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Swadicq Nuthay: «Réinventons-nous économiquement pour passer à un autre niveau de développement»

8 février 2018, 14:23

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Swadicq Nuthay: «Réinventons-nous économiquement pour passer à un autre niveau de développement»

Swadicq Nuthay décrypte les grands enjeux économiques du pays et insiste sur les conditions sine qua non pour sortir d’une croissance anémique. Il trouve par ailleurs que Maurice vit au-dessus de ses moyens et rappelle les étapes à parcourir pour devenir une économie aux revenus élevés.

L’année 2018 devrait être, selon le gouvernement, celle des grands chantiers avec le démarrage de plusieurs gros d’infrastructures comme le Metro Express, les Smart Cities, le réaménagement de la gare Victoria, entre autres. Estimez-vous que cela suffira pour permettre le redécollage économique ?
Face à des défis de plus en plus menaçants, la situation macroéconomique dans les grandes lignes demeure positive avec un accroissement du PIB estimé à 4,0 % en 2018 contre 3,9 % en 2017. Cette hausse est dopée par le secteur de la construction où on prévoit une croissance de 9,5 % contre 7,5 % en 2017. La mise en oeuvre de l’ambitieux projet de développement dans l’infrastructure publique et la construction de plusieurs Smart Cities à travers le pays devraient doper la croissance.

Par contre en 2018, le secteur financier connaîtra une croissance similaire à 2017, à 5,5%, alors que le taux de croissance du tourisme est estimé à 3,8 % contre 5,6 % en 2017. Le taux de chômage est en régression, à 7,1 % en 2017 contre 7,3 % en 2016. Cependant, l’investissement privé reste toutefois relativement faible à 13,1 % du PIB en 2017.

«L’économie mauricienne fait face à des faiblesses structurelles.»

Dans son dernier rapport, l’article IV, le FMI s’est longuement penché sur les vulnérabilités de l’économie mauricienne. Pourquoi est-on si vulnérable ?
Il ne faut surtout pas se voiler la face. L’économie mauricienne fait face à des faiblesses structurelles. Nos exportations sont en baisse résultant d’une perte de notre compétitivité vis-à-vis nos concurrents. Le secteur manufacturier est aujourd’hui à la traîne.

Faute d’une politique nationale en matière de recherche et développement et de l’innovation, nous nous faisons rattraper par nos compétiteurs directs.

Les indicateurs économiques qui illustrent ces faiblesses structurelles sont multiples : aggravation de la dette publique à 64,7 % du PIB, déficit du compte courant de la balance de paiement à 5,8 % du PIB et déficit budgétaire à 3,5% du PIB, baisse de compétitivité et surévaluation de la roupie.

Un fait indéniable est que le pays vit audessus de ses moyens. Sans l’apport du secteur du global business, la balance de paiement aurait été très déficitaire. Cette situation perdure depuis des années et le pire reste à craindre si nous subissons un choc dans ce secteur qui est devenu plus que jamais vital dans notre équilibre commercial vis-à-vis du reste du monde

Nous devons aussi gérer l’impact des facteurs exogènes tels que le Brexit, le BEPS et la révision du DTA avec l’Inde, la remontée du prix du baril de pétrole, la baisse du prix du sucre mais aussi un retour au protectionnisme, entre autres.

«Je persiste à croire que la décision de démanteler la FSPA a été une mauvaise démarche.»

Concernant la problématique de la croissance, pourquoi le pays ne parvient  toujours pas à franchir le seuil psychologique de 4 % ?
Le resserrement de l’output gap, c’est-àdire le niveau réel du PIB versus le niveau potentiel du PIB du pays démontre que nous ne pourrons espérer une croissance économique plus élevée avec les conditions existantes. D’où la nécessité d’une réforme économique en profondeur avec pour objectifs principaux une réallocation des ressources vers des secteurs plus rentables, éliminer le gaspillage des fonds publics et attirer l’investissement étranger dans des secteurs à forte valeur ajoutée.

Que doit faire le gouvernement pour renverser la vapeur pendant les prochaines années ? Les réformes, on en parle depuis des années…

C’est vrai, on parle des réformes depuis très longtemps mais c’est un gros chantier qui comporte plusieurs volets : structurel, institutionnel, éducatif, social, etc.

