Publicité
Michaël-Angelo Mootoo, enfant précoce: «Je suis un adulte dans un corps d’enfant»
Par
Partager cet article
Michaël-Angelo Mootoo, enfant précoce: «Je suis un adulte dans un corps d’enfant»
C’est un petit bonhomme de 10 ans qui parle comme un grand. Fou d’astrophysique mais en souffrance à l’école, Michaël-Angelo vit le drame de la plupart des surdoués. On l’a rencontré chez lui, en présence de sa maman, pour essayer de mettre des mots sur ses maux.
Un reportage sur la Mauritius Broadcasting Corporation t’a présenté comme un «petit génie». Tu te vois comme ça, toi ?
Pas complètement, à 95 %. Les 5 % restants, je suis un enfant normal. Ma maman m’a raconté que j’ai tout fait très vite, depuis toujours. J’ai marché et parlé avant neuf mois.
À 5 ans, tu posais des questions si pointues que tes parents n’arrivaient plus à y répondre…
Maintenant, je connais les réponses. Mais pas toutes. La définition profonde des multivers, par exemple, je cherche encore. C’est peut-être la question la plus difficile que je me suis jamais posée. Ma tête est comme un fourneau : les plats froids sont les questions, les plats chauds les réponses. Selon moi, l’être humain est fait pour se poser des questions. En ce moment, je creuse les lois de la physique. J’essaie de mettre au point un système pour recharger un portable sans électricité, avec son corps.
Il faut dire que tu es un petit garçon rempli de passions…
Mes passions ? Manger – je suis gourmand – et les sciences, l’anatomie, la paléontologie, l’astrophysique. Tous les jours, j’apprends dans les livres. Je n’ai pas Internet, pas de portable, mais j’ai plein d’encyclopédies. Mes préférées sont celles qui parlent des origines de la vie et de son expansion, depuis les cyanobactéries qui ont donné les stromatolithes. Il faut imaginer que des bactéries photosynthétiques de quelques nanomètres, avec le temps, ont réussi à former des blocs rocheux de 400 kilos. Et ça, c’est passionnant !
Les enfants de ton âge préfèrent les jeux vidéo, les Pokémon ou le foot…
Ça ne m’intéresse pas, quoique j’étudie les similitudes des attributs physiques des Pokémon et des dinosaures.
Tu parles comme un adulte…
C’est parce que je suis un homme dans un corps d’enfant. Je me sens prisonnier d’un petit corps de 1 m 30, comme un pygmée.
«Il y a des matins où je n’ai pas envie d’aller à l’école, des soirs où je rentre en pleurs. Un jour, un garçon m’a pété la gueule. Mon sang coulait jusqu’au menton. Il a fait ça à cause de ma différence. Il ne la supportait plus.»
J’imagine que tu te sens différent de tes copains dans la cour de récréation…
Différent et rejeté. Les autres ne me comprennent pas, ils se moquent de moi, de ma différence. Tous les symptômes du bullying sont là. Ils m’appellent «le fou», «l’extraterrestre», des choses comme ça. Il y en a même qui me disent : «Faudrait que t’ailles dans un asile.» Le plus difficile, c’est de ne pas pouvoir exprimer ma différence.
On dit que les enfants précoces sont hypersensibles…
Je suis très sensible émotionnellement, très sensible aux insultes. Eux, ils le disent comme ça, en deux secondes, après ils oublient, mais moi je garde tout. Il y a des matins où je n’ai pas envie d’aller à l’école, des soirs où je rentre en pleurs. Un jour, un garçon m’a pété la gueule. Il me l’a pété complètement, mon sang coulait jusqu’au menton. Il a fait ça à cause de ma différence. Il ne la supportait plus. C’était il y a des années, j’y pense encore.
Tu ressens quoi, au fond de toi ?
À 99,9 % de la tristesse, à 0,1 % de la colère. C’est injuste parce que tout le monde devrait pouvoir accéder au bonheur. D’après vous, pourquoi on a «inventé» les catégories et les races (il mime des guillemets avec ses doigts) ? Pour mieux régner, pour diviser les mondes. Il n’existe aucun critère scientifique pour parler de races chez les êtres humains. Il n’y a qu’une seule race ; c’est la race humaine. D’un point de vue biologique, l’homme est un mammifère, comme le chien. Donc, nous sommes tous parentés, tous les êtres vivants partagent des caractères communs… (il développe longuement sur le rôle de la chlorophylle et de la photosynthèse pour conclure sur les yeux primitifs des méduses et les trois vagins des femelles kangourous roux, le tout en fabriquant des hélices ADN en pâte à modeler et en dessinant ‘un temple soumis à un champ gravitationnel’).
