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Drames en mer: quelles sont les causes des noyades ?

3 février 2018, 20:00

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Drames en mer: quelles sont les causes des noyades ?

Huit noyades depuis le début de l’année, dont six durant les deux jours fériés de cette semaine : le nombre de cas interpelle. Face à ces tragédies, une question revient. Quelles sont les causes des noyades ? Le Dr Satish Boolell et la National Coast Guard citent la consommation de boissons alcoolisées, le manque de prudence et l’excès de nourriture.

L’alcool et la baignade ne font pas bon ménage, prévient le Dr Satish Boolell. Quand il fait chaud, l’effet de l’alcool est plus rapide parce que le corps a plus de mal à éliminer. La consommation de l’alcool augmente, entre autres, le risque de choc cardio-vasculaire. Même en buvant modérément, le baigneur a tendance à surestimer ses capacités et à être moins prudent. «L’alcool augmente la confiance mais réduit la performance dans l’eau», explique l’ancien médecin légiste en chef de la police.

En fait, le nageur se met en danger plus facilement même dans des eaux sûres. D’ailleurs, même sans avoir bu d’alcool, un baigneur qui sait nager peut se noyer s’il se montre imprudent, par exemple s’il veut aller loin.

Les repas copieux sont également un facteur de risque. Il faut attendre la fin de la digestion qui dure au minimum trois heures, précise le Dr Satish Boolell. Pourquoi ? Lors de la digestion, la température corporelle s’accroît, ce qui augmente le risque de malaise par choc thermique lorsqu’on entre dans l’eau.

Le Dr Satish Boolell met aussi en cause un manque d’éducation civique à Maurice. Il soutient que si les parents ne réagissent pas en adultes responsables quand ils se rendent au bord de la mer, il est normal que les enfants fassent ce qui leur plaît dans l’eau. «Puisque nous avons une mauvaise connaissance de la mer, nous devons encourager l’accès à l’information sur les tragédies et causes de noyades en mer», plaide-t-il.

2 000 écoliers seront formés à la natation

L’an dernier, 1 000 élèves ont été formés à la natation dans 30 écoles primaires telles que Rémy Ollier, Sir Veerasamy Ringadoo ou encore Philipe Rivalland et cette année 50 écoles primaires s’ajouteront à la liste. Du coup, 2 000 élèves seront formées à la natation. Cette initiative, qui a été annoncée par la ministre de l’Éducation Leela Devi Dookun-Luchoomun, se fait avec la collaboration du Mauritius Sports Council et du ministère de la Jeunesse et des sports.

Selon Erwan Layec, responsable du projet et directeur technique du club des nageurs de Quatre-Bornes, 14 coaches ont été déployés dans les piscines l’an dernier et cette année leur nombre augmentera à 20. Cette formation, étalée sur 10 séances d’une heure, est destinée aux écoliers en grade 4. L’impact est positif car sur 920 élèves formés, 25 % peuvent nager à plus de 10 mètres. Ils ont aussi eu une session sur la sécurité en mer.

Les élèves bénéficient d’une couverture d’assurance et le transport par autobus est remboursé par le ministère de l’Éducation. Le matériel de natation est aussi donné par le Mauritius Sports Council. La construction de nouveaux bassins d’apprentissage est prévue à Melrose, Souillac, Plaine-des-Papayes et Cascavelle. Un appel d’offres sera lancé au début du mois prochain et la construction se fera cette année.

Quid des écoles privées ? À l’École du Centre, selon un parent d’élève, les sessions de natation sont obligatoires pour les élèves âgés de sept à dix ans et elles se déroulent à la piscine Synergie, à Helvetia. Vient s’ajouter à cette compétence une formation de la voile.

Parmi les soucis d’apprentissage, il y a la peur de l’eau. Mais avec l’effort des parents, des moniteurs et des enfants eux-mêmes, cette peur est vaincue. Les enfants développent donc une confiance en eux.

