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Ming Chen: «Je ne lis que la quatrième de couverture»
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Ming Chen: «Je ne lis que la quatrième de couverture»
L’année a encore un goût de rentrée. L’occasion de (re)parler de la situation du livre, des best-sellers de 2017 et des raisons d’espérer. Ming Chen de la librairie Le Cygne à Rose-Hill égratigne le narcissisme des auteurs et plaide en faveur de plus de visibilité de leurs écrits.
La rentrée, c’est la fête des livres et des libraires, non ?
Pourquoi attendre la rentrée pour parler de la situation du livre ? Ce ne sont pas les enfants qui choisissent ce qu’ils lisent. Si les parents ne lisent pas, je ne crois pas que les enfants le feront. Bien sûr, il y a des cas exceptionnels.
Personne n’est dupe. Le niveau éducatif est tombé. Je suis dans l’éducation directement et indirectement. J’ai siégé au sein du conseil d’administration du Collège du Saint Esprit, je suis toujours à celui du Bocage International School, mo zanfan ti al lekol franse. Je connais donc trois systèmes. Il y a de grosses disparités entre eux. Depuis que j’ai quitté le collège…
Sans vous demander votre âge, depuis quand avez-vous quitté l’école ?
J’ai 52 ans. Le système reste très académique, il n’a pas évolué, il a empiré. Avec les nouvelles technologies, le fossé de la connaissance entre l’élève et le prof a rapetissé. Un élève peut savoir plus de choses que le professeur. Mais pour les valeurs, no way. Mo pa krwar ena enn profeser ki kontan ki so zelev konn plis ki li.
Un exemple type : dans le système conventionnel, le prof gravit les échelons et entre dans le management. Li vinn patron so koleg. Cela ne veut pas forcément dire qu’il en a les aptitudes.
«Cela ne coûte pas forcément plus cher d’envoyer un enfant dans une école privée».
Quand on compte les leçons particulières, so bann a drwat a gos. C’est mon expérience.
Et pour donner le goût du livre aux élèves ?
Si un enfant perturbateur – il suffit d’un seul pour pourrir une classe de 40 minutesemprunte un livre à la bibliothèque de l’école et ne le retourne pas, il en prive un autre enfant. J’ai de bons titres – pas nécessairement des manuels scolaires – les livres de self enhancement – mais il n’y a qu’un seul exemplaire pour 300 élèves.
Vous connaissez trois systèmes éducatifs. Vous avez visité leur bibliothèque ?
Les écoles privées ont en général un bibliothécaire formé. Il peut conseiller les enfants, il suit le cursus scolaire. Il sait quels livres ils ont besoin, mais aussi ce dont ils auront besoin après. Il s’y prépare. Les listes de commandes sont très différentes.
Le bibliothécaire ne fait qu’estampiller des dates dans des livres ?
C’est ce que j’ai vu.
Ce n’est pas une caricature ?
Quand j’étais au Collège du Saint Esprit, jamais un bibliothécaire ne m’a dit : «Ming, tu dois lire ce livre». Peut-être que je ne suis pas un bon exemple, il y avait plus de livres à la librairie (NdlR : Le Cygne est une librairie familiale qui existe depuis plus de 50 ans) qu’à l’école. Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup d’élèves du système traditionnel qui aient eu droit à ce type de conseils.
Vous êtes libraire depuis combien de temps ?
Depuis que je suis né (sourire). J’ai fait d’autres choses. Depuis 20 ans, je donne un coup de main, de loin ou de près.
Vous avez déjà reçu un bibliothécaire disant que ce serait bien de faire un partenariat entre Le Cygne et son école ?
Jamais. Par contre, le bibliothécaire de l’Assemblée nationale vient souvent et on discute. Il prend tout ce qui paraît sur la corruption par exemple. Mais je ne crois pas que c’est lu, sinon on aurait eu d’autres types de débats au Parlement. Je ne fournis pas les bibliothèques municipales. J’ai déjà référé des affaires à l’Independent Commission Against Corruption (ICAC). Mo pa get divan deryer. Je connais déjà le fonctionnement de ces appels d’offres.
Est-ce qu’à la rentrée des classes, les parents n’achètent que des manuels scolaires ?
Il faut être juste. A la rentrée, ils se concentrent sur l’essentiel. Ils ne savent pas combien la liste de livres va leur coûter.
En dehors des manuels scolaires, quand est-ce que les parents offrent des livres aux enfants ? À Noël ?
Pour les anniversaires…quand les parents donnent encore des livres. C’est tellement plus facile de donner du crédit sur le téléphone ou un jouet. Bien sûr cela dépend des moyens financiers de chacun. Enn boug kinn travay enn lane anvi fer plezir so zanfan, il va lui donner un hélicoptère. L’enfant, luimême ne voudra pas d’un livre. Récemment j’ai vu un client avec deux paquets de cigarettes à la main. Il a refusé un livre qui coûte Rs 65 à l’enfant qui l’accompagnait. Là, on a un problème.
En dehors de la rentrée, quand est ce qu’il y a foule dans votre librairie ?
Cela peut arriver quand un livre obtient de bonnes critiques.
Des livres étrangers ?
