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#50ansMoris: Agriculture, des Young Farmers au Sheltered Farming

2 février 2018, 14:11

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#50ansMoris: Agriculture, des Young Farmers au Sheltered Farming

Le secteur agricole a évolué en 50 ans. Du succès des jeunes cultivateurs des années 60 et 70 aux mesures actuelles d’accompagnement, la culture vivrière fait face à de nombreux défis.

Le 2 février 1968, les bagarres raciales font toujours plus de victimes. Port-Louis continue à panser ses plaies. Mais dans le journal du jour, un article interpelle. Bijaye Madhou, qui a alors tout juste 23 ans, est nommé organisateur national adjoint de la Young Farmers Federation. Cinquante ans après, cette organisation, qui oeuvrait pour les petits planteurs, n’existe plus (voir interview plus loin). Délaissés, ignorés, sans encadrement adéquat, les petits planteurs disent être livrés à eux-mêmes. Pourquoi la culture vivrière n’a-t-elle pas décollé ? Que doit-on faire pour relancer ce secteur «oublié» ? Éléments de réponse.

Déjà, en 1968, on avait compris le besoin de trouver des solutions et des alternatives pour s’assurer que la culture vivrière puisse survivre. Sauf que les mesures introduites pendant toutes ces années ne semblent pas avoir donné les résultats escomptés. Deux semaines à peine après le passage du cyclone Berguitta, les petits planteurs estiment leurs pertes à Rs 600 millions.

En 1972, une étude effectuée par Clovis Vellin, Timothy Mount et Thomas Poleman intitulée «Multi-Criteria Planning For Agricultural Development : A Full Employment Strategy For Mauritius», révèle qu’en 1965, le pays comptait 245 000 arpents de terres qui pouvaient être cultivés. À cette époque, 95 % des terres étaient sous culture cannière, 3 % étaient alloués aux plantations de thé et 2 % étaient consacrés à la culture vivrière.

Cependant, les planteurs de canne à sucre cultivaient également des légumes. Entre les rangées de canne, ils travaillaient la terre et plantaient la pomme d’amour, l’aubergine ou encore des courges. Des potagers dans la cour des Mauriciens étaient également monnaie courante. De ce fait, il est difficile de connaître la superficie exacte des terres qui étaient consacrées à la culture vivrière. Outre des importations de maïs, de grains secs et de riz, le pays était autosuffisant en ce qui concerne la production de légumes frais.

Actuellement, selon la Small Farmers Welfare Fund, autour de 8 000 arpents seraient alloués à la culture vivrière. Mais malgré tout, nous sommes contraints d’avoir recours à l’importation. Pourquoi ?

Saïd Bundhoo, cultivateur, séplore le manque de formation et d’encadrement.

Nous avons posé la question à Saïd Bundhoo (photo), un planteur qui compte trente années d’expérience. Piments, pommes d’amour, calebasses, bringelles… Cet habitant de Solitude les cultive tous. «Le plus gros problème des planteurs demeure les intempéries», dit-il. Oui, mais n’ont-elles pas toujours existé ? À cela, le quinquagénaire explique que le changement climatique a énormément changé la donne.

«Ce qui s’est passé en début d’année, lors du passage du cyclone, nous ne l’avons pas connu. Il a plu pendant des semaines entières et puis d’un seul coup, il fait une chaleur torride. Les légumes n’ont pas survécu. Nous ne sommes pas préparés à gérer ces calamités naturelles, il nous faut recommencer à zéro.» Le cultivateur poursuit qu’il existe un véritable manque de formation et d’encadrement dans ce secteur. Pire encore, les quelques jeunes qui sont intéressés par le travail de la terre ne disposent pas de mesures incitatives.

«J’ai moi-même deux fils qui se montrent intéressés à reprendre le flambeau. Mais, je suis honnête, je souhaiterais qu’ils se tournent vers d’autres créneaux. C’est un métier trop dur, les planteurs ne bénéficient pas de facilités alors qu’on aurait dû valoriser cette profession», avance Saïd Bundhoo. Il cite comme exemple sa propre routine : après avoir travaillé dans les champs toute la journée, il se rend au marché de Port-Louis à 23h00, avec sa récolte. La vente à l’encan commence à 01h00 et ce n’est qu’aux alentours de 04h00 qu’il rentrera chez lui.

