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#50ansMoris: d’«Emmanuelle» à Pornhub

9 février 2018, 22:25

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#50ansMoris: d’«Emmanuelle» à Pornhub

Programmation cinéma du 9 février 1968 : Le corps et le fouet, Fille dans la vitrine, Destination Jamaïque et Mon colt fait la loi entre autres. Les titres ne laissent pas de doute sur la nature des films qui étaient projetés dans les salles à Maurice à l’aube des 50 ans de l’Indépendance et ce, jusqu’aux années 90. Pourquoi cette prolifération des films X ? Qui était le public et quand les films pour adultes avisés ont-ils connu un déclin ?

Il y a exactement 50 ans, un cinéphile a le choix entre 45 séances de cinéma dans les 16 salles de l’île. De ce nombre, 23 étaient catégorisées X et 22 tout public. Deux ans plus tard, le nombre de salles à Maurice passe à 18. La proportion de films pour adultes est également plus forte. Sur les 57 projections du jour, 26 sont pour toute la famille alors que les enfants ne sont pas admis dans les 31 autres.

«Tout d’abord, lorsqu’on parle des films X de l’époque, il faut savoir que ce n’était pas de la pornographie comme on en a actuellement. Aujourd’hui, ce ne serait même pas des films érotiques», avance Salim, 52 ans. À l’époque, il habite au coeur de la capitale et comme tous les jeunes, il va souvent au cinéma, la seule distraction accessible à la masse.

L’entrée coûte 35 sous. Souvent, il faut «frodé pou rantré», par exemple, soudoyer le portier ou attendre l’entracte, acheter un gâteau et faire semblant qu’on y était déjà avant l’interruption. Mais revenons aux films X. «Dans les années 60 et 70, on parle plutôt des films un peu érotiques de l’époque. On y allait en cachette et on sortait avant la fin», poursuit Salim.

Par exemple, Gungala, la vierge de la jungle est un film d’aventure. Les quelques rares images de Kitty Swan montrant sa poitrine à la caméra suffisent pour que le film soit décrété X et pour aiguiser l’intérêt du public. De plus, comme il n’y a que les salles de cinéma pour que le public ait accès à ce type d’images, les films avec de la chair apparente marchent toujours. Salim précise n’avoir jamais vu de femmes là-bas.

La vraie pornographie fait son entrée dans les salles à partir des années 1985 et connaît un essor en 1987. La faute est imputée à la télévision et aux magnétoscopes. Les vidéoclubs deviennent de plus en plus populaires. Les familles préfèrent louer un film pour regarder à la maison au lieu d’acheter des billets pour tous les membres et les salles en souffrent. Ainsi, en 1980, l’île compte 21 salles, contre 14 en 1988. «85 % des salles ont fermé par la suite», explique Rajesh Callicharan, propriétaire des cinémas Novelty et MCine.

«Lazout»

Pour attirer le public, quelques propriétaires de salles se tournent vers la pornographie pour survivre. «On appelait cela “lazout”.» C’est-àdire, au beau milieu d’un film, tout s’arrête et le porno commence. Les habitués savent dans quelles salles se rendre pour avoir leur film érotique entrecoupé de pornographie, indique Rajesh Callicharan. Encore une fois, le cinéma est le seul lieu où la pornographie est accessible.

L’érotisme au cinéma cède sa place au soft porn. Emmanuelle aide grandement à cette transition, en 1974. Ce film est le premier à être vendu, en Occident comme ici, comme une oeuvre cinématographique à caractère érotique assumé. Les spectateurs ont droit à légèrement plus que les poitrines et les jambes.

La publicité pour les films X devient courante. Par exemple, pour le début de La Michetonneuse, la publicité est accompagnée d’un petit synopsis du film. «Le jour de ses 18 ans, Justine rompt avec sa famille et abandonne ses études. Seule, sans argent, perdue dans une ville dont elle ignore tout, elle est prête à suivre le premier homme venu pour un café… et la ronde commence.» L’imagination n’a pas beaucoup à travailler.

Quoi de mieux pour attirer un public en quête d’interdits ? Bhavish Ajageer, le gérant de Cine King à Goodlands, confirme cette théorie. «Ce n’est un secret pour personne que certaines salles ont compté dessus pour survivre. Certes, il y avait des amendes, mais comme le public répondait présent, cela n’a pas arrêté», dit-il. Puis, braver l’interdit a toujours attiré, fait-il remarquer.

Cette tendance dure jusque dans les années 90, période où le cinéma se modernise. Les salles à 800 places et à un seul écran sont presque toutes fermées. L’érotisme et la pornographie sont remplacés par les blockbusters hollywoodiens et bollywoodiens. La jeunesse s’occidentalise et la pornographie fait son chemin vers les vidéoclubs, qui louent des cassettes sous le comptoir.

Seulement deux salles qui projettent des films X survivent, Luna Park et Phoenix Palace. D’ailleurs, les élèves du collège Sir Abdool Razack Mohamed à Port-Louis s’en souviennent. «Parfois, ti ena bann bout bout roulo fim ki ti pé zété derier lékol. Kan ti pé met dan lalimier, ti pé kapav trouv bann zimaz la», explique un ancien de l’école. Mais Luna Park ne survit pas pendant longtemps, et Phoenix Palace ferme dans les années 2000, mettant un terme à la pornographie au cinéma.

