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Graffitis sur des bâtiments publics à Port-Louis «Je n’ai pas l’intention d’arrêter», clame Kunal Gauzee

26 novembre 2017, 17:41

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Graffitis sur des bâtiments publics à Port-Louis «Je n’ai pas l’intention d’arrêter», clame Kunal Gauzee

Surpris en flag’ de tag, il a passé deux jours derrière des barreaux avant d’être libéré sous caution. Cher payé ? C’est ce que Kunal Gauzee se dit aussi. Pour autant, ce tagueur multirécidiviste ne se voit pas raccrocher. Récit d’une pratique «contestataire» et libératrice.

Commençons par le commencement : depuis quand et où taguez-vous ? J’ai commencé quand j’étais ado. J’agis seul, généralement de jour et uniquement à Port-Louis. Je cherche des murs bien exposés, qui se voient bien. Je ne tague pas tout le temps, c’est par période. Je suis pas mal actif en ce moment parce que je me sens privé de ma plume (NdlR, il est sans emploi depuis juillet après avoir travaillé une dizaine d’années à la MBC et à Radio One).

Qu’inscrivez-vous en général ?

Ça dépend. Je tague sur des sujets qui me touchent : le «deal papa-piti», la privatisation des plages, le massacre du patrimoine, le communalisme. Quand un truc me révolte, quand c’est injuste, je passe à l’acte, j’écris, c’est en moi (NdlR, pas seulement au sens guré si l’on considère l’imposant tatouage en sanskrit qui recouvre sa jambe).

 J’aime faire court, percutant : «To fer mo péi vinn tipti». Parfois, un seul mot suffit. Un tag est comme un beau jardin : il doit être bien taillé.

Sauf qu’en droit, tag égale vandalisme

Je ne me vois pas comme un voyou qui dégrade (NdlR, poursuivi pour defacing building, il devra retourner en cour en mai 2018) mais comme un libre expressionniste. Les tagueurs sont des gens qui ont des choses à dire. Tu ne tagues pas pour rien, pour faire le malin. C’est l’expression d’une contestation, d’une colère. Moi, ça me prend d’un coup.

C’est-à-dire ?

Je sens une énergie monter en moi. C’est puissant, ça sort des tripes, it’s like a blast of light. Là, je prends mes sprays de peinture, mon sac à dos et c’est parti. Après mon arrestation, j’ai eu à indiquer tous mes tags, un par un, à la police. On est donc parti en tournée.

J’étais soulagé parce qu’ils allaient me mettre sur le dos des horreurs que je n’ai pas écrites. Du genre, les graffitis haineux sur le mur de l’ambassade de France. Ils m’ont demandé : «C’est toi ?» Cette question me dégoûte.

Vous xez-vous des limites ?

Je suis très croyant, je ne tague pas les lieux de culte. Un mur d’enceinte éventuellement, s’il y a du passage, mais jamais le bâtiment en lui-même.

Dimanche dernier, vous êtes pris en agrant délit devant la Government House. Comment ça s’est passé exactement ? 

Il était 9 heures du matin, le moment parfait, la rue était quasi déserte. Sauf qu’un policier a surgi, puis un autre et encore un autre. Ce n’était pas prévu.

«Des claques, des coups de pied, gratuitement.  L’interrogatoire n’avait même pas commencé…»

Vous ignoriez que le bâtiment était sous surveillance vidéo ?

Non, mais je me suis dit : «Tant pis, je prends le risque.» (Il marque une pause) Je vais vous dire la vérité : j’étais en colère, voilà. Deux semaines plus tôt, j’avais tagué au même endroit #1500 Rs en soutien aux femmes cleaners, mais ils l’ont effacé tout de suite. L’histoire de ces femmes m’a déchiré. Le jour de Divali, elles auraient pu crever dans l’indifférence. J’ai trouvé ça indigne et j’étais vexé qu’ils suppriment mon tag, alors j’ai décidé d’en remettre une couche. 

En écrivant quoi, cette fois ?

TERRORIST DEOR. Ils m’ont attrapé à deux lettres de la fin, dommage. Ce mot terroriste, il faut le prendre au sens large. Un ministre qui s’en prend aux membres d’une communauté particulière, c’est monstrueux, terrorisant. La pensée unique qu’on nous impose comme vérité, c’est une forme de terrorisme intellectuel. Ce n’est pas qu’une affaire de bombe le terrorisme. 

«La pensée unique qu’on nous impose comme vérité, c’est une forme de terrorisme intellectuel. Ce n’est pas qu’une affaire de bombe le terrorisme.» 

C’est ce que vous avez expliqué aux policiers qui vous ont cueilli ?

Non, je me suis contenté d’obtempérer. Je me fais prendre en flagrant délit, je me tais, j’assume.

Et ça se passe comment ?

Mal. C’est dur d’être tabassé puis jeté dans une cellule.

Vous avez reçu des coups ?

Ouais, plein, au poste de Pope Hennessy. Des claques, des coups de pied, gratuitement. L’interrogatoire n’avait même pas commencé, je n’ai pas compris ce qui leur a pris. Puis ils m’ont emmené aux Casernes centrales et là, plus personne ne m’a touché.

Et les deux nuits en cellule ?

(Longue expiration) Les nuits sont longues sur un lit en béton avec trois caméras braquées sur vous. Heureusement, les policiers étaient cool et la nourriture correcte. Mais vous ne dormez pas là-dedans (NdlR, le Moka

Detention Centre). Pour passer le temps, j’ai testé les caméras – elles fonctionnent.  J’ai mesuré et remesuré ma cellule – quatre mètres carrés à chaque fois. Faut t’occuper l’esprit, sinon tu te fais broyer par les murs.

À moins de les taguer…

Évidemment que je les ai tagués ! Je n’allais pas me refuser ce plaisir. J’ai fait ça avec un rivet de mon jean, discrètement, deux petits graffitis : Born free, live free et Freedom in every sense. C’est gravé, ils doivent y être encore.

Que répondez-vous à ceux qui vous voient comme un doux dingue ? Ceux qui osent sont souvent pris pour des fous, mais je ne le suis pas. J’ai agi en conscience et je n’ai aucun regret, à part m’être fait attraper. Mais bon, c’est comme ça, la liberté d’expression finit toujours par se heurter à la police de la pensée.

Cette expérience va-t-elle vous freiner ?

Franchement, non. Je suis un guerrier dans l’âme, je n’ai pas l’intention d’arrêter. Se faire prendre, c’est dommage, mais ça ne freine pas les vrais tagueurs. C’est comme dire à un musicien de ne plus jamais jouer, c’est impossible.