«Pa gagn létan asizé manz enn bout dipin, bizin al sers travayer, ré al dan karo enn lazourné ! Nou pa gagn fasilité. Lavi bien dir.» Pour lui, il faudrait que l’État puisse mettre à la disposition des planteurs des équipements de pointe. Même si des possibilités existent, le planteur se dit découragé par les procédures et la paperasse qui vont avec.

Pour Arvin Boolell, ministre de l’Agro-industrie de 1995 à 2000 et de 2005 à 2008, le premier obstacle auquel les planteurs doivent faire face demeure le manque de terres fertiles. «Le rapport de la Food and Agriculture Organisation et de la Mauritius Sugarcane Industry Research Institute de 1974 le dit clairement – la majorité des terres fertiles sont occupées par des propriétés privées. Par conséquent, les petits planteurs se retrouvent avec des terres non appropriées.» Durant son mandat, dit-il, les «propriétés privées» ont été encouragées à «release» les terres fertiles.

Cependant, Arvin Boolell avance que la majorité des planteurs seraient réfractaires aux changements. «Par exemple, tous courent vers la pomme d’amour pour des raisons monétaires et par la suite, le prix tombe. Il n’y a pas de structure, cette façon de faire entraîne des conséquences négatives.»

Selon lui, il est urgent que la communauté des planteurs établisse des «good agricultural practices». Il cite comme exemple l’utilisation de pesticides à outrance, qui en sus des dangers pour la santé, diminue la durée de vie des légumes et affecte donc la qualité.

L’ancien ministre fait également valoir que la recherche et l’innovation comptent parmi les clés de la réussite. «Lors de mes mandats, j’ai mis l’accent sur la recherche mais j’ai noté que les planteurs n’étaient pas convaincus par les nouvelles méthodes d’expérimentation. Nous leur avions proposé de nouveaux types de semences, par exemple, mais ils n’en voulaient pas. Il est difficile de changer cette mentalité», avance Arvin Boolell.

Recherche et innovation

Il affirme que l’économie mauricienne devient de plus en plus «servicebased », d’où le besoin de professionnaliser tout le secteur. Lui-même avait d’ailleurs lancé un programme pour les jeunes diplômés dans le Sud et avait encouragé des petits planteurs à se tourner vers d’autres cultures. «Combien de planteurs sont capables d’apporter une valeur ajoutée à leurs légumes ? Comme les nettoyer, les couper et les mettre en barquettes pour être vendus dans les hypermarchés», se demande-t-il. Pour lui, au fil des années, les recherches et l’innovation sont malheureusement tombées dans l’oubli. «Il faut une politique cohérente, une feuille de route bien établie, sinon on ne va jamais s’en sortir.»

Autre ancien ministre de l’Agro-industrie : Satish Faugoo. Ce dernier a occupé ce maroquin de 2008 à 2013. «Il n’est pas vrai de dire que ce secteur n’a pas évolué. Il y a eu du progrès», dit-il d’emblée. Et de citer des mesures accompagnatrices telles que la mise sur pied d’une école de formation : la FarmersTraning School.

Cependant, lui aussi estime que la recherche devrait continuer tout comme l’investissement. «Il faudrait venir de l’avant avec le concept de Smart Agriculture et encourager les planteurs de se lancer dans la culture protégée». En ce qui concerne les terres à bail, l’ancien ministre rouge avance que les planteurs devraient être encouragés à y faire de la culture de légumes. «Les planteurs devraient bénéficier d’une couverture d’assurance. C’est toute une mentalité qu’il faudrait revoir», dit-il.

Interrogé par l’express, l’actuel ministre de l’Agro-industrie, Mahen Seeruttun, souligne que la culture protégée existe déjà. «Les conséquences du changement climatique sont extrêmes. Les planteurs doivent s’y préparer. Au niveau du gouvernement, nous avons pris la décision d’augmenter le grant offert aux planteurs pour le Sheltered Farming. Il est passé de Rs 250 000 à Rs 400 000». Le ministre évoque également d’autres structures «moins chères mais tout aussi résistantes». Outre les intempéries, il indique qu’étant un pays tropical, Maurice doit aussi faire face à des parasites.