Nous sommes déjà engagés sur certains fronts comme «business facilitation», la rationalisation de certaines agences gouvernementales et tout récemment la réforme du système éducatif.

Une refonte du système éducatif et des mesures pour stimuler la politique d’innovation s›avéreront déterminantes pour libérer de nouveaux secteurs de croissance. Il est essentiel de produire des techniciens et des professionnels de calibre et mieux adaptés pour intégrer une économie fondée sur la connaissance. Afin de réduire le déséquilibre entre l’offre et la demande de compétences, un problème majeur dont souffre notre pays aujourd’hui, il est impérieux de cimenter un pont entre les programmes d’études post-secondaires et les besoins de l’économie.

Nous pourrons nous inspirer du modèle français du pôle de compétitivité dont l’objectif principal serait de renfoncer la compétitivité de l’économie axée sur des activités essentiellement industrielles (surtout PME) à fort contenu technologique. Cela pourrait attirer des investissements directs étrangers (IDE) dans des pôles spécifiques porteurs de croissance, ce qui engendrerait à son tour un transfert de connaissances et de technologie de pointe.

Nous avons aussi besoin de rigueur fiscale. Le déficit budgétaire est arrivé à un niveau trop élevé. Le déficit budgétaire courant est à 2 % du PIB, soit Rs 9,4 milliards, le différentiel entre les revenus et les dépenses courantes de l’État. Parallèlement, il faut une volonté politique pour avancer avec le très sensible dossier du ciblage de l’État providence.

Pendant la période 2012 à 2016, le salaire réel moyen a augmenté de 4,6 % par an alors que la productivité a connu une hausse de 2 % par an en moyenne. Conséquence de cette situation : le pays a régressé en termes de compétitivité. Ce qui explique à son tour la baisse de 11 % de nos exportations de biens entre 2015 et 2017. D’où la nécessité de revoir le mécanisme de compensation salariale afin de lier la compensation à la productivité et, parallèlement, encourager l’investissement dans la technologie, la recherche et l’innovation.

«Il est impérieux que des mesures strictes de gouvernance soient mises en place afin de réduire le risque de conflit d’intérêts chez l’EDB.»

D’importantes manoeuvres ont été entreprises par les autorités pour redéfinir les contours du secteur financier. Un Blueprint est en préparation par l’expert australien James Shipton et le cabinet de consultants Mc Kinsey a été mandaté, semble-t-il, pour nous guider dans notre stratégie. Quelle est votre lecture de la situation ?
Le secteur des services financiers demeure une composante essentielle de notre agenda économique pour la croissance, surtout si le pays souhaite s’orienter vers une économie tournée vers la connaissance. Le segment offshore occupe une place de choix dans ce secteur. Il contribue presque Rs 22 milliards en moyenne au niveau de l’économie nationale, soit 5,6 % du PIB. Mieux, l’offshore mauricien contribue, à lui seul, sous forme de taxes et d’autres frais, environ Rs 11 milliards dans les caisses de l’État. Ajouté à cela, il existe un lien étroit entre le Global Business et le secteur bancaire qui, selon le FMI, représentait à peu près 40 % du dépôt bancaire.

Certes, il y a aujourd’hui des défis auxquels le secteur est confronté. Ces défis impliquent l’urgence à créer de la substance au niveau de ce segment d’activités dans le sillage de l’introduction de Based Erosion Profit Shifting (BEPS) de l’OCDE, du General Anti-Avoidance Rule de l’Inde, de l’avènement de la nouvelle liste des paradis fiscaux ou encore le forum sur le Harmful Tax Practices, entre autres. D’ailleurs, le pays est déjà signataire de l’instrument multilatéral sous l’initiative BEPS. Ce qui a débouché sur une situation selon laquelle les traités tombant sous le «multi lateral instrument» auront de nouveaux critères d’opération alors que ceux qui ne sont pas couverts seront appelés à être négociés sur une base bilatérale avant la fin de 2018.

