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Industrie du cinéma: «On n’a même pas un ti bazar, on veut faire un supermarché»

5 janvier 2018, 23:15

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Industrie du cinéma: «On n’a même pas un ti bazar, on veut faire un supermarché»

Le 31 décembre, Wassim Sookia, réalisateur de courts-métrages, accepte très rarement les dîners. Il ne veut pas rater le réveil, à Curepipe, fixé à trois heures du matin. Sa priorité du jour de l’an : dire des prières spéciales, une heure avant la première prière prescrite.

«Nous prions pour l’humanité, pas pour nos désirs personnels. Nous prions pour qu’il n’y ait pas de troisième Guerre mondiale, parce que nous sentons que c’est imminent. Nous prions pour que le monde musulman se ressaisisse car il se dirige vers la décadence. C’est important, même s’il faut sacrifier le sommeil.»

Wassim Sookia a neuf courts-métrages à son actif. Plusieurs ont été primés par la Mauritius Film Development Corporation. L’une de ses dernières récompenses a été gagnée au concours de courts-métrages de la commission anticorruption, avec le film The CWord. De la fiction, il est passé au documentaire. Jetant un pont entre sa foi et son art.

La congrégation à laquelle il appartient – l’Ahmadiyya – possède une chaîne de télévision internationale, qui diffuse sur Internet, 24 heures sur 24. Le réalisateur est passé au documentaire pour les besoins de cette chaîne. «Il y a un studio tout équipé, le meilleur de la région, à la mosquée de la rue Edward VII à Rose-Hill. On y tourne en 4K, avec du black magic.» Les pros comprendront qu’il s’agit des dernières technologies.

À quand un long-métrage ? Wassim Sookia se dit prêt, mais n’est pas pressé. Il avait écrit une histoire après avoir été contacté par le festival de Sundance. «Mais elle n’avait pas été retenue. Et puis, à l’époque, il y avait la crise.»

 Au nom de l’art

Son univers ? Montrer des valeurs telles que le respect des aînés et la solidarité. «C’est comme cela que j’ai été élevé. Je ne suis pas là pour donner des leçons.»

Pour faire ses propres films, il se débrouille avec ce qu’il a. Surtout de la chance. Et un petit groupe d’habitués : l’un à la caméra, l’autre au son, un troisième au maquillage. «Je prépare le thé sur le plateau, il paraît que l’équipe trouve ça bon», s’amuse-t-il. Il affirme avoir désormais suffisamment d’équipements pour tourner. «Je n’ai pas fait d’école de cinéma, j’apprends en faisant des films.»

Question budget ? Il a déjà tourné avec Rs 175 000. Puisées des… fonds prévus pour son mariage. Devenu père de famille, il sait qu’aujourd’hui, ce type de folie au nom de l’art est impossible. «J’étais jeune (NdlR : il a 42 ans). Aujourd’hui, il faut faire des films pour rapporter de l’argent… Non, je rigole. Cela ne rapporte pas de faire des films.»

D’où son emploi stable de concepteur-rédacteur, dans une agence de pub. «Quand j’avais 14-15 ans, je rêvais de ne faire que des films. Maintenant, j’en fais par passion. Si cela devenait mon métier, je risquerais de m’en lasser, d’être découragé par le manque de moyens.»

Fin 2017, il a été contacté pour la Mauritius Cinema Week. Festival auquel ont participé les actrices Rani Mukherjee et Emmanuelle Béart. Wassim Sookia est catégorique : «Les stars ne m’intéressent pas. J’essaie de m’en éloigner le plus possible.»

Il fuit les blockbusters, «juste là pour faire du pognon au box-office». Il trouve cela triste. «C’est pour se remplir l’estomac vite fait et on se sent mal après. On peut admirer de super effets spéciaux, mais trois semaines plus tard, on ne se souvient même plus du film. On a perdu deux heures, enfermé dans une salle.»

Dommage que cette Mauritius Cinema Week n’ait pas consacré un volet aux courts-métrages locaux. Alors que le discours officiel est à la création d’une industrie du cinéma, Wassim Sookia lance : «On n’a même pas un ti bazar, on veut faire un supermarché.»