Publicité
#50ansMoris: Les hommes avant la patrie, le culte de la personnalité dans la politique mauricienne
Par
Partager cet article
#50ansMoris: Les hommes avant la patrie, le culte de la personnalité dans la politique mauricienne
En ce lundi 5 février 1968, on se prend encore une fois en pleine face les retombées des bagarres raciales qui ont mis le pays à genoux pendant plusieurs jours. Dans les colonnes de l’express, Hervé Masson est dégoûté par «cette recrudescence du communalisme». Mais il est d’avis que le mal se trouve ailleurs, plus dans les paroles que dans les actions.
Le coupable est tout trouvé. Le discours politique. «Ah ! Le beau travail accompli par nos chefs de partis ! Certes, ils n’ont pas voulu ces violences, mais consciemment ou inconsciemment, ils ont tout fait pour les rendre inévitables», s’exclame Hervé Masson avec sa plume déchaînée.
À cette époque, les chefs de partis sont plus que des politiciens. Ils sont des surhommes appelés à prendre la relève avec le prochain départ des Anglais. Ils sont Seewoosagur Ramgoolam du Parti travailliste (PTr), Abdool Razack Mohamed du Comité d’action musulman (CAM), Sookdeo Bissoondoyal de l’Independent Forward Bloc (IFB) et Gaëtan Duval du Parti mauricien social-démocrate.
Quelques mois plus tôt, ces quatre leaders se partageaient déjà l’admiration totale du prolétariat durant l’élection référendum d’août 1967. Seewoosagur Ramgoolam, Abdool Razack Mohamed et Sookdeo Bissoondoyal pour les indépendantistes et le seul Gaëtan Duval pour ceux désirant l’intégration avec la Grande-Bretagne. Malgré la violence des bagarres raciales en janvier 1968 ou les abus de pouvoir dans la période post-Indépendance, ils sont toujours perçus comme des héros.
À l’aube de l’Indépendance, le journal Advance baptisait Seewoosagur Ramgoolam «le père de la nation». Dans une biographie de Sookdeo Bissoondoyal par Ramnath Jeetah, ce dernier estimait que dans la vie du leader de l’IFB, on retrouvait l’histoire de l’île Maurice indépendante.
Un leader politique a besoin de charisme
L’auteur Moomtaz Emrith, dans sa biographie du leader du CAM, avance que, dès son plus jeune âge, Mohamed était un «leader in the making». Quant à Gaëtan Duval, il était connu dans la vie et plus tard même dans la mort, comme étant «le roi des créoles». Ils avaient tous ce don de faire lever les foules, pour le meilleur comme le pire.
Cependant, Dev Virahsawmy, linguiste et vétéran de la politique, pense que le débat est faussé quand on parle du culte de la personnalité autour des quatre hommes forts de la politique de cette époque. «Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’un leader politique a besoin de charisme car ne devient pas leader qui veut», explique-t-il.
Néanmoins il fait aussi part de la dynamique qui a poussé ces hommes sur le devant de la scène. «Duval, par exemple, avait du charisme mais il faut aussi prendre en considération l’apport des barons sucriers dans sa démarche.»
Ce culte de la personnalité autour des leaders politiques ne s’arrêtera pas avec les quatre hommes. Plus qu’un accident de parcours, cela servira de base de référence pour les leaders qui ont dominé la scène politique par la suite. De Paul Bérenger à Navin Ramgoolam en passant par sir Anerood Jugnauth, on a eu droit à tout ces cinq dernières décennies.
Par exemple, on se souvient encore du projet de la Banque de Maurice, au summum de la popularité de sir Anerood Jugnauth dans les années 80, d’avoir son portrait sur le billet de Rs 500. Un projet qui n’a jamais abouti.
«Enn tigit pli tipti ki bondié»
«Les politiciens adorent qu’on leur voue cette adoration mais ce sont les partisans, à la quête de faveurs, qui créent ce culte de la personnalité», soutient un ancien député. «Pour Jugnauth, on se souviendra surtout de l’avènement prononcé des organisations socioculturelles sur la scène politique avec le président du Human Service Trust, Dhundeo Bahadoor, décrivant le Premier ministre de l’époque comme étant ‘enn tigit pli tipti ki bondié’». Avec la politique du copinage dans les plus hautes sphères de l’État, le culte de la personnalité est devenu un atout pour perpétuer les dynasties.
Un atout qui a toujours sa place dans la politique en 2018. Aujourd’hui on retrouve un Mouvement militant mauricien incapable de se défaire de l’emprise de Paul Bérenger malgré plusieurs défaites électorales consécutives. On retrouve aussi un PTr toujours dépendant de Navin Ramgoolam en dépit de ses multiples déboires avec la justice.
