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Hector Tuyau: «Des tabous, des non-dits vont se dévoiler, des masques vont tomber»
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Hector Tuyau: «Des tabous, des non-dits vont se dévoiler, des masques vont tomber»
Il prévient d’emblée, la voix bien affirmée : «D’habitude, c’est moi qui pose les questions.» Mais Hector Tuyau, tête chercheuse de la Commission d’enquête sur la drogue, a l’art de donner des réponses sans en avoir l’air. Il faut savoir lire entre les lignes, écouter entre les phrases. Pour comprendre, par exemple, que la commission arrive au bout de sa mission et qu’elle s’apprête à dégoupiller un rapport explosif.
Pourquoi êtes-vous devenu policier ?
Je vais être honnête : ce n’est pas par vocation. J’ai arrêté l’école au collège, seuls des boulots de fonctionnaire étaient accessibles. J’aurais aimé aller à l’université, en grandissant j’ai compris que ce n’était pas pour moi. Mon papa était coiffeur, ma mère ne travaillait pas. Cinq enfants à la charge d’un coiffeur, c’est beaucoup. À 18 ans, j’ai donc décidé de devenir policier. Ce fut chose faite quatre ans plus tard. En février, j’aurai 39 ans de carrière.
Et une solide réputation de fonceur, de bosseur…
Et de bourru (rire) ! Enfin, ce sont les journalistes qui le disent... Bosseur, perfectionniste, ça c’est vrai.
Et bourru ?
Je ne suis pas un tendre mais je pense être juste.
C’est ça, la méthode Tuyau ?
Ma méthode, c’est droit au but. Il y a un objectif, il faut l’atteindre, point. Pour ça, vous devez gagner la confiance de vos informateurs. Maurice est trop petit pour des missions d’infiltration, quasiment toutes les saisies de drogue se font sur la base d’informations fournies par un tiers. Donc, ça passe par du renseignement humain.
Comment la gagnez-vous, cette confiance ?
J’ai toujours protégé mes sources. Quand quelqu’un me donne une information, il sait que personne ne remontera jusqu’à lui.
Remontons jusqu’en avril 2016. Quel bilan tirez-vous de cette année et demie à la Commission d’enquête sur la drogue ?
Il est largement positif. Sans trop élaborer, je peux vous dire que nous avons appris beaucoup de choses. Des masses de preuves ont été réunies, nous touchons au but.
Le rapport préliminaire est prêt ?
Bientôt.
Cette année ?
Bientôt, cela veut dire ce que ça veut dire.
Après vingt ans d’ADSU, il vous arrive donc encore d’apprendre ?
Oui, parce que dans une enquête classique, la police est limitée par certains paramètres. La commission a plus de libertés, plus de pouvoirs, on pousse plus loin les enquêtes.
Quels pouvoirs ? Des accès facilités aux données bancaires, aux écoutes ?
Je n’entrerai pas dans les détails pour une raison bien simple : je ne veux pas que les trafiquants sachent jusqu’où je peux fourrer mon nez.
Que peut-on attendre de ces investigations ?
Ma conviction, c’est qu’elles marqueront un tournant dans la lutte contre la drogue. Des tabous, des non-dits vont se dévoiler, des masques vont tomber. Il faut bien comprendre une chose : jusqu’à présent, cette lutte était disproportionnée, les trafiquants avaient toujours une longueur d’avance. Nous serons bientôt à armes égales, on va pouvoir les combattre. C’est mon opinion personnelle, elle n’engage pas la commission.
Autant d’optimisme va susciter des attentes… C’est la plus grosse enquête de ma vie, je n’envisage pas de me rater. J’ai la foi, on n’a jamais été aussi proche de dégommer de très gros bonnets. Après, tout dépendra de ce que feront les autorités compétentes. We are the trigger.
Une gâchette et une cible. Des trafiquants, paraît-il, voudraient vous voir mort. Vous le vivez comment ?
Comme à chaque fois, sereinement. C’est bizarre à dire, mais on s’habitue à tout, y compris à vivre avec des menaces de toutes sortes au-dessus de la tête. Dernièrement encore, j’ai appris – je ne dirai pas comment – que ma tête était mise à prix. Quand on est policier, être une cible est bon signe : ça veut dire que vous faites du bon boulot.
Vous n’avez pas peur ?
Ça ne me fait ni chaud ni froid.
Je ne vous crois pas…
Je n’ai pas peur parce que j’ai une armure.
Même pas mal, donc ?
J’ai eu mal une fois, quand ils ont essayé d’entrer chez moi.
Qui ça, «ils» ?
Des bouncers, ils étaient une dizaine, je sais qui les a envoyés. Ce qui m’a fait le plus mal, c’est que je n’étais pas là pour protéger les miens, j’étais loin, à l’étranger. Heureusement, mes enfants ont eu le bon réflexe, ils ont appelé très vite du renfort. C’est la seule fois où j’ai vraiment eu peur. Depuis cet incident, ma famille et moi, on est plus prudent.
C’est-à-dire ?
On est sur nos gardes en évitant de tomber dans la paranoïa. Un homme averti en vaut deux ; ma famille est avertie.
Avez-vous une protection policière ?
Non, juste des patrouilles régulières qui surveillent notre rue.
C’est difficile d’imaginer être heureux dans ces conditions. Vous l’êtes ?
Je suis très heureux (large sourire), ça ne se voit pas ?
Dans la police aussi, vous n’avez pas que des amis…
Je sais. Certains policiers n’aiment pas ce que je suis, ce que je fais, quelques-uns ont même essayé de me piéger. Eux, par contre, me font vraiment peur. Je les crains davantage que les gros malfrats.
Votre statut de «super-flic» dérange ?
Je n’aime pas ce terme, je suis un flic tout court, mais j’ai conscience de susciter des jalousies. Dans la police, il y a une vraie solidarité, un esprit de corps. Mais c’est aussi un endroit où l’on se glisse sur des peaux de banane, même si cela ne concerne qu’une toute petite minorité.
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