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#50ansMoris: terre nourricière pour la mère patrie

31 janvier 2018, 22:45

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#50ansMoris: terre nourricière pour la mère patrie

La Chambre d’agriculture présente son plan pour la culture vivrière sur les propriétés sucrières. Parmi, la pomme de terre, que l’on se propose de produire massivement.

Il faut nourrir cette nation qui pourra à peine compter sur les Anglais. La Chambre d’agriculture a un plan. En ce matin du 31 janvier 1968, l’île Maurice prend connaissance du programme des cultures vivrières sur les propriétés sucrières. Celui-ci est préparé par une équipe dirigée par Hervé Koenig.

D’ici 1970, il faudra produire 17 000 tonnes de pommes de terre sur 3 500 arpents. Joseph-Maurice Paturau, qui est à la tête de la Chambre d’agriculture, lance un appel : «La participation des gros et des petits planteurs de cannes à l’expansion des cultures vivrières est essentielle.» Leur collaboration est nécessaire pour atteindre l’objectif fixé.

Si la pomme de terre est produite en masse, elle pourra se vendre entre 15 à 20 sous la livre. Mais il n’y a pas que ce féculent. Le plan préconise la culture du haricot, du maïs et de la pistache sur une superficie de 900 arpents. L’oignon et le gingembre seront, eux, cultivés sur 50 arpents de terre chacun.

Toutefois, la production de pistaches intrigue la presse, en raison de sa faible rentabilité. «Les pistaches sont utilisées pour produire de l’huile pour l’exportation», répond la Chambre d’agriculture.

Faire une pierre deux coups. L’objectif est de réduire le coût de la vie, tout en diminuant l’importation par Rs 11,6 millions par année. De plus, ce secteur pourra absorber les nombreux chômeurs.

Deux années plus tard, au début des années 70, l’effort commence à porter ses fruits. L’agronome Jean-Cyril Monty s’en souvient. «Quelque 70 % de nos consommations provenaient de l’industrie sucrière. Les propriétés sucrières avaient entendu l’appel de sir Seewoosagur Ramgoolam. Elles faisaient de la culture entre les lignes dans les champs de canne», se souvient-il.

Pour donner un coup de pouce à ce secteur, le gouvernement met sur pied le National Food Committee en 1974 pour la mise en place des structures adéquates à une période où il est difficile d’importer des denrées alimentaires. Et en 1982, le nouveau gouvernement vise l’autosuffisance. Cet objectif est atteint trois ans plus tard. Le bilan est positif : plus de 23 000 tonnes de pommes de terre, et 8 000 tonnes de maïs sont produites. Le pays est autosuffisant en poulet et en maïs.

Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. La culture de pistaches a disparu, alors que la production du maïs à grande échelle ne se pratique plus après avoir nourri plusieurs générations. Que s’est-il passé? L’autosuffisance est atteinte en fin en 1985. Cependant, les produits mauriciens doivent faire face aux produits étrangers.

«Nous n’étions pas compétitifs, comparés aux produits européens et sud-africains. Les Européens, qui subventionnaient les agriculteurs, produisaient en masse. L’excédent de production était exporté vers l’Afrique. Le lait en poudre, par exemple, était moins cher que le lait frais», explique Jean-Cyril Monty.

La génération consommant le fameux lait Everyday, en provenance d’Irlande, vient de naître. Le maïs en provenance d’Afrique du Sud coûte Rs 2 500 la tonne, alors que celui de Maurice est acheté à Rs 5 000. Peu à peu, les producteurs locaux abandonnent la production de maïs et d’autres produits pour se concentrer uniquement sur la canne à sucre.

Le Dr Philippe Forget appelle à la coopération mauricienne

«Le sens de la coopération.» C’est le titre de l’éditorial du Dr Philippe Forget, directeur de l’express, en ce mercredi 31 janvier 1968. Les bagarres entre les communautés sont moins présentes dans l’actualité. Les sentences tombent pour les premiers coupables. Cinq ans de prison pour ceux arrêtés en possession d’armes. C’est dans ce climat que le Dr Forget lance son appel alors qu’au même moment, la Chambre d’agriculture présente son plan de réforme pour augmenter la production vivrière.

«Dès que les troubles auront pris fin – dans quelques jours ou dans quelques semaines – il faudra relancer, à l’échelle du pays entier, le mouvement visant, à long terme, l’intégration nationale et, à court terme, le développement de lien de solidarité non sectaire. On peut affirmer avec quelque justification qu’une telle campagne serait conforme aux souhaits d’un très grand nombre de Mauriciens réfléchis. L’occasion d’agir sera venue et, qui sait, ce sera peut-être celle de la dernière chance», écrit-il.

La coopération nationale, pense le directeur de l’express, sera une des clés d’une opération de sauvetage et la solution face aux problèmes socio-économiques, comme la baisse du pouvoir d’achat. En cette fin de janvier 1968, à la veille d’une diversification agricole, le Dr Philippe Forget demande aux petits planteurs de se regrouper pour ne pas disparaître.