Mauriciens aussi. Par exemple Lalang pena lezo de Jacques Maunick. La pub a été tellement bien faite que c’est le best-seller de 2017. (NdlR : il y a eu un second tirage). Cela dépend aussi de la personnalité de l’auteur. Pour les auteurs étrangers, c’est essentiellement ce que la presse recommande. Le film documentaire d’Alain Gordon-Gentil, qui est sorti en DVD, Les enfants de l’exil a aussi fait très bien. Pareil pour le livre de Malenn Oodiah, Up close. La fin de l’année 2017 a été extrêmement riche, avec des produits de haut niveau.
Que des produits de haut niveau sortent, c’est une chose, que le public y adhère, c’en est une autre ?
Vous voulez parler du volume des ventes. En France, le prix Goncourt c’est 30 000 copies, pour une population de 65 millions.
«À Maurice, si on vend 500 copies, c’est à peu près un prix Goncourt».
Il y a aussi de très bons ouvrages qui auraient besoin d’une meilleure campagne de communication.
Je ne suis pas trop d’accord avec la façon dont on lance les livres à Maurice. Il y a de grandes soirées, mais pas de suivi, avec plusieurs séances de dédicaces en librairie. C’est un nombre très restreint de gens qui vont aux lancements de livre. Dans un an, c’est seulement six à sept auteurs locaux qui vendent 500 copies.
L’année dernière, nous avons commencé à aider les auteurs. En 2017, nous avons organisé 17 séances de dédicaces, ce qui est énorme. L’une des séances à avoir le mieux marché, c’est pour le livre de Touria Prayag, Provisional charges. Nous avons eu 75 signatures en deux heures.
Si ce sont les livres d’auteurs déjà connus qui marchent, qu’en est-il des autres ?
Même les auteurs connus, ils viennent chez moi pour rencontrer des lecteurs, mais les lecteurs ne vont pas vers eux. Il y a aussi un gros problème de narcissisme parmi les auteurs. Tou dimoun bizin vinn zot lansman me zot pa pou al seki pou zot kamarad. Ils auraient dû se soutenir entre eux. C’est un environnement où il faut s’entraider.
La librairie Le Cygne c’est un avant et un après l’incendie de l’an 2000. Vous avez réduit votre superficie de moitié.
Nous sommes passés de 45 000 titres à 22 000 titres. C’est avant tout une question d’espace. Avant il y avait une section enfant, une partie Mauriciana, et une section «générale». Les magazines étaient à part. Il y avait sept personnes pour les trois sections, aujourd’hui, il n’y en a plus que deux, pour le tout. Nous avons aussi changé notre façon de travailler. Nous opérons un peu comme un supermarché. Nous étions à 35 à l’époque, aujourd’hui, nous sommes 17. Nous représentions Newsweek, avec environ 2700 copies, dans les années 1990. Aujourd’hui, le magazine est en version numérique, hors des États-Unis.
Dans le fameux débat du numérique qui va tuer le papier, il faut surtout voir le débat qui amène les opportunités. Le fond, c’est l’histoire. Tant que les gens vont vers un titre, peu importe le support, c’est bon. Comment se faire une idée d’un livre en version électronique ? Par contre, vous venez le feuilleter en librairie et vous pouvez avoir des pistes.
Il ne faut pas se limiter à la profitabilité des libraires. Nous sommes là pour nous adapter. Air Mauritius avec son hedging, elle s’est adaptée, c’est tout. C’est un cycle.
Dans quel cycle êtes-vous ?
C’est le statu quo, concernant le fonctionnement. On ne sait pas trop quel sera l’impact futur de la technologie. Le plus gros souci des libraires, ce n’est pas les livres, c’est les magazines. Facebook est plus rapide que n’importe quel journal. Il y a eu des bouleversements et ça a été difficile pour les libraires. Moi-même, j’ai le journal papier, mais je consulte le fichier PDF. Kan mo bien bizin mo get papie.
S’adapter, pour un libraire c’est faire plus de place à la section papeterie ?
Tout à fait.
C’est cela qui fait vivre le livre ?
Heureusement chez nous, c’est équilibré. Le livre reste malgré tout devant la papeterie. Avant, le leader c’était la section informatique. Il y a quelques années, les Mills & Boon étaient très demandés, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Par contre les livres de «self help » comme Comment dire non, cela marche très bien. Il y a aussi des gens qui cherchent toute la série de Tintin, d’Astérix ou Lucky Luke. Enfant, ils l’ont lue mais n’avaient pas les moyens de l’acheter.
Combien ça coûte toute une série Tintin ou Astérix ?
Entre Rs 4000 à Rs 5000, parfois plus. Des Mauriciens installés en Australie ont commandé cela. Les Blek le Roc ont été remplacés par les mangas. Mais quand on vend des mangas, c’est pas que l’histoire, il faut aussi vendre des livres qui expliquent comment dessiner des mangas. C’est comme cela qu’on s’adapte.
Vous-même, que lisez-vous ?
Je ne lis que la quatrième de couverture. Je n’ai pas le temps. Il y en a trop. J’ai lu presque toute la série de Pierre Bellemare. Il raconte la vie, c’est arrivé un jour. Mon livre de chevet c’est Sun Zhu, The art of war. Quand vous avez un souci, vous feuilletez ça et cela vous donne une inspiration. Vous vous apercevez aussi que bien des gens prétendent l’avoir lu.
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