Publicité

#50ansMoris: 1968, hôtels et touristes commencent à se sentir chez eux

28 janvier 2018, 22:30

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

#50ansMoris: 1968, hôtels et touristes commencent à se sentir chez eux

28 janvier 1968. L’inquiétude règne dans le pays. L’hebdomadaire week-end fait état du bilan de la semaine lors de bagarres entre communautés. Vingt morts sont déplorés. L’agence de presse Reuters et la BBC relaient les tristes nouvelles à travers le monde. Weekend évoque, pour sa part, un «coup non moins violent à notre industrie touristique».

Malgré les turbulences, un patriote a l’espoir pour son pays. Michel Pitot (ci-contre), le directeur et un des fondateurs de New Mauritius Hotels Ltd (NMH), le premier groupe hôtelier du pays, en compagnie d’Amédée Maingard, rêve d’une industrie florissante malgré le désordre qui règne dans le pays. Il partage sa vision avec le journaliste du week-end. Le NMH vient d’être fondé, fruit d’une fusion quatre ans plus tôt (24 décembre 1964) entre Mauritius Hotels, Vatel et le Morne Plage. Mauritius Hotels a déjà quelques expériences dans le domaine pour avoir acheté le Château Mallac, à Curepipe, transformé en hôtel en 1952, le Park Hotel avec une quarantaine de chambres. Cet hôtel est ouvert après la confirmation de la liaison Perth-Johannesburg, par la compagnie Quantas, avec escale à Maurice. Le personnel naviguant peut s’y reposer pendant 24 heures.

La situation est, certes, difficile, mais il faut miser sur la clientèle réunionnaise, sud-africaine et malgache pour faire marcher l’industrie touristique, insiste le directeur du groupe au week-end. Michel Pitot songe également aux touristes friands de la pêche sous-marine et de la pêche au gros pour remplir le Morne Brabant, en voie d’être agrandi. Et pourquoi pas un hôtel d’affaires dans la capitale ? Il étale ses projets à la veille de la fête de l’Indépendance dans un climat de tension. Il ne se départit pas de son optimiste. Cinquante ans plus tard, Michel Pitot accueille l’express dans sa demeure, à Floréal. Des livres entreposés sur la table laissent deviner qu’il continue de voyager grâce à la lecture.

L’ancien directeur de NMH demande qu’on lui rafraîchisse la mémoire. «Je disais quoi dans cet entretien ? Vous faites référence à quelle époque en particulier et à quelle tension? » demande-t-il. Notre article traite de la période pré-Indépendance. «Ah ! À cette époque, personne ne voulait de l’industrie touristique. Les Anglais avaient tout abandonné. Quelques-uns parmi nous avaient le feu sacré, nous savions que Maurice avait du potentiel. Un Français était venu nous aider, mais il ne croyait pas en ce secteur en raison de l’éloignement de l’île avec l’Europe», se souvient-il. «Nous avons dû nous séparer de lui. Même quelques Mauriciens ne croyaient pas en nous. Finalement, nous avons connu beaucoup de succès.»

Le pionnier de l’industrie touristique ne veut pas qu’on le considère comme un visionnaire. «Nous étions des passionnés. L’île Maurice avait le potentiel côté humain. Les Mauriciens avaient un sourire qu’ils pouvaient offrir. Ils étaient heureux et ils pouvaient communiquer leur bonheur aux clients. C’est cela qui a fait notre succès», dit Michel Pitot.

Pourtant, les clients ciblés arrivent à peine. Point de Réunionnais et encore moins de Malgache. Un ami du groupe, un homme d’affaires possédant un DC-4 (NdlR, le DouglasDC-4 est un avio de transport quadrimoteur construit par Douglas Aircraft Company entre 1942 et 1947) emmènent chaque week-end des mineurs sud-africains travaillant dans une mine de cuivre, à Maurice. Les directeurs du groupe font jouer leurs relations.

Petit à petit, les Français commencent aussi à poser leurs valises. Ensuite des touristes d’autres nationalités. Quelques-uns préfèrent la tranquillité et le côté rustique de l’hôtel Le Morne Brabant, d’autres ne veulent pas y mettre les pieds en raison de son éloignement…Il a fallu donc construire Le Chaland,à côté de l’aéroport. Il est désormais connu comme Le Shandrani. Toutefois, aucun hôtel n’a été construit à Port- Louis. «C’était sir Seewoosagur Ramgoolam qui voulait un hôtel d’affaires dans la capitale. Heureusement, on ne l’a pas fait. Le pays n’était pas prêt pour ce type d’hôtel», soutient Michel Pitot.