Le dernier exercice électoral lors de la partielle de Belle-Rose–Quatre-Bornes a démontré encore une fois le pouvoir de la personnalité du politicien sur ses idées. Même en 2014, quand Arvin Boolell perdait pour la première fois dans sa circonscription, il avait battu ses colistiers par plus de 3 000 votes.
«Nous avons remplacé une reine par plusieurs rois»
«Il est triste de constater que pour une grande partie de la population mauricienne, le culte de la personnalité n’est pas juste une habitude, c’est un besoin», dit Kugan Parapen, candidat qui a représenté Rezistans ek Alternativ au n°18. Selon lui, le message du politicien importe peu de nos jours car c’est la personnalité du messager qui compte. «C’est symptomatique de notre attitude, vestige du néocolonialisme, où nous avons remplacé une reine par plusieurs rois.»
Il y a 50 ans, à quelques semaines de l’Indépendance, Hervé Masson se pose déjà des questions sur notre avenir. «Le temps n’est-il pas venu d’agir enfin ? De planifier, de construire ? De rallier par une action effective toute la nation autour de l’exaltante aventure de l’Indépendance ?»
Cassam Uteem: «Aujourd’hui l’atout principal d’un politician, c’est son message»
<div style="text-align:center">
<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="523" src="/sites/lexpress/files/images/cu-min.jpg" width="349" />
<figcaption></figcaption>
</figure>
</div>
<p>Il est l’une des rares personnes à avoir côtoyé la majorité des grands leaders politiques de l’île Maurice depuis l’Indépendance. L’ancien président de la République, Cassam Uteem, est convaincu que la politique représente beaucoup plus pour un peuple que le seul charisme d’un individu. N’empêche que le culte de la personnalité y serait aussi pour quelque chose.</p>
<p><strong>Vous avez connu quelques leaders charismatiques comme sir Abdool Razack Mohamed, sir Seewoosagur Ramgoolam et sir Gaëtan Duval. À quel point ont-ils joué avec le culte de la personnalité autour d’eux pour avancer ? </strong></p>
<p>Ils avaient l’art de manipuler et de convaincre, mais ce n’est pas juste une question de culte de la personnalité. C’est aussi un mélange avec leur message. Les personnes citées avaient tous quelque chose à dire. Ramgoolam parlait de liberté et d’indépendance. Il est vrai que ce culte que lui vouaient les Mauriciens a possiblement aidé sa cause.</p>
<p><strong>Et pour les autres ? </strong></p>
<p>Duval représentait les minorités qui avaient peur de l’Indépendance et qui ont voté à hauteur de 44 % contre le départ définitif des Anglais. Duval le faisait savoir dans son désir d’intégration avec la Grande-Bretagne même s’il faisait appel à la frayeur.</p>
<p>Quant à Mohamed, son message était clair envers l’électorat musulman du pays. Il voulait que les musulmans puissent choisir leur propre représentant parlementaire et il a pu obtenir cette garantie constitutionnelle.</p>
<p><strong>Sommes-nous devenus dépendants de leaders charismatiques pour nous guider ? </strong></p>
<p>Il faut faire la différence entre charisme et culte de la personnalité. Paul Bérenger, par exemple, refusait systématiquement de se faire porter sur les épaules durant le début de sa carrière politique au contraire de sir Gaëtan Duval.</p>
<p><strong>Est-il possible aujourd’hui d’être un leader politique dans le pays sans un culte de la personnalité autour de soi ? </strong></p>
<p>Aujourd’hui, un leader politique doit avoir un message. C’est l’atout principal d’un politicien. Le culte de la personnalité n’est pas une qualité requise même si cela peut aider à faire véhiculer son message.</p>
Communalisme, nationalisme et amour pour un lundi chargé
<div style="text-align:center">
<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="559" src="/sites/lexpress/files/images/une_2.jpg" width="421" />
<figcaption>La une de «l’express» du lundi 5 février 1968.</figcaption>
</figure>
</div>
<p>Dans l’édition de <em>l’express</em> du lundi 5 février, les séquelles des bagarres raciales de janvier dominent toujours l’actualité. On parle de la <em>«rafle dans les maisons closes de la capitale»</em>, qui a abouti à plus de 60 arrestations. Les réseaux de prostitution et la présence des mafieux dans ses milieux auraient contribué aux sanglants affrontements de Port-Louis.</p>
