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Arundhati Roy, «écrivain-militant»
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Arundhati Roy, «écrivain-militant»
Dans L’écrivain-militant, la romancière Arundhati Roy, auteur de The God of Small Things (Booker Prize 1997) et, plus récemment, de «The Ministry of Utmost Happiness», rappelle les «11 septembre» de l’Histoire. Bien sûr, elle commence par le 11 septembre 2001 : «Aucun de nous n’a besoin d’anniversaires pour lui rappeler des dates impossibles à oublier. Ce qui est dans tous les esprits, bien évidemment, surtout ici en Amérique, c’est l’horreur de ce ‘11/9’, comme on l’appelle depuis. Trois mille civils ont perdu la vie dans cet attentat terroriste. La douleur est encore vive, la fureur profonde. Les larmes ne sont pas séchées. Et une guerre sauvage fait rage de par le monde.»
Arundhati Roy avoue qu’il n’y a rien de bien intellectuel dans le sujet qu’elle aborde : le sentiment de deuil. «De pertes, de disparitions. De douleur, d’échec, de découragement, de paralysie, de doutes, de peur, de mort, mort des sentiments, mort des rêves. De l’injustice ordinaire, totale, impitoyable, éternelle, du monde. Non seulement pour l’individu, mais pour des cultures tout entières, pour des peuples qui ont appris à vivre avec au quotidien.»
Puisqu’elle parle du 11 septembre, Arundhati Roy souligne la pertinence de se souvenir de ce que signifie cette date, non seulement pour ceux qui ont perdu un des leurs en Amérique, mais pour tous ceux qui, ailleurs dans le monde, la gardent toujours en mémoire. C’est ainsi que l’écrivain rappelle d’abord le 11 septembre 1973, date du renversement du gouvernement démocratiquement élu de Salvador Allende par le général Pinochet lors d’un coup d’État fomenté par la CIA. Arundhati Roy cite ces mots de Henry Kissinger, alors conseiller à la Sécurité nationale du président Nixon, et depuis, prix Nobel de la paix : «Je ne vois pas pourquoi nous devrions attendre sans rien faire qu’un pays bascule dans le communisme parce que sa population est irresponsable.»
Après l’insurrection, on découvre le cadavre du président Allende dans le palais présidentiel. Assassinat ou suicide, nous n’en saurons jamais rien. «Ce qui est sûr, c’est que sous le régime de terreur instauré à la suite du coup d’État, des milliers de personnes furent tuées. D’autres, plus nombreuses, ‘disparurent’. Exécutions publiques, camps de concentration et chambres de torture un peu partout dans le pays, morts jetés dans des puits de mine et des fosses communes : pendant plus de seize ans, le peuple chilien vécut dans la terreur du réveil en pleine nuit, des disparitions quotidiennes, des arrestations brutales et de la torture.» En 2000, à la suite de l’arrestation du général Pinochet deux ans plus tôt en Grande-Bretagne, des milliers de documents, rayés de la liste des archives secrètes de Washington, confirment l’implication de la CIA dans le coup d’État et la possession par les autorités américaines d’informations précises sur la situation au Chili pendant la dictature de Pinochet.
Le 11 septembre, écrit Arundhati Roy, a des résonances tout aussi tragiques au Moyen-Orient. C’est le 11 septembre 1922 que, faisant fi des protestations arabes, la Grande-Bretagne impériale, dont l’armée est aux portes de Gaza, annonce que la Palestine est sous mandat, suite logique de la déclaration Balfour de 1917 qui promet aux Sionistes européens un «foyer national pour le peuple juif». Deux ans après sa fameuse déclaration Lord Arthur James Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères, déclare : «En Palestine, nous n’avons pas l’intention de consulter les occupants actuels du pays… Le sionisme, qu’il soit bon ou mauvais, que l’on soit pour ou contre, est enraciné dans une tradition très ancienne, dans des besoins actuels, dans des espoirs pour l’avenir, dont la pertinence est autrement plus profonde que les souhaits et les préjugés des 700 000 Arabes qui occupent aujourd’hui cette terre chargée d’Histoire.» En 1947, les Nations unies découpent officiellement la Palestine et donnent 55 % du territoire aux Juifs. En moins d’un an, ces derniers en accaparent 76 %. Le 14 mai 1948 est officiellement proclamée la naissance de l’État Israël, aussitôt reconnu par les États-Unis. Officiellement, la Palestine n’existe plus que dans l’esprit et le cœur des centaines de milliers de Palestiniens devenus des réfugiés. Quant aux Palestiniens qui continuent de vivre en Israël, ils n’ont pas les mêmes droits que les Israéliens et sont considérés comme des citoyens de second ordre dans ce qui était autrefois leur patrie.
Dans Voici venu septembre, Arundhati Roy précise pourquoi elle rappelle ces «11 septembre» : «Si je remue ainsi la boue de l’histoire, ce n’est pas pour le plaisir d’accuser ou de provoquer. Mais pour partager la douleur léguée par le passé. Pour dissiper le brouillard…»
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