Les parents privilégient les études

«Les touristes se moquent de nous. On est entourés de la mer, mais on (NdlR, les Mauriciens, NdlR) ne sait pas nager.» C’est ce que nous a confié un haut gradé de la National Coast Guard. Il explique cela par le manque de piscine, et les heures d’ouverture des quelques piscines dont on dispose. «Très souvent, des parents veulent apprendre à nager à leurs enfants, mais les études ont la priorité. Ils vont privilégier des leçons particulières aux classes de natation. Et lorsque l’enfant se libère, les piscines sont fermées», affirme-t-il. Quid des cours de natation dispensés par le ministère de la Jeunesse et des sports en bord de mer ? C’est à la piscine qu’on doit apprendre à nager. Et une fois que la personne a maîtrisé la natation, on peut l’envoyer en mer. La natation, ce n’est pas «bat bat la me, bat bat lipye». Sans compter que les gens ne vont pas se déranger en sortant de loin chaque semaine uniquement pour apprendre à nager. «Des piscines de proximité auraient fait l’affaire», dit notre source.

Que fait la garde-côte ?

Rédigé sous la National Coast Guard Act de 1988, le travail des éléments de la National Coast Guard (NCG) constitue principalement à effectuer des patrouilles. En mer, ils détectent et empêchent des délits tels que la pêche illégale, effectuent des contrôles de routine auprès des plaisanciers ou escortent les skippers sous influence de l’alcool avant de les soumettre à des alcotests.

Sur terre, les gardes-côtes veillent à ce que les marchands de plage soient en conformité avec la loi. Quid des sauvetages en mer ? Un haut gradé confie que très souvent, les membres de la NCG ne sont pas sur place lorsque survient une noyade. «On reçoit plutôt des appels téléphoniques et on fait appel à des officiers qui sont en mer et sur terre pour venir en aide à ceux qui sont en danger. Si besoin est, on fait appel au Helicopter Squadron de la police», dit-il. D’ajouter que la garde-côte fait face à un manque de personnel.

Saviez-vous que les éléments de la NCG peuvent aussi arrêter le conducteur d’un véhicule s’il est en contravention avec la RoadTraffic Act ? «On est policier, après tout !» souligne le haut gradé.

Viraj Ramharai: «Les Mauriciens pas intéressés à apprendre à nager»

Viraj Ramharai, International Life Saving Trainer.

Six cas de noyade en 24 heures. Comment réagissezvous face à ces drames ?
C’est triste que des familles souffrent aujourd’hui. Ces cas en série ne se sont jamais produits auparavant, même si les Mauriciens sont conscients du danger.

Qu’est-ce qui a provoqué ces noyades selon vous ?
Selon les informations en ma possession, ces cas relèvent de la panique. C’est-à-dire que ces victimes se sont aventurées dans des zones où elles perdent pied et où les courants peuvent les déstabiliser. Lorsqu’elles paniquent, le drame peut se jouer très vite car elles ne peuvent crier à l’aide.

Que faut-il faire à ce moment ?
La personne en difficulté en mer n’est plus rationnelle, la seule option est d’appeler à l’aide. Les autorités ou les sauveteurs vont tenter de la sauver. Ceux n’ayant peu ou pas d’expérience ne doivent pas essayer de sauver une personne en difficulté, car les réactions de celle-ci sont boostées par l’adrénaline. Elle peut devenir violente et vous tirer avec elle sous l’eau.

Les gardes-côtes sont souvent mis en cause pour ne pas arriver à temps lors des cas de noyade. Est-ce que la présence permanente des sauveteurs aurait changé la donne ?
Sur les plages, il manque des sauveteurs et des équipements pour sauver les personnes. C’est pendant les week-ends qu’il faut une présence accrue. Il faut environ sept sauveteurs par plage et aussi des équipements en cas de noyade. Il y a des sauveteurs volontaires à travers l’île. Toutefois les autorités n’ont pas les moyens d’installer un poste sur chaque plage ni de payer ces volontaires. À chaque fois qu’on interpelle les autorités, celles-ci parlent de problèmes d’argent.