<p>Nouvelles internationales font aussi la une avec une déclaration selon laquelle le général de Gaulle serait <em>«obsédé par la puissance française»</em>. Cette remontrance provient de Willy Brandt, ministre allemand des Affaires étrangères. Ce dernier explique que le nationalisme du président français va à l’encontre de la politique européenne.</p>
<p>On retrouve aussi en première page l’annonce du mariage entre Rajiv Gandhi, fils de la Première ministre indienne Indira Gandhi, et l’Italienne Sonia Maino. Selon l’article, les deux tourtereaux avaient testé leur amour avec quatre ans de séparation.</p>
Shirin Aumeeruddy-Cziffra: «Le conservatisme ambiant bloque le combat»
<div style="text-align:center">
<figure class="image" style="display:inline-block"><img alt="" height="547" src="/sites/lexpress/files/images/independance_shirin_aumeeruddy-cziffra.jpg" width="364" />
<figcaption></figcaption>
</figure>
</div>
<p><strong>Vous qui êtes une ancienne ministre de la Justice, des droits de la femme et de la famille, comment la femme mauricienne a-t-elle changé en 50 ans</strong> ?</p>
<p>Mes deux grands-mères avaient eu beaucoup d’enfants. Ma grand-mère paternelle s’était mariée à 13 ans. Elle a eu 20 enfants nés vivants. On se contentait souvent d’un mariage religieux et celles qui étaient mariées civilement n’avaient pas non plus de droits indépendamment de leur mari. Selon le Code Napoléon de 1804, elles n’avaient pas d’identité propre. Le mari pouvait interdire à sa femme de travailler ou il choisissait son emploi et pouvait toucher ses salaires.</p>
<p><strong>Quelle a été la contribution des organisations féministes ? </strong></p>
<p>J’ai créé la Ligue féministe en 1975. Ensuite, il y a eu le Muvman Liberasyon Fam et SOS femmes. À partir de 1976, j’étais députée et nous avons travaillé avec toutes les organisations de femmes. En 1977, on avait formé un Front commun pour dénoncer l’adoption des amendements aux lois sur l’immigration dont j’étais personnellement victime. Ensuite, on a créé Solidarité femmes comprenant des ONG proches du pouvoir. Nous avons collaboré étroitement avec le professeur Garron, un expert français venu pour moderniser le Code civil.</p>
<p><strong>Comment ces luttes ont-elles aidé la femme mauricienne à évoluer ? </strong></p>
<p>Le Code civil, dit Code Napoléon, a été amendé à partir de 1979-80 et cela a duré longtemps. Il y a eu un rééquilibrage des droits et devoirs des époux au sein de la famille, tant en ce qui concernait la gestion des biens immobiliers que des enfants. Les femmes n’avaient plus besoin de l’autorisation maritale pour travailler, toucher leurs salaires et gérer l’argent ainsi gagné, même s’il faisait partie des biens communs. Elles pouvaient avoir un compte en banque, un passeport et donc voyager…</p>
<p><strong>Quelles ont été les défaites ? </strong></p>
<p>La condition féminine était si catastrophique que nous nous sommes battues pour tout mais bien sûr, nous n’avons pas tout obtenu. Par exemple, nous n’avons pu avancer pendant longtemps sur l’avortement. Des fois, cela prend toute une génération comme pour l’amendement de la Constitution en 1995 pour que la loi contre la discrimination fondée sur le sexe soit introduite.</p>
<p><strong>Ayant été ministre des Droits de la femme en 1982, qu’est-ce qui, selon vous, bloque le mouvement ? </strong></p>
<p>Le conservatisme ambiant bloque le combat. Il y a beaucoup de pressions. Dans mon propre parti, on a toujours parlé d’un débat dépassionné sur l’avortement, mais c’était quasiment impossible.</p>
<p><strong>Comment ces luttes ont-elles fait face aux pressions sociales et religieuses ? </strong></p>
<p>Tant bien que mal. Concernant l’âge du mariage, on avait réussi à le ramener à 18 ans pour les garçons et les filles. Malheureusement, il a ensuite été rabaissé à 16 ans, si les familles le voulaient. Mais comme l’âge du consentement sexuel est de 16 ans, lorsque certaines jeunes filles tombent enceintes, elles se marient pour régulariser leur situation.</p>
<p><strong>Aujourd’hui, quels sont les combats féministes les plus pressants ? </strong></p>
<p>Il y a encore un combat difficile à mener contre la violence sous toutes ses formes, y compris la violence conjugale. Au fond, ce qui semble particulièrement difficile, c’est de trouver un équilibre entre les hommes et les femmes qui leur permet de s’épanouir chacun de leurs côtés et ensemble ainsi que d’être heureux dans le respect l’un de l’autre.</p>
Publicité
Les plus récents