Afin de surmonter les défis susmentionnés, des changements vont arriver. Nous sommes condamnés à devenir une juridiction avec plus de substance et de valeur ajoutée. Afin de pouvoir développer des niches dans certains segments tels que «global fund administration», «cross border investment administration», «private wealth management», la Fintech et la corporate finance, nous avons besoin d’améliorer l’écosystème.

Par ailleurs, nous devons graduellement changer notre Business Model du Global Business pour migrer d’un modèle basé sur les traités à celui d’une «equivalence jurisdiction». Si nous arrivons à faire que la juridiction mauricienne soit acceptée par d’autres centres financiers internationaux, cela ne va pas seulement aider les opérateurs et les administrateurs de fonds à Maurice à pénétrer des marchés sans des contraintes régulatrices, mais pourrait aussi déclencher un gros boost dans la sphère de la gestion des fonds.

Un autre sujet qui mérite d’être considéré est le manque de visibilité de Maurice comme un centre financier international. Or, je persiste à croire que la décision de démanteler la FSPA a été une mauvaise démarche. Car il est évident qu’on a besoin d’une agence de promotion dédiée au secteur financier vu l’aspect technique de ses opérations mais aussi l’ambition de porter la contribution de ce secteur au PIB de 12 % actuellement à 15 % d’ici 2020.

Maurice est connu beaucoup plus comme une destination de vacances que celle des affaires. Et ce, alors que nous avons urgemment besoin d’une présence internationale pour promouvoir notre centre financier.

«Nous avons besoin d’une croissance économique bien plus importante que le 4 % actuel et d’un taux d’investissement proche de 25 % du PIB.»

Le gouvernement mise beaucoup d’espoirs sur l’«Economic Development Board» pour booster l’investissement étranger tout en définissant une feuille de route pour la planification économique et ce, avec à la clé le positionnement de Maurice au rang des pays à revenus élevés. Estimez-vous que cette nouvelle institution a démarré ses travaux dans les bonnes conditions vu que des critiques ont été formulées dans la presse sur la composition du board et les risques de «policy capture» et de conflits d’intérêts pouvant y découler ?
Idéalement, la planification stratégique de l’économie aurait dû être pilotée par un ministère à part entière, disposant des prérogatives nécessaires, de l’espace requis pour évoluer et plus important des pouvoirs pour l’exécution des mesures et des décisions. En l’absence d’un ministère dédié à la planification économique, j’aurais préféré voir la mise en place d’une institution exclusivement dédiée à l’économie avec comme patron un économiste chevronné.

Cela dit, j’ai mes réserves sur la structure actuelle de l’EDB. Je pense que le conseil d’administration dédié à la promotion de l’investissement aura préséance sur celle de la planification économique. De plus, je ne crois pas que cet organisme ait des pouvoirs nécessaires pour imposer ses recommandations à l’exécutif par apport à la planification économique.

Néanmoins, l’institution a déjà été créée. Souhaitons simplement qu’elle se donne les moyens et la marge de manoeuvre nécessaire pour atteindre ses objectifs.

Concernant les critiques qui ont été formulées sur la composition du Board, c’est un fait que celui d’ l’EDB est essentiellement composé de membres du secteur privé. Il est impérieux que des mesures strictes de gouvernance soient mises en place afin de réduire le risque de conflit d’intérêts et de mettre en place des garde-fous pour protéger les informations privilégiées. Au cas contraire, les investisseurs potentiels perdront confiance dans l’institution.

Pour conclure, selon vous, pourrions-nous accéder au statut de pays à revenus élevés alors que nous sommes à l’aube de notre 50e anniversaire d’Indépendance ?
Il y a consensus aujourd’hui, après 50 annéee depuis notre Indépendance, que nous sommes condamnés à nous réinventer sur le plan économique pour passer à un autre niveau de développement. Nous avons besoin d’un «road map économique» élaboré et non-partisan définissant les contours qui nous mèneront vers un niveau supérieur de développement.

Pour devenir un pays à revenus élevés, nous avons besoin d’une croissance économique bien plus importante que le 4 % actuel et d’un taux d’investissement proche de 25 % du PIB. Afin de franchir ce nouveau palier de développement, nous devons nous donner les moyens mais on ne fait pas d’omelette sans casser les oeufs. Je terminerai par cette citation: la chance sourit aux audacieux.