L’épine du problème ne serait-elle pas que les Mauriciens ne savent pas nager ?
Les Mauriciens ne sont pas intéressés à apprendre à nager. Pourtant, il ne manque pas de moniteurs dans l’île. Lorsqu’on donne des cours gratuits, l’affluence n’est pas au rendez-vous pour diverses raisons. La seule audience qu’on a, ce sont des enfants, et cela grâce aux programmes des ministères.

Que faut-il changer pour réduire le risque de noyade à Maurice ?
Premièrement, il faut bannir l’alcool des plages publiques. Puis sur toutes les zones de baignade dangereuse, il faut indiquer la profondeur de la marée basse et de la marée haute. De plus, il faut indiquer les numéros d’urgence.

Natacha Château qui a perdu sa fille noyée à Tamarin «Je prie beaucoup»

La douleur est toujours intense et les plaies difficiles à panser. Natacha Château, 33 ans, a perdu sa fille Shannen, 10 ans, en novembre dernier. La fillette est morte noyée à Tamarin.

Shannen Château qui habitait Camp-Diable avait brillamment réussi ses examens de grade 5 et devait entrer en grade 6. Pour la récompenser, ses parents l’ont autorisée à se rendre chez sa tante à Baie-du-Cap mais le malheur a frappé, le dimanche 19 novembre. Un pique-nique à Tamarin a tourné au drame.

«Il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à elle. Je ne pourrais jamais l’oublier mais je me suis refugiée en Dieu. Je prie beaucoup. Depuis ce drame, mon fils de cinq ans s’est attaché à moi et je dois surmonter cette épreuve pour lui», confie Natacha Château.

La trentenaire sort désormais rarement et elle est devenue protectrice vis-à-vis de son fils. «Je n’étais pas à la mer ce jour-là. Mais si j’avais été là, Shannen aurait été toujours avec nous», regrette-t-elle.

Les mauvais souvenirs ont apparu jeudi quand elle a pris connaissance du drame du Goulet. Cette mère a été très peinée lorsqu’elle a appris qu’une fillette s’est noyée. «J’étais très triste. Je comprends la douleur de cette famille car moi aussi je suis passée par là. La seule chose qu’il faut faire à présent, c’est de laisser tout entre les mains de Dieu.»


Le Goulet. Le danger guette

«Il est très dangereux de nager au Goulet.» Viraj Ramharai, sauveteur qualifié de la Surf Lifesaving Association Mauritius, a identifié plusieurs facteurs qui rendent dangereux le lagon du Goulet, à Baie-du-Tombeau. «Il n’est pas bordé par des récifs et il est exposé aux houles du large qui peuvent surprendre un baigneur. En se retirant, elles peuvent l’emmener vers le large.» De plus, la profondeur du lagon varie d’un endroit à l’autre et elle change constamment. «Si vous avez pied à un point un jour, le lendemain la situation peut changer.»

Par ailleurs, la rivière du Tombeau, qui se jette dans cette baie, influence le courant marin et la densité de l’eau, ce qui influe sur la flottaison d’une personne en mer. Patrick, un habitant du Goulet, souligne que c’est la période de pluie qui est responsable des noyades car il est déconseillé de nager dans cette région vu sa proximité avec la rivière.

Aucune loi pour interdire la nage

Bien qu’il y ait des panneaux sur lesquels sont inscrits les mots «Bain dangereux» sur 16 plages de Maurice (voir la carte ci-dessous), il n’y a aucune loi qui autorise les éléments de la National Coast Guard à forcer les gens à sortir de l’eau. C’est ce qu’on apprend au sein de la garde-côte. Et souvent, les Mauriciens se rendent au bord de mer alors que c’est peu recommandé. «Les gens font fi des consignes. Ils s’approchent de la mer au risque de se faire emporter par les houles», dit-on. À l’île soeur, par contre, les gens sont plus avertis. «Ils respectent les alertes émises par les autorités. D’ailleurs, s’ils désobéissent aux consignes, ils peuvent être pris en contravention», faiton ressortir. Nos sources estiment qu’il faut, à Maurice également, une loi interdisant la nage sous certaines conditions climatiques.