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Anushka Virahsawmy : «Ravi Rutnah doit se faire soigner»

24 septembre 2017, 17:49

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Anushka Virahsawmy : «Ravi Rutnah doit se faire soigner»

L’autre Ravi du moment est moins larmoyant, mais plus insultant. Mardi, le député Rutnah éructait en mode pitbull un «fémel ki pa vo enn fémel lisien» à une journaliste venue l’écouter lors d’un congrès. Répugnant? Peut-être, mais plus certainement symptomatique d’une «misogynie ordinaire» aux effets ravageurs. C’est la lecture d’Anushka Virahsawmy, militante pour l’égalité des sexes. Interview mal de chien.

Vous a-t-on déjà traitée de chienne?

Jamais et heureusement. Parce que ma réponse ne serait pas jolie.

Après les insultes du député Rutnah contre une journaliste de «l’express», vous avez pris la plume pour écrire au Premier ministre et exiger «ki labouss bann swadizan leader pa pi». Œil pour œil, croc pour croc ?

Ce n’est pas une question de surenchère, mais tout ça sent très mauvais. La semaine dernière, déjà, M. Soodhun s’était illustré de façon nauséabonde, maintenant M. Rutnah (NdlR, sollicité pour une interview, ce dernier a – poliment – décliné). De tels propos sont tout simplement indignes et abjects de la part d’élus de la République. Je refuse de vivre dans un pays où l’on continue à employer tant d’obscénités en public, à s’insulter, à dénigrer la femme. Maurice a besoin de leaders qui se comportent en leaders. Si un politicien n’a rien à dire, qu’il se taise. Mais c’est plus fort qu’eux, on le voit chez certains au Parlement : ils parlent, ils parlent, mais ne disent rien. Bann drom vid.

Beaucoup ne l’ont pas encore intégré à leur matrice : ‘they’re being watched’. Cela devrait les inciter à réfléchir avant de sortir des conneries plus grosses qu’eux.

Vous suggérez dans votre lettre des cours de communication…

C’est une proposition tout à fait sérieuse: parler en public s’apprend. Le body language des messieurs dont nous parlons m’a dérangée : c’était agressif, haineux.

D’autres se sont distingués par leur silence. Comprenez-vous l’attitude de la ministre de l’Égalité du genre, qui a tardé avant de condamner ?

Non. Il y a une espèce de solidarité malsaine qui veut minimiser l’inacceptable. À l’inverse, on ne peut que se réjouir de l’élan de solidarité que les réseaux sociaux ont manifesté envers ces femmes injuriées. Ça fait du bien. Si on a un peu de mémoire, on sait que les remarques misogynes des hommes politiques ont toujours existé. Sauf qu’avec les réseaux sociaux, les images circulent instantanément. Beaucoup ne l’ont pas encore intégré à leur matrice : they’re being watched. Cela devrait les inciter à réfléchir avant de sortir des conneries plus grosses qu’eux.

Prenons un pas de recul. Une lecture plus large pourrait se résumer ainsi: des hommes se sentent encore autorisés à attaquer des femmes. Qu’est-ce que cela dit de notre pays ?

C’est de la misogynie ordinaire. Nous vivons dans une société patriarcale qui a connu un développement économique ultra-rapide. Socialement, intellectuellement, tout le monde ne peut pas suivre. J’ai vécu dix-sept ans en Europe, dont quinze en Angleterre et deux en Grèce. Ces pays ont fait plus de chemin que nous sur l’égalité du genre et l’émancipation des femmes.

Le patriarcat repose sur une idée archaïque : la femme est inférieure à l’homme ; elle lui appartient. Ce système de pensée fait-il le lit de la criminalité sexuelle ?

Je crois que tout est lié. Une Mauricienne sur quatre déclare avoir déjà été victime de la violence des hommes. Mais elles se taisent. Une étude récente de Gender Links montre que seuls 9 % des viols font l’objet d’une plainte. Pour les violences sexuelles, on tombe à moins de 2 %. N’y a-t-il pas de quoi s’interroger? Si l’on extrapole à partir des chiffres officiels de la police, cela veut dire que toutes les 14 minutes, une femme – ou une fille – se fait agresser sexuellement. Chaque semaine, dix femmes subissent un viol. C’est juste effrayant. C’est là que la démission des role models est flippante. Quand des personnalités, politiques ou autres, censées être exemplaires et inspirantes, nourrissent un système de pensée dénigrant le féminin, il y a de quoi s’alarmer. Parce que de nombreuses femmes ont intériorisé comme «naturelle» cette construction sexiste fondée sur rien.

Simone de Beauvoir disait que la femme n’est victime d’aucune fatalité : ses ovaires ne la condamnent pas à vivre éternellement à genoux.

Constatez-vous une réelle volonté politique de déconstruire ce système de pensée ? Sachant que le pouvoir est détenu par des hommes…

C’est difficile de répondre par oui ou par non. De nouvelles lois vont dans le sens du progrès, des verrous juridiques ont sauté. Mais il ne faut pas se leurrer: la loi ne peut pas tout débloquer. La marche pour l’égalité entre les sexes est encore longue. Aujourd’hui, cette lutte se joue peut-être moins sur le terrain juridique que dans les changements de pratiques : les réflexes sexistes, les clichés qui perdurent. Dans l’entreprise, par exemple, la parité se fait à pas de tortue. Les cinquante plus grosses compagnies du pays sont dirigées à 93 % par des hommes.

Cette «longue marche», comme vous dites, pourrait bien être infinie. Si l’on en croit l’anthropologue Françoise Héritier, auteure de «Masculin/Féminin», il faudra plusieurs millénaires pour que disparaisse une misogynie qui s’enracine dans la préhistoire.

Je suis d’accord. Mais je crois en la jeunesse mauricienne, en sa capacité de nous faire gagner quelques millénaires (rire). Ne voyons pas tout en noir: il y a eu dans ce pays des avancées remarquables dans un grand nombre de domaines.

Si vous étiez ministre de l’Égalité du genre, vous commenceriez par quoi ?

(Elle réfléchit) Légiférer sur l’égalité salariale femmes-hommes. Les Mauriciennes sont payées en moyenne 40 % de moins que les Mauriciens et cet écart s’accentue dans les emplois peu qualifiés.

Vous vous lancez quand en politique ?

Ça n’arrivera pas.

Ce n’est pas ce que dit votre entourage…

J’y ai pensé très fort à un moment, c’est vrai. J’ai bien réfléchi, j’en suis venue à la conclusion qu’à Gender Links nous sommes plus efficaces que les politiciens. Ici, on ne détruit pas. On essaie de construire brique par brique. Simone de Beauvoir disait que la femme n’est victime d’aucune fatalité : ses ovaires ne la condamnent pas à vivre éternellement à genoux. On ne croit pas non plus à la fatalité. On travaille pour changer la vie des gens. Ici, on fait de la vraie politique.

Cette absence de substance politique, ces outrances, finalement, de quoi sont-elles le nom ?

C’est une violence. Traiter une journaliste de «fémel lisien» n’est pas juste vulgaire ; c’est violent. M. Rutnah, comme tous les gens violents, doit se faire soigner.