«Les grands défis des planteurs aujourd’hui se résument ainsi : produire plus alors qu’ils occupent moins de terres, travailler la terre pour avoir une meilleure récolte, encourager les jeunes à entrer dans ce secteur et apporter une valeur ajoutée, en termes de processing à leurs produits», avance Mahen Seeruttun.

Il cite comme exemple un projet lancé par son ministère, le Young Graduate Entrepeneur Scheme, à Plaine Magnien. Ce programme vise à donner des terres à des jeunes tout en leur donnant l’encadrement nécessaire. Sur les 10 diplômés sélectionnés, neuf ont déjà commencé à travailler la terre. En outre, il souligne que le gouvernement travaille sur un plan d’assurance pour les planteurs, avec un consultant sud-africain. Bien qu’il soit au courant que plusieurs parcelles de terrain ont été abandonnées par des planteurs, il affirme vouloir renverser cette tendance et travailler sur l’autosuffisance alimentaire.

Culture vivrière

Le rôle du MSIRI dans la recherche Agricole

Bio data express

Le Dr Jean Claude Autrey s’est joint au Mauritius Sugar Industry Research Institute (MSIRI) en août 1967 et y a exercé pendant 40 ans. Il en a été le directeur de 1996 à 2007. Il est actif au niveau de la recherche scientifique et cumule une dizaine de fonctions : président du Comité de recherche et du développement du MSIRI, secrétaire général de l’International Society of Sugar Cane Technologists, président du comité de recherche sucrière des États ACP et de la Mauritius Academy of Science and Technology, entre autres. Associé à l’université de Maurice depuis les années 70, il en est le Chancelier.

À sa création en 1953, le mandat de toute la recherche sur la canne à sucre, tant au niveau agricole qu’industriel, a été confié au MSIRI. Au moment de l’Indépendance, ce mandat a été élargi pour y inclure les espèces vivrières qui pouvaient être cultivées en associations, mais pas aux dépens de la canne. Elles comprenaient la pomme de terre, la tomate, le maïs, l’arachide et le haricot.

Tous les résultats des travaux entrepris par le MSIRI ont été mis à la disposition de tous les producteurs, indépendamment de la taille de leurs exploitations, c’est-àdire des gros, moyens et petits producteurs. Toutefois, le mandat pour la vulgarisation auprès de petits producteurs a été confié, en 1953, au service du Département de l’agriculture à l’époque coloniale et au ministère de l’Agriculture, quand celui-ci a été créé.

En 1984, dans le cadre du rapport «Avramovic», la responsabilité de la vulgarisation auprès des petits producteurs de canne est revenue à un organisme nouvellement créé, la Farmers Service Corporation. Cette dernière, par la suite, est devenue la Farmers Service Agency (FSA). Elle opère sous l’égide de la Mauritius Cane Industry Authority depuis 2012.

Pour pouvoir apporter un meilleur soutien technique aux petits producteurs, le MSIRI a institué, à la fin des années 1990, un Small Planters’ Desk. Les services de ce Desk comprennent : les analyses des sols, desquelles des recommandations sont faites pour la culture des variétés appropriées et pour l’application des engrais, ainsi que pour d’autres pratiques culturales. Ce service est gratuit et les résultats sont livrés en une semaine.

Le MSIRI travaille en collaboration avec la FSA, les Planters’ Advisors du secteur corporatif dédiés aux petits producteurs. Il prodigue des conseils aux membres des associations des petits producteurs et des sociétés coopératives.

Comment lier culture vivrière et technologie ?