«La pornographie devenait de plus en plus accessible. Il y a eu les magazines, puis les CDs vendus par les marchands ambulants, enfin Internet. Ce n’était plus un interdit», affirme Bhavish Ajageer pour expliquer la disparition des affiches avec mention Visa X du paysage. Mais gardant en tête que deux sites pornographiques sont parmi les pages Internet les plus visitées à Maurice, il serait faux de croire que depuis la disparition de ces salles, les ardeurs se sont calmées.

Érotisme versus pornographie

La différence principale entre les deux genres est la simulation. Le sexe est central dans les deux cas, mais dans les films érotiques ou «soft porn» l’acte est simulé. De plus, les parties génitales ne sont pas visibles. Dans les films pornographiques, l’acte est explicite et l’accent est mis sur le sexe avec les cadrages appropriés. Les stars des deux genres ne sont pas les mêmes. Le premier film pornographique qui a lancé la notion de vedette du X est «Deep Throat». Cette oeuvre, qui date de 1972, n’a jamais été officiellement projetée à Maurice.

Séances

Pourquoi parle-t-on du nombre de séances de cinéma au lieu du nombre de films ? Rajesh Callicharan apporte la réponse. «À l’époque, les films étaient sur des rouleaux de cellulose. Un film était sur plusieurs rouleaux. Pour un film de Bollywood, cela pouvait aller jusqu’à huit rouleaux. Lorsque le premier rouleau d’un film est passé dans une salle, il est transféré vers une autre et la projection pouvait commencer sans avoir à attendre que le film soit fini dans une autre salle. Les rouleaux se suivaient entre les cinémas. C’est pour cette raison qu’un film passait le matin dans une salle, l’après-midi dans une autre et dans encore une autre le soir.»

Et l’interdiction ?

Si les cinémas se permettent de jouer des films à Visa X et en mettre la publicité, pourquoi ne sont-ils pas inquiétés par les autorités ? Selon Me Neelkanth Dulloo, c’est tout simplement parce que la pornographie n’est pas explicitement mentionnée dans les lois. «Certes, il y a l’article 86(1) de la Criminal Code (Supplementary) Act qui rend illégale toute «obscene matter», mais il n’y a aucune définition de l’obscénité », explique-t-il. La définition dans le dictionnaire est «offensive» or «disgusting by accepted standards of morality and decency». L’obscénité, fait-il ressortir, est définie par les gens et comme la société évolue, la définition change aussi. D’ailleurs, il précise que dans un cas en cour, Me Ivan Collendavelloo défendant un client accusé de «distribution of obscene matters», avait argué que «les photos dans ces magazines ne devaient pas être considérées comme obscènes car elles sont disponibles facilement, par exemple, sur le Net». Il avait cependant précisé que de tels produits ne devaient pas être à la portée des mineurs. Dans une autre affaire devant la cour, un avocat avait estimé que le sexe ne peut plus être considéré comme obscène dans un monde moderne.

Questions à ... Selven Naidu, réalisateur: «Pas l'érotisme d'aujourd'hui»

Commençons par le commencement. C’est quoi un film X ?

Relativisons avant de parler de film X. Il ne s'agit pas de pornographie ni d'érotisme comme on le conçoit aujourd'hui. Je me souviens d'un film de Bollywood où l'actrice principale meurt noyée. Lorsque le protagoniste la retire de l'eau, on voit les deux de loin, pratiquement que des silhouettes car il ne fallait pas montrer le sari collé au corps. Certes, ce n'était pas un film pour adultes, mais il suffisait de peu pour qu'un film soit catégorisé X. Une fille en bikini rendait un film pas convenable pour les enfants. C'est l'état d'esprit de l'époque qui régulait la classification des films.

De quel état d'esprit parle-t-on ?

À cette époque, la drague n'existait pas. Les garçons sortaient avec des filles pour se marier. D'ailleurs, avant de se montrer en public, il fallait qu'ils soient fiancés. Mais attention, on ne parle pas que de Maurice là. C'était le cas à l'international. La libération des moeurs est arrivée bien après.

Quand est-ce que le changement est arrivé ?

Avec Emmanuelle. Le lancement de ce film était un événement. C’était le premier film qui a transgressé les tabous et avait un minimum d’histoire derrière. À l’époque, il se chuchotait qu’il existait une version pornographique, mais dans la version qu’on connaît tous, le sexe n’est pas visible. À partir de là, la catégorisation des films X a quelque peu évolué.

Revenons aux films X. Cela se passait comment ?

Il y avait un phénomène très pervers qui a fait son apparition à un moment. Les propriétaires de cinéma rajoutaient des séquences pornographiques au beau milieu d’un film tout à fait honorable. Cela ne durait pas plus de 30 secondes, car il ne fallait pas se faire prendre par les autorités. Il y avait des habitués de ces salles, mais lorsque les familles venaient, le portier signalait discrètement au père de famille qu’il ne faut pas qu’il emmène ses enfants. Pour en revenir à la technique, il fallait couper le rouleau du film, y coller une séquence pornographique et continuer le film.

Le saviez-vous ?
Poisson La Perle n’est pas une espèce de poisson qui fait office d’huître en même temps. À la une de l’express du 9 février 1968, le lecteur apprend que le bateau de pêche La Perle II a augmenté sa capacité de 20 tonnes et que de ce fait, encore plus de poissons seraient disponibles dans les mois à venir. Tous les poissons pêchés par ce bateau sont connus comme «poisson la perle». Ils sont moins chers et plus accessibles dans toutes les régions que les prises que les pêcheurs ramènent dans leurs barques. Certes, les produits «La Perle» n’étaient pas frais. Le «poisson la perle» est resté courant jusqu’à l’arrivée des hypermarchés et centres commerciaux.

La une de «l’express» du 9 février 1968.