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Politique: que cachent-ils les discours de Pravind Jugnauth et de Navin Ramgoolam ?
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Politique: que cachent-ils les discours de Pravind Jugnauth et de Navin Ramgoolam ?
Il parle la même langue. Mais le leader du parti soleil a changé de discours. Depuis quelques semaines, les claques de Pravind Jugnauth sont verbales. Et si elles sont toujours adressées aux adversaires des autres camps politiques, il semblerait qu’elles visent également ses propres lieutenants…
«Mo koné kot mo pe alé», lâche ainsi le Premier ministre, à qui veut l’entendre. Ou le croire. «Ena konportman ki pa dan mo kontrol», avait-il balancé lors d’une fonction à la Hindu House, le 8 octobre. «Li inportan ki nou donn lexamp», a-t-il asséné lors d’une autre cérémonie, organisée par la Mauritius Sanatan Dharma Temples Federation, à Réduit, le vendredi 13. Avant de répéter, à Belle-Mare, deux jours plus tard : «Mo koné kot mo pé alé. Mo pou persévéré…» Mais alors, que cachent-elles ces paroles à double sens ? À qui sont-elles vraiement adressées ?
«Il a pris la mesure du discrédit que les scandales répétés portent à son gouvernement », lâche d’emblée Jean Claude de l’Estrac. «Il tente de mettre de la distance entre lui et les responsables», avance l’expert en politique et médias. Qui affirme tout de go que le Premier ministre s’y prend parfois de façon maladroite dans ses discours. «Un chef ne dit pas qu’il ne contrôle pas ses troupes…» Mais, précise Jean Claude de l’Estrac, «nous ne sommes pas vraiment en fin de règne. Nous en reparlerons après la partielle».
Premlall Mahadeo, un ancien conseiller du MSM, affirme, lui, que les discours du Premier ministre contiennent de la «substance, et sont constants». Selon lui, Pravind Jugnauth focalise sur le développement culturel et le progrès économique. Des sujets concrets qui ont un impact sur la vie des Mauriciens, estime-t-il. «Il donne la mesure pour les années à venir, il propose un leadership différent comparé aux autres politiciens.»
«Rambo II»
Pour sa part, Jean-Mée Desvaux, ancien conseiller spécial de Paul Bérenger, est d’avis que Pravind Jugnauth essaye de moduler son discours à la lumière de nombreuses tuiles qui se sont accumulées au cours de ces derniers mois : drogue, laguegate, MedPoint, démission forcée, pour ne citer que celles-là. «S’il y en a encore qui lui tombent sur la tête, elles pourraient lui faire perdre l’équilibre ou pire encore, ternir davantage l’image de leader qu'il représente et qu’il doit maintenir coûte que coûte.» Selon l’observateur politique, avec les frasques auxquelles s’adonnent une dizaine de membres du MSM, la rencontre avec les médias indépendants serait un véritable calvaire, même pour le meilleur des communicateurs.
Est-ce que Pravind Jugnauth se défend bien ? Pour Jean-Mée Desvaux, le Premier ministre ne s’en sort pas trop mal, vu les circonstances. «Il articule intelligemment sa communication autour de deux registres. Il a pris conscience, après son retour de Rodrigues, que le rôle de Rambo II lui sied pathétiquement mal. Il a découvert la stratégie qui, selon lui, détournera résolument l’attention du pays des scandales : la modernisation de la République.» Metro Express, lifting du port et de l’aéroport, Pravind Jugnauth se sert de ces thèmes, pose des premières pierres et fait des discours bien préparés, ajoute-t-il.
Qui plus est, selon Jean-Mée Desvaux, Pravind Jugnauth démontre un style posé, un sens de la retenue dans son langage qui convient parfaitement à son image d’homme réservé. Image qui contraste singulièrement avec celle de Navin Ramgoolam qui, selon lui, «se ridiculise à chaque fois un peu plus en débitant les mêmes inanités depuis 1995. Bef travay, souval manzé, sat pa bwar dilé so dé fwa, en nous prenant tous pour des demeurés»...