À quoi pensait donc, alors, le directeur de l’express ? L’actuel Executive Chairperson de La Sentinelle, Philippe Forget, qui est également le fils du fondateur du journal, analyse le sens de cet appel. «L’appel du Dr Forget a sans aucun doute été coloré par les circonstances très difficiles de l’époque. Son éditorial soulignait d’ailleurs que ‘la baisse du pouvoir d’achat des salariés et des prolétaires ne peut pas ne pas se prolonger pendant quelques années encore !’»

Poursuivant, Philippe Forget précise : «Au-delà des bagarres raciales, la situation économique du pays était donc plutôt catastrophique aussi ! Pourtant, résolument optimiste pour son pays, mon père cherchait, à la fois, le moyen de pallier au déclin temporaire des niveaux de vie et une approche qui jetterait les ponts de la réconciliation et du partage de l’effort.»

Et d’ajouter que : «La coopérative, sans promettre le miracle, faisait partie des options logiques. Ainsi sa proposition. Il n’y a aucun moyen de savoir à quel point cette idée a été entendue, mais l’express en a fait la promotion active à l’époque, notamment en soutenant le mouvement des Young Farmers de Clovis Vellin, de Bijaye Madhoo et d’Alfred Orian.»

50 ans d’économie: la transfiguration

Que de chemin parcouru en 50 ans !

Le scepticisme quant à l’avenir de Maurice est à son apogée dans les années 1960…

Le rapport Titmuss-Meade de 1961, plein de sagesse et de pessimisme à la fois, prône l’introduction rapide d’un service de planification familiale et la diversification agricole. Mais il n’est pas très optimiste pour l’industrialisation et l’est encore moins pour le tourisme. Un taux de chômage estimé à 39 %, selon le rapport Luce, va encore s’aggraver, prédit ce dernier, avec l’explosion des naissances post-guerre, dans le sillage du combat (et de la victoire !) contre la malaria. Meade trouve ce chiffre de chômage  exagéré et le situe plutôt… à 20 %, ce qui reste tout de même considérable !

Les données officielles sur le chômage sont alors presque inexistantes, puisque l’on n’enregistre pas encore les chômeurs… On n’ose pas ? On fait donc des estimations. Celles-ci sont toutes clairement effrayantes et le seraient encore plus en l’absence du «extended family system», qui réduit l’acuité du problème(1). Le PMSD qui est contre l’Indépendance, encourage vivement l’émigration comme solution. Entre 1961 et 1982, d’ailleurs, le pays enregistrera ainsi 66 000 départs d’émigrants. 22 900 de plus les suivront entre 1983 et 1990 (2).

Ce qui est certain, c’est que le recensement des emplois en septembre 1967 montre que le plus important des employeurs est alors le gouvernement avec 62 600 salariés, dont 30 900 sont des relief workers, les fameux «4 jours à Paris». Le gouvernement représente ainsi 45 % de l’emploi national, ce qui n’est clairement pas économiquement soutenable ! D’ailleurs, un trimestre après les élections générales du 7 août 1967, qui vote pour l’Indépendance, le nombre de relief workers est diminué radicalement à 18 500. En 2017, 50 ans plus tard, le taux de chômage est de 7,6 %. Plus impressionnant encore, en vue du pessimisme de Titmuss et de Meade, on comptabilise 542 400 employés en 2017, dont seulement 16,2 % sont maintenant des fonctionnaires.

Pour situer les mutations économiques sur 50 ans, il faut, au-delà de la situation de l’emploi, rappeler que l’express se vendait à 15 sous en 1968 et que le Produit intérieur brut (PIB), qui était alors estimé à 982 millions de roupies, a, depuis, progressé par 470 fois en 50 ans ! Il est vrai qu’il ne fallait que Rs 13,40 pour acheter une livre sterling à cette époque-là et que l’inflation s’est aussi mise de la partie entre-temps… Dans la même veine, le PIB par tête est passé de 260 USD à 10,482 USD, une progression majeure, par un facteur de 40 !

Parmi les autres évolutions notoires, celle concernant la balance commerciale. Souci majeur et permanent du gouvernement colonial de l’époque, car ce déficit est chronique et saigne le trésor britannique, il faut quand même souligner que les exportations de 1968 de 354 millions couvrent à 84 % les importations de cette année-là, cependant que, 50 ans plus tard, même si les exportations ont progressé à 83 milliards, elles ne couvrent plus alors les importations du pays qu’à… 50 %. Ce qui permet cela ? Les recettes reliées aux exportations non marchandes, notamment le tourisme et les services financiers et, quand cela ne suffit pas (la balance des comptes courants étant quand même déficitaire à 6 % du PIB), le bon vouloir des étrangers à travers leurs transferts et leurs prêts.

