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#50ansMoris: les inter-écoles, rare embellie durant cette sombre période
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#50ansMoris: les inter-écoles, rare embellie durant cette sombre période
Alors que Port-Louis compte ses blessés, des enfants remportant un tournoi de football inter-écoles primaires apportent du baume au coeur. Ces activités sportives qui permettaient de dénicher de nouveaux talents ont disparu…
Ce 25 janvier 1968, la capitale essaie de panser ses blessures. Au milieu des blessés que l’on dénombre durant les bagarres raciales qui ont éclaté une semaine de cela, un article en page 4 de l’express attire l’attention. C’est une bonne nouvelle parmi le lot de mauvaises nouvelles qui assaillent le pays. Une photo en noir et blanc montre des garçons en tenue de foot. Ils posent avec un Sports Officer et le maître d’école.
Bras croisés, regard fier, satisfaction indéniable… Les petits sont souriants. Ils bombent le torse. Ces élèves de l’école primaire de Bell-Village viennent de rafler le championnat de ligue inter-écoles primaires. Une compétition, à l’époque populaire, qui a disparu depuis.
Un demi-siècle plus tard, ce tournoi de football ne fait plus partie du paysage scolaire primaire. Il a disparu bien avant les championnats intercollèges (de foot, de natation et d’athlétisme).
«Les compétitions inter-collèges n’existent plus. La formule a changé. Il s’agit à présent de compétitions inter-régions. L’engouement n’est plus pareil», avance Stany Maurice, responsable des sports à l’express. D’ajouter que ce serait bien que les inter-collèges soient remis au goût du jour. «Elles ont permis de détecter des talents», dit-il.
Claude Julie, ancien enseignant et chroniqueur sportif, explique, lui, que ces compétitions ne connaissent plus le même enthousiasme. «Avant, c’était un événement national. Tous les élèves en parlaient. Le niveau de certains collèges était tel qu’après les années scolaires, ils atteignaient le niveau national et représentaient Maurice au niveau de l’océan Indien.»
Selon Stellio Pong, ancien chroniqueur sportif à l’express, les compétitions inter-écoles ont cessé depuis plusieurs années. «Souvent, le St-Esprit remportait les compétitions», souligne-t-il.
En 50 ans, les écoles ont beaucoup changé. Harrydeo Unjore, enseignant à la retraite, en sait quelque chose. Sa carrière, il l’a débutée en 1956. À cette époque-là, il était posté à l’école de Cassis. «Le maître d’école m’a confié la responsabilité d’organiser des tournois de football », se souvient-il.
Des matchs étaient organisés dans chaque région, à l’instar des Plaines- Wilhems et Moka. Au fil des matchs, les élèves de l’école de Cassis devennaient des meilleurs joueurs. Et cette année-là, ce sont eux qui raflent le trophée.
Outre les tournois sportifs organisés pour les élèves, des enseignants s’engageaient aussi dans des confrontation. Saroop Kitaruth, aujourd’hui à la retraite, évoque des tournois de volleyball et de football. «Tous les enseignants y participaient», dit-il.
Pour Harrydeo Unjore, ces compétitions apportaient une compétition saine et encourageaient l’esprit d’équipe. «Avant, les enseignants étaient là pour le travail. Certains effectuaient de longues distances à pied pour se rendre au boulot. Cela n’existe plus à présent.» De préciser que la compétition pour des leçons particulières a pris le dessus, de même que ces profs qui font du business.
Questions à … Parsad Gunputh, ex-enseignant et auteur : «Les enseignants de langue orientale étaient méprisés»
Il a 85 ans mais ne les fait pas. Parsad Gunputh a une longue et riche carrière dans l’enseignement de hindi. Il a commencé à enseigner en 1964 et a également écrit plusieurs livres. En 1968, il travaillait à l’école primaire Darwin, à Quatre-Bornes (établissement qui a depuis disparu).
1968 était une année particulière pour les Mauriciens. Qu’est-ce qui vous a marqué ?
Je n’oublierai jamais l’enthousiasme des Mauriciens. Nou tou ti enn ! Il n’y avait pas de démarcation. Je n’ai jamais revu cet élan encore. Je ne crois pas que j’en serai témoin un jour. Bien qu’il y avait des bagarres raciales, à l’approche de l’Indépendance, tous les Mauriciens s’étaient rapprochés. Tou ti enn !
Les effets des bagarres raciales étaient-ils ressentis dans les écoles primaires ?
Nous étions au courant qu’il y avait des tensions mais elles étaient localisées. Dans les Plaines-Wilhems, la vie se déroulait normalement. On sentait quelque chose dans l’air mais nous sommes restés unis.
Un enseignant de langue orientale avait-il le même statut que celui du «mainstream» ?
Nous n’étions pas au même niveau. Même nos salaires étaient inférieurs. Il a fallu attendre l’Indépendance pour que nos conditions de travail soient revues.
Les langues orientales étaient-elles valorisées à cette époque ?
Les parents voulaient que les élèves connaissent leurs langues ancestrales. Tous les parents optaient pour cela, peu importe la communauté. D’ailleurs, un grand nombre de personnes s’exprimaient en bhojpuri. Cependant, les parents ne voulaient pas que leurs enfants deviennent enseignants de hindi. Ils préféraient qu’ils soient dans le mainstream car cela ouvrait bien plus de portes. Il y avait un certain mépris à l’égard des enseignants de langue orientale. À présent, les choses ont changé. Les enseignants de langue orientale sont instruits et titulaires de diplômes universitaires.