As-tu déjà envisagé d’arrêter l’école ?
Non, parce que j’y ai deux, trois bons amis. La maîtresse d’école est très gentille, mon professeur aussi, il est super. Ce n’est pas seulement un professeur, c’est un éducateur, un conseiller, un papa (NdlR, il est en cinquième à la RCA Notre-Dame-des-Victoires, à Rose-Hill).
Malgré un bulletin de notes exceptionnel, tu ne veux pas sauter de classe…
C’est pour paraître le plus normal possible. (Sur le ton de la confidence) Je vais vous dire quelque chose. Enfin, pas à vous directement, mais aux amis qui me rejettent : c’est vous, les fous. C’est vous, qui êtes dans l’ignorance.
Tu t’intéresses à l’actualité ?
Beaucoup. Vous avez vu cette femme qui a été tabassée ? Enceinte de huit mois, on la bat, on la jette dans un champ de canne, c’est révoltant. Toute cette maltraitance, il faut s’en occuper. Trop de pervers sont dans la nature et leurs victimes sont les femmes et les enfants.
«Un pain kebab, c’est Rs 67 minimum. Ces dames, si vous faites le calcul, n’ont que Rs 50 par jour. C’est aberrant un revenu si faible, ça devrait même être le principal problème de la population.»
Qu’as-tu pensé du mouvement des «cleaners» ?
Un pain kebab, c’est Rs 67 minimum. Ces dames, si vous faites le calcul, n’ont que Rs 50 par jour. C’est aberrant un revenu si faible, ça devrait même être le principal problème de la population. Je vais vous montrer ce que le gouvernement devrait faire… (il dessine un graphique détaillé de redistribution des richesses).
«Les hommes sont obnubilés par le fait de laisser une trace et les hommes politiques le sont plus que les autres. Ils sont les points faibles de l’île Maurice.»
Tu t’intéresses à la politique ?
Oui. Ce que je remarque, c’est que les hommes sont obnubilés par le fait de laisser une trace, et les hommes politiques le sont plus que les autres. Ils sont les points faibles de l’île Maurice.
Les points faibles, c’est-à-dire ?
Vous ne savez pas ce qu’est un point faible ? Prenez cette gomme : si elle s’effrite quand j’efface, ce n’est pas une bonne gomme. C’est ça, être un mauvais politicien : c’est être friable, défectueux. Heureusement, Maurice a aussi des points forts. Le premier, c’est l’océan. Il est plein de richesses et pas si pollué qu’on le dit, pas encore.
On dit aussi que les enfants précoces sont hyperactifs…
Ah oui ! Ma maman s’en plaint souvent. Quand on me regarde, on voit quoi ? Un pygmée agité, désordonné, paresseux et curieux, qui aime apprendre et surtout comprendre. Je suis tout ça, c’est vrai. Mais ce n’est qu’une enveloppe corporelle, il faut s’en échapper.
La seule chose de vrai, c’est la conscience qui est faite d’atomes et d’énergie. Souvent, je quitte mon enveloppe. Je voyage, je pars dans les rêves. Je rencontre Jonathan Swift, Benjamin Franklin, les tortues Ninja. Je rejoins Christophe Colomb, je lui demande comment il a découvert l’Amérique… même si je le sais déjà.
Pourquoi tu lui demandes, alors ?
Dans un rêve, la conscience à long terme est désactivée. Donc, je ne sais plus que je sais.
Il paraît que la nuit, tu viens murmurer des chansons à l’oreille de ta maman…
C’est parce qu’elle est chanteuse et moi je compose la nuit. À 2 ou 3 heures du matin, je débarque dans son lit : «Eurêka, maman ! J’ai une chanson pour toi, prends ton calepin !» Depuis, elle dort avec.
Tu t’intéresses aussi à Archimède ?
Pas directement, mais à travers les principes de l’hydrostatique.
Plus tard, quel métier aimerais-tu faire ?
Astrophysicien, paléontologue et chercheur en cancérologie.
Ça fait beaucoup, non ?
Léonard de Vinci en a exercé bien plus à une époque où Google n’existait pas. Cancérologue, c’est parce que j’ai promis à «pépé» (NdlR, Gérard Cimiotti, l’ex-pianiste de sa mère, décédé d’un cancer) de trouver un remède contre cette maladie. Paléontologue, c’est pour l’exaltation de la découverte, et parce que j’ai une grande admiration pour Philip Manning. Et astrophysicien, c’est pour apprendre à penser au-delà de l’univers que nous percevons.
Pour terminer, c’est à ton tour de me poser une question.
Est-ce que vous arrivez à ne penser à rien ? Parce que pour moi, c’est très difficile.
Publicité
Les plus récents