Entre-temps, la dépendance totale sur les recettes sucrières a disparu, la production sucrière elle-même ayant chuté de 600 000 tonnes en 1968 à 350 000 tonnes en 2017. Et de nombreux nouveaux secteurs d’activité, de la zone franche au tourisme, des secteurs financiers à l’agroalimentaire, des exportations des produits de la pêche aux TICs, du port franc à l’IRS, des PMEs aux industries de substitution prennent le relais pour générer de la production et de l’emploi.

En parallèle, l’espérance de vie passe de 59 à 70 ans ; le taux de natalité baisse de 31,2 pour 1 000 à 11,5 ; les ménages raccordés au réseau national de la CWA progressent de moins de 40 % à 94,3 % ; le pourcentage de logements en béton passe de moins de 50 % à 93 % ; et le coefficient de GINI reste plutôt stable, avec un taux de 0,42 en 1972, 0,45 en 1980, 0,37 en 2000 et 0,41 en 2010. En toile de fond, nouveau défi, une population jeune de 800 000 habitants se transforme en une population de 1,3 million qui vieillit rapidement !

Heureusement que la construction plus qu’aléatoire de l’avenir du pays ne s’est basé ni sur le statu quo (devenu, depuis, notre nostalgie de 2018 !) ni sur le socle unique d’une tonne de sucre par tête d’habitant ; idée saugrenue s’il en fut une (3), puisque 700 000 tonnes étaient le maximum possible, surface cultivable oblige !

À l’image de notre passé, notre avenir dépendra donc inévitablement et, encore une fois, de bons choix, d’adaptation et de labeur. Et peut-être bien aussi d’un changement de culture composé d’encore plus de discipline, de productivité, de méritocratie et d’ouverture vers ce qu’il y a mieux dans le monde !

Philippe A. FORGET

(1) Un pays, un peuple, une banque, Décembre 2013, MCB

(2) Une île éclatée, 1985, Monique Dinan

(3) Histoire Économique de l’île Maurice, Août 1988, J Maurice Paturau

Fait du jour: des arnaqueurs à l’œuvre

Un homme transportant un matelas et un ballot à bicyclette, accompagné d’un garçon. Il déménage probablement pour une localité paisible, comme l’ont fait beaucoup de Mauriciens qui fuient les bagarres. Devant ce drame humain, certains camionneurs en profitent. Et réclament entre Rs 75 à Rs 100 pour une course qui coûte normalement Rs 25.

Les chauffeurs de camion justifient leur acte en arguant qu’ils prennent des risques. Sauf que la plupart des camions sont escortés par des militaires. Malheureusement, tout le monde ne peut s’offrir le luxe de payer un camion. Le seul recours est la bicyclette.

Questions à…Yousuf Salehmohamed, le directeur général de Marlon : «Difficile de recycler les employés du secteur de l’habillement»

Les publicités de Marlon sont bien présentes dans les journaux de 1968. L’entreprise est-elle aussi ancienne que la nation mauricienne ?

Notre entreprise existe depuis 1960. Les fondateurs de Marlon ne sont plus de ce monde, tout comme ceux qui ont été à la tête de l’entreprise après l’Indépendance. J’ai rejoint Marlon en 1985. Nous existons avant la zone franche, qui est arrivée en 1970. La famille Aurdally a transformé un petit atelier de couture, sis à Port-Louis, en Marlon. À l’époque, il y avait Jadoo & fils également.

Est-ce que c’était difficile avec le chômage et l’instabilité sociale ?

Il y avait un marché à prendre. L’usine de Marlon confectionnait des chemises pour homme. Ce qui était plus facile que des vêtements pour dames. Il y avait une demande pour les chemises déjà cousues. Au fil des années, nous avons diversifié nos activités. Nous vendons aussi des accessoires de mode.

Comment les secteurs de l’industrie et de l’habillement ont-ils évolué après l’Indépendance?

Il y avait deux tendances. Certaines personnes étaient influencées par la mode occidentale et d’autres par Bollywood. Cependant, la tendance occidentale a pris le dessus, en raison des catalogues que nous recevions. Par la suite, il y a eu la zone franche.

Vous êtes un témoin de la naissance de la zone franche. Comment Marlon a-t-il pu avoir confiance dans ce secteur malgré la crise ?

J’ai rejoint la zone franche en 1975. Quand elle a été créée, il y avait des personnes avec certaines visions. Des Indiens, des Pakistanais, des Hongkongais et des Français sont venus avec leur savoir-faire. L’Île Maurice fabriquait des tissus pour de grandes marques européennes. C’était de la haute gamme.

À quelques jours du 50e anniversaire de l’Indépendance, comment voyez-vous l’avenir dans ce secteur ?

Ce milieu a de l’avenir. Toutefois, il faut l’analyser par rapport à ce que fait le gouvernement. Sans oublier de maintenir davantage de personnes dans ce secteur, car il est très difficile de les recycler. Bien qu’il y ait de nouveaux équipements dans le domaine, la formation doit être assurée.