Les «baïtkas» ont presque toutes disparu…
En ville, oui. On en trouve toujours quelques-uns dans les villages. J’ai appris le hindi dans les baïtkas (NdlR, salles où on apprenait les langues orientales notamment). Chaque famille donnait 50 sous par mois au Guruji. Il parcourait des kilomètres à pied pour pouvoir nous éduquer. Et il le faisait parce qu’il voulait partager sa culture.
Quelle place les langues orientales occupent-elles à présent ?
Elles sont valorisées sur le plan international. Il y a plein de possibilités et il n’existe pas de barrière avec Internet. Toutes les langues – le hindi, l’ourdou, l’arabe – sont valorisées. Les gens veulent connaître leur culture ainsi que celles des autres. Les langues orientales sont un bon moyen de préserver la paix.
«Lékol lontan»
Les enseignants sont tous unanimes à évoquer la pauvreté à laquelle faisaient face les élèves à l’approche de l’Indépendance. «Certains élèves n’avaient pas de chaussures, ils venaient à l’école pieds nus. D’autres travaillaient en même temps dans les champs pour aider leurs parents», raconte Saroop Kitaruth. Il ajoute que la situation était encore plus difficile dans les villages.
Bien que les élèves étaient tenus de s’exprimer en anglais dans les salles de classe, pendant les pauses, on entendait des conversations en bhojpuri. En outre, quand les garçons jouaient au foot, les filles, elles, apprenaient la couture. «Lors de notre formation, même les hommes apprenaient à coudre. C’était normal.» Il ajoute que les jeux «canette» ou encore «lastik» et «la marelle» étaient courants. Ceux qui n’avaient pas de cartable apportaient leurs bouquins dans des «tentes bazar». Cependant, on s’entraider dans les salles de classe. Il y régnait une certaine solidarité…
La relation enseignantélève était également très différente. «Moral Teaching» était une matière à part entière. On inculquait des valeurs aux élèves : l’amour, la tolérance, la discipline, le respect…
Port-Louis paralysée
Le 24 janvier 1968, 293 «marins» britanniques foulent le sol mauricien. Ils seront rejoints par d’autres militaires dans les jours qui suivent. Car la violence a atteint de nouveaux sommets dans la capitale. Et les Port-Louisiens ont peur. Plusieurs commerces restent fermés, ce 25 janvier. Magasins, forges, le port…Les employés refusent de se rendre au travail. L’express rapporte que presque tous les dockers du New Mauritius Dock n’ont pas travaillé les deux derniers jours. Aux Forges Tardieu, le personnel administratif a bien repris son poste. Mais les ouvriers ont choisi de rester à l’abri chez eux…
Photo du jour
Bell-Village: l’école de foot des champions
L’équipe de football de l’école de Bell-Village a remporté le championnat inter-écoles primaires pour la région de Port-Louis. Après ce titre, ces jeunes feront encore mieux en enlevant le titre au niveau national. Le tournoi avait été organisé par le ministère de l’Éducation sous le patronage de Danny McLennon, ancien coach de la MSA.
Plus jamais ça
«Nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple, car un peuple sans histoire est un monde sans âme.»
<p>Alain FOKA (Radio France Internationale Archives d’Afrique).</p>
Cette stèle a été érigée ici afin que l’île Maurice d’aujourd’hui et de demain se souvienne de ceux et celles qui ont été violemment arrachés de leur paroisse, de leur maison, de leurs traditions. La paroisse Saint-François-Xavier était habitée par une élite chrétienne et créole de l’île Maurice.
À l’orée de l’accession du pays à l’Indépendance, en 1968, cette communauté créole et chrétienne a payé le prix le plus élevé des violences intercommunautaires qui, d’une part, leur ont enlevé des êtres chers en les arrachant du lieu de leur naissance, et, d’autre part, les a poussés à un exode massif, pour la plupart vers l’Australie et d’autres pays. Il y a aussi des familles musulmanes qui ont souffert de la perte de leurs proches.
Aujourd’hui encore, ces déchirements restent vivaces. Pourtant, le pays semble mettre aux oubliettes cette période difficile mais significative des démons qui hantent encore l’inconscient mauricien. Pourquoi réveiller ces mauvais souvenirs ?
D’abord parce que «nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple, car un peuple sans histoire est un monde sans âme». Pour que l’île Maurice n’oublie pas. Des personnes sont mortes par violence, victimes de la haine organisée.
Deuxièmement, pour guérir la mémoire. L’oubli laisse ouvertes les plaies mal identifiées qui ne cessent de suppurer la haine et la vengeance. Des souffrances étouffées resurgissent sous formes de préjugés, de racisme, finalement de violence latente qui attend le moment de la revanche ou alors se terrent dans un silence suicidaire.
Troisièmement, se souvenir pour construire l’avenir. Parce que seule la vérité nous rendra libres car l’oubli est une manière d’avoir peur de regarder en face le mal dont notre humanité est capable pour dire avec force : PLUS JAMAIS ÇA !!! Se souvenir pour guérir et donc transmettre à la jeune génération les fruits de notre combat pour une mémoire réconciliée afin qu’elle construise l’avenir de notre pays et du monde sur l’espérance d’un monde meilleur.
Se souvenir pour construire avec elle un monde où les différences de races, de cultures et de religions ne soient pas des lieux d’affrontements mais de rencontres, d’enrichissement mutuel qui nous apportent la joie de tirer profit de nos différences dans un monde arc-en-ciel.
Père Jean Maurice LABOUR
Vicaire général ; curé de la paroisse.
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