Aujourd’hui, le groupe possède huit hôtels à Maurice et le Beachcomber French Riviera, un hôtel quatre étoiles de 155 chambres situé sur la Côte d’Azur, en France.

Rs 10 la chambre…

Une nuitée dans un hôtel de NMH, en 1968 coûtait entre Rs 10 et Rs 80. Maintenant, le prix moyen d’une chambre double à l’hôtel Canonnier Beachcomber, par exemple, est de Rs 12 090 (tarif public). Le prix moyen d’une chambre simple est de Rs 9 087.

51 500

Il n’y avait pas de statistique sur les touristes à l’époque. Pendant la période 1967-1968, le journal week-end fait mention que NMH en a enregistré 51 500. Depuis 2016, environ 1,2 million de touristes visitent Maurice annuellement.

5 000 employés

Le NHM emploi quelque 5 000 employés. Ce chiffre représente 16 % du personnel de l’industrie touristique. Celle-ci compte 30 973 employés, selon les statistiques de mars 2017 du ministère du Tourisme.

Un «gato pima» à 25 sous

Les choses n’ont pas changé au marché de Port-Louis. Dans son entretien à week-end, Michel Pitot dénonçait «ces personnes qui voyaient en des touristes des millionnaires à exploiter». Un touriste qui payait un gâteau piment à 25 sous au marché de Port-Louis, en 1968, se faisait arnaquer. Les choses n’ont pas changé. En octobre dernier, un touriste avait payé Rs 8 000 pour un tatouage au henné.

«Communalisme» et sport: Premiers lancers francs

En janvier 1968, le débat est lancé. Il faut éliminer le communalisme dans le sport. Politiciens et amateurs montent au créneau. Ce n’est qu’en 1982 que le problème est résolu. En partie. Il a fallu attendre l’an 2000 pour créer de nouveaux clubs de football avec la régionalisation.

Le ton est donné ce matin du 28 janvier 1968. Yves Fanchette est chroniqueur sportif au week-end et un passionné de sport. Dans son billet de ce dimanche, il regrette que toutes les activités sportives aient été suspendues par la Mauritius Sports Association en raison des turbulences provoquées par des bagarres entre communautés.

L’ancien chroniqueur, décédé en 2011, a mis l’accent sur l’importance du sport. Pour lui, «le sport est un élément fédérateur qui peut aider en ce temps de haute tension ». Il avait toutefois des questions : «Dans le contexte actuel, le sport ne serait-il pas mis en accusation, vu la tendance nettement communaliste de la part de club sportif ?» Le Tamil Cadet, le Racing Club, Dodo le Scout, la Fire Brigade ou encore le Hindu Cadet dominent la ligue de football en cette période pré-Indépendance.

Le leader du PMSD et de l’opposition, Gaëtan Duval, en avait également fait mention dans une conférence quelques jours plus tôt. Il condamne le communalisme dans le sport.

Yves Fanchette fait un appel pour la transformation profonde du sport mauricien… et accorde le bénéfice du doute à Gaëtan Duval, bien que ce soit la parole d’un politicien. Le chroniqueur sportif salut la prise de position du leader de l’opposition, quelque peu contesté par ses adversaires qui lui reprochent de soutenir des fauteurs de trouble. Proche des «Créoles», il était contre l’Indépendance. Dans son livre, Passions politiques, Jean-Claude de l’Estrac cite un entretien que Gaëtan Duval a accordé à Alain Gordon-Gentil, un journaliste. «Je n’ai jamais pu comprendre jusqu’ici comment une bagarre a pu éclater entre musulmans et créoles, deux communautés qui étaient côte à côte pour les élections au sein d’un même parti… Comment expliquer cela ?... Seul un autre parti pouvait le faire.»

Était-il sincère? Sollicité par l’express, Alain Gordon-Gentil déclare : «On ne peut pas répondre à cette question par un oui ou non. Duval était un être complexe qui, dans la finalité de son action, était, je pense, sincère.» (NdlR, nous reviendrons sur cet entretien dans une prochaine édition.)

Pour revenir au communalisme dans le sport, Stellio Pong, s’en souvient. «Effectivement, c’est pendant cette période que ce débat a été lancé», dit-il. L’ancien journaliste ajoute qu’il a fallu l’arrivée du MMM au pouvoir, en 1982, pour que Rama Poonoosamy dépose une motion à l’Assemblée législative pour éliminer les liens communautaires.