l’on reconnaît par contre, c’est la peinture des moeurs. Les personnages sont croqués avec une justesse qui leur donne de l’épaisseur. Comme dans le cas du beau-père de Mirna, le père d’Anil. Pour Vinod Ramloll, la disparition de son fils, «a compromis sa réputation et couvert de honte la famille». Ton lourd de reproches pour dire : «C’est moi qui lui ai acheté le magasin après ses études.» Récriminations sur le compte de Mirna, la femme de son fils : «Vous pouvez être sûr, d’ici la fin de l’année, elle prendra un nouveau mari, les prétendants ne manqueront pas et elle ne résistera pas plus de trois mois à leurs avances, c’est fatal avec les traînées.» 

Mirna se remariera effectivement, après deux ans. Avec le député Om Prakash. Un gentleman, mais dont le discours a des relents de castéisme. Les boucles ne sont pas que dans la trame. Elles sont aussi dans la manière de dire de Barlen Pyamootoo. Une écriture caractérisée par les longues phrases aux virgules multipliées. La première page du roman, c’est deux phrases et une troisième qui s’achève à la page suivante. On sent chez l’auteur l’envie de tout dire, d’assembler patiemment les idées, les sensations, pour être au plus près de son sujet. 

Le lecteur doit parfois s’y reprendre à deux fois, quand il se perd dans les conjonctions. Ce qui nous pousse à nous demander si la littérature – un effort de construction de la part de l’auteur – exige le même effort de (dé)construction du lecteur. Lecteur inondé au quotidien par les textes courts, concis, efficaces, quand ils ne sont pas spontanés et superficiels. Comment la littérature peut-elle se démarquer de tous les écrits qui nous submergent ?

L’île au poisson venimeux : Extrait 

<p>&laquo;Quel besoin avait-il de parler de cadavre, s&rsquo;est demandé Raffa, et pourquoi sur le ton de la farce ? Il a fermé les yeux en cachette pour retrouver son sang-froid, il pouvait toutefois sentir le désarroi de Mirna, qui mordillant ses lèvres pour étouffer un sanglot, a sorti une photo d&rsquo;un sac en tissu posé sur ses genoux. Elle l&rsquo;avait décollée peu après sa douche du dernier album qui datait quand même de plusieurs années, elle se doutait bien qu&rsquo;on lui demanderait de quoi Anil avait l&rsquo;air, et du bord de la chaise l&rsquo;a tendue au sergent avec des yeux qui inspiraient autant de compassion que ceux de son mari. Sans la regarder, sans doute par déférence, il l&rsquo;a remise à l&rsquo;inspecteur qui, la fixant avec un semblant d&rsquo;allant, a trouvé que c&rsquo;était un bel homme qu&rsquo;un rien devait habiller. Et il a voulu savoir s&rsquo;il avait physiquement changé et quels vêtements il portait à midi, ça aiderait à mieux le pister. Mirna a dit qu&rsquo;il était coiffé comme sur la photo, avec une raie soignée au milieu, et qu&rsquo;avant de quitter la maison il s&rsquo;assurait qu&rsquo;il était rasé de près, sauf le dimanche et les jours fériés. Il portait au cou une chaîne en or jaune et massif avec un médaillon qui renfermait sûrement le portrait de sa mère, elle n&rsquo;en savait rien à vrai dire, elle aurait dû lui demander, une chemise crème à fines rayures beiges, une alliance en argent plaqué d&rsquo;or rouge au majeur de la main gauche depuis pas mal d&rsquo;années, parce que son annulaire avait maigri, mais pas son ventre qui avait plutôt enflé, à force, supposait-elle, de grignoter des pistaches et de rester assis toute la journée ou presque derrière sa caisse, et un pantalon de lin paille qui tirait sur le blanc au soleil et qu&rsquo;elle lui avait offert en mars pour son anniversaire, et c&rsquo;était la première fois qu&rsquo;il le portait.&raquo;</p>