«Tous les secteurs ont été modernisés. La technologie doit être présente dans l’agriculture également», fait ressortir Murvin Ragobur, directeur de l’entreprise Golden Valley. Implantée à Geoffroy, Bambous, cette société oeuvre pour une refonte de la culture de la terre à Maurice. Le directeur, venant lui-même d’une famille de cultivateurs, a cette cause à coeur. «Il faudrait que tout soit modernisé. Un planteur devrait pouvoir contrôler le système d’irrigation de son ‘smart phone’. Si tout ceci était possible, grâce à l’intelligence artificielle, beaucoup de jeunes auraient souhaité se lancer dans cette profession.»

Murvin Ragobur, qui a étudié en Grande-Bretagne, en Israël ou encore en Afrique du Sud, laisse entendre que Maurice devrait s’inspirer de pays tels que le Vietnam, la Hollande ou encore le Mexique, où la culture vivrière s’épanouit à une vitesse grand V. Selon lui, à un certain niveau, le futur de ce secteur demeure la culture protégée.

«Ce système permet de se protéger contre les parasites et d’une certaine intensité de rafales. Il faut que les planteurs sachent faire du ‘Precision Farming’ ! Pour cela, il faudrait plus de formation, plus d’investissement et une véritable prise de conscience. Il faut qu’ils évoluent. Actuellement, les planteurs doivent devenir des entrepreneurs», dit-il. Cependant, la culture protégée a un coût. Comptez entre Rs 2 millions et Rs 2,5 millions pour un arpent de terre.

Questions à … Bijaye Madhou: «C’est une trahison !»

Bijaye Madhou, ancien activiste au sein de la Young Farmers Federation.

Que représentait, à l’époque, la Young Farmers Federation (YFF) ?
La fédération représentait un idéal pour les jeunes. Un grand Mauricien, qui d’ailleurs a été nommé Mauricien de l’année par l’express, Clovis Vellin, était notre leader. C’était un mouvement qui voulait que les jeunes retournent à la terre. Déjà, à cette époque, les jeunes pensaient que cultiver la terre était un métier «sale». Je venais de rentrer d’Israël, où j’ai étudié après avoir obtenu une bourse.

D’ailleurs, j’ai été soutenu par le Dr Philippe Forget. Nous sommes restés en contact depuis, liés par une grande amitié. Ce mouvement était patriotique avant tout. Je n’aime pas ce mot, mais je le dirai quand même : nous voulions que toutes les communautés puissent travailler ensemble et retourner à la terre.

La YFF a disparu depuis… Oui, ça fait longtemps qu’elle n’existe plus. Nous avions des règles précises : après l’âge de 30 ans, nous ne pouvions plus rester membres.

Les objectifs du mouvement ont-ils été atteints ?
Oui, nous avions eu beaucoup de soutien. L’express, avant tout, nous a soutenus à 100 %. Et puis, nous avons pu compter sur l’industrie sucrière. Il y avait même une loi votée par sir Satcam Boolell, la National Federation of Young Farmers Clubs’ Act. L’État nous a accordé tout son soutien. Nous avons eu l’appui de Claude Delaître, un grand professionnel. Nous avons eu beaucoup de succès, les cultures vivrières avaient repris.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ce secteur ?
C’est une trahison ! Venez voir dans le Nord, des milliers d’arpents de terres ont été abandonnés par des planteurs. Toutes les mesures qui ont été prises jusqu’à présent, par tous les gouvernements, n’ont servi à rien. Hormis mener les planteurs vers la faillite. Tous prétendent être des spécialistes, mais ils devraient tirer des leçons d’Israël. C’est un pays dominé par le désert, mais regardez leur production de légumes !

Nous avons de l’eau mais nous n’arrivons pas à assurer une autosuffisance alimentaire. Ce n’est pas impossible, mais le désir de réussir n’est pas là. Aujourd’hui, on aurait facilement pu créer 10 000 emplois dans le secteur de la culture vivrière. Mais non, que fait-on ? On endette davantage les planteurs ! Autre problème : nous perdons nos terres de qualité en privilégiant le béton.

Quelles solutions proposez-vous ?
Maurice est petit, petit comme un mouchoir. Il est possible de développer ce secteur et le moderniser. Il faut une nouvelle politique, une volonté de fer. Bizin kas tou réfer ! Il faut une politique de rupture !

La Une de l’express du 2 février 1968.