Pour Jean-Mée Desveaux, le discours de Pravind Jugnauth est loin d’être celui de quelqu’un qui s’apprête à faire ses valises. «Le jeune et nouveau Premier ministre croit fermement que s’il tient correctement la barre et réussit à moderniser le pays, il sera porté en triomphe par la population mauricienne qui aura vite oublié les parlementaires mafieux ou vicieux dans deux ou trois ans…»
S’il y en a bien un qui n’est pas de cet avis, c’est bien Navin Ramgoolam lui-même. Mercredi dernier, il s’est rendu dans son ancien fief, à Triolet, où il avait été battu lors des dernières élections générales. Et le lion qui avait perdu ses dents, il y a quelque temps encore, a repris du poil de la bête. Son discours était loin de celui des excuses présentées en 2015. L’ancien Premier ministre est monté sur l’estrade le poing levé, le regard déterminé.
Veena Ramgoolam
Selon Roukaya Kasenally, observatrice politique, tout est une question de perception. «On ne peut pas dire que Navin Ramgoolam est redevenu populaire ou qu’il a effectué une remontée spectaculaire. C’est plutôt une présence accrue qui le met sur le devant de la scène. Il est plus visible et plus vocal. Il est sorti de son hibernation politique.»
Ce qui l’a poussé à sortir de sa cave : ce sont la conjoncture actuelle et les scandales à répétition, qui affaiblissent le camp adverse. «Le pays passe par une période de crise, que ce soit au niveau politique, économique ou social. Il y a un vide qui s’est créé, un espace à exploiter et en bon politicien expérimenté, Navin Ramgoolam vient l’occuper», fait valoir la spécialiste en sciences politiques. Roukaya Kasenally est d’avis que Pravind Jugnauth montre des signes de faiblesse, au niveau de la prise de décision, notamment. Il tarde à asseoir son autorité, ce qui contribue à booster la confiance de Navin Ramgoolam.
Un ancien proche collaborateur du leader du Parti travailliste abonde dans le même sens. «Le gouvernement actuel accumule tellement de bourdes qu’il fait pratiquement le jeu de l’opposition. De plus, le hasard veut que tous les députés du nº10 soient en position difficile. Du coup, en bon politicien et fin tacticien, Navin Ramgoolam y voit là une opportunité à saisir. Ce qui fait dire qu’il contemple sérieusement à se présenter à Montagne-Blanche–Grande-Rivière-Sud-Est.»
Autre atout majeur de Navin Ramgoolam, et non des moindres : son épouse, Veena Ramgoolam. Qui jouit d’un capital sympathie certain auprès des Mauriciens et qui demeure à ses côtés contre vents et marées. Pour notre interlocuteur, l’une des grosses épines dans le pied de Ramgoolam se nomme Nandanee Soornack. Mais maintenant que celle-ci est à l’étranger et que son épouse légitime semble le soutenir, «cela pourrait aider à panser les plaies».
D’autant que, selon l’ancien conseiller, le leader orange fait pâle figure auprès du patron des Rouges, pour ce qui est du charisme. «Sa façon de parler, de se tenir, l’image qu’il projette importent beaucoup.» Car ce qui est perçu comme un regain de popularité pour Navin Ramgoolam, n’est autre qu’une comparaison avec Pravind Jugnauth.
Une analyse à laquelle adhère Roukaya Kasenally. «C’est un effet de balancier car nous sommes dans une équation bipolaire. Navin Ramgoolam est perçu comme l’alternative à Pravind Jugnauth et ce dernier paraît faible. Ce qui ne veut pas dire forcément que l’autre est fort ,mais qu’il n’y a pas encore de troisième choix.»
Finalement, nos interlocuteurs s’accordent à dire que si Navin Ramgoolam démontre un regain de confiance, cela ne veut pas forcément dire qu’il effectue une vraie remontée dans l’estime de l’électorat. D’autant plus que l’histoire des coffres-forts, surtout, risque de le poursuivre pour un bon bout de temps encore…
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