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Boursiers de l’état: malins, malins et demi

10 février 2018, 21:30

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Boursiers de l’état: malins, malins et demi

Lundi dernier, les regards étaient braqués sur les lauréats. Ces élèves qui, après de gros efforts, ont excellé et ont décroché ce titre tant convoité. Au même moment, Sharmeen Choomka, 13 ans, a créé la surprise. Elle a réussi ses examens du Higher School Certificate avec quatre ans d’avance sur les autres élèves. Il y a le titre, oui, et le prestige ainsi que l’ouverture sur d’autres horizons. Mais, est-ce que réussir son cursus secondaire avec brio garantit que l’on réussira sa vie ou son parcours professionnel ?

Ils sont aujourd’hui ministres, fonctionnaires ou encore cadres dans le secteur privé. Mais, pour la plupart des lauréats, ils ne sont surtout pas revenus au pays et n’y ont laissé aucune trace. Malgré leur performance remarquée sur le plan académique, peuvent-ils pour autant sortir du lot sur le marché du travail ? Certains lauréats y arrivent. D’autres finissent avec une médiocre performance, une fois sur le terrain professionnel.

Et puis, il y a ces élèves qu’on appelle les late developers. Ils donnent l’impression d’avoir raté le départ mais ils finissent par bien rattraper leur retard des années après. Un pédagogue nous rappellera, lui, que chaque enfant est unique ou que certains élèves sont doués mais n’arrivent pas à surmonter l’épreuve des examens à cause du stress.

Parmi nos ministres actuels, l’on compte d’anciens lauréats. Il y a Anil Gayan, ministre du Tourisme et ancien ministre de la Santé, et Étienne Sinatambou, ministre de la Sécurité sociale et de l’Environnement. L’on se souviendra de la contestation des membres des ONG, notamment au sujet de la gestion du ministre Gayan du problème de la drogue. Les travailleurs sociaux dans le domaine se souviennent qu’il avait dit que la situation, en ce qui concerne les drogues synthétiques chez les jeunes, n’était pas alarmante. Déclaration qui avait soulevé une série de réactions remettant en question sa performance comme ministre de la Santé.

Et que dire d’Étienne Sinatambou, celui qui, souvent, aurait embarrassé son gouvernement avec des déclarations maladroites ? L’on se souviendra aussi du : «J’ai été lauréat, j’ai plusieurs licences et même un post-doctorat. Et l’express a le culot de dire que je ne maîtrise pas mes dossiers !» Déclaration faite par le ministre, le 22 août dernier, parce qu’il n’avait pas digéré le fait que le sondage de l’express avait fait ressortir qu’il ne maîtrisait pas ses dossiers.

D’autres se souviendront de la déclaration d’Anil Gayan à l’encontre de Jean Claude de l’Estrac en 1983. Jean-Claude de l’Estrac était alors Whip de l’opposition. Dans un débat à l’Assemblée nationale, Anil Gayan devait dire que Jean Claude de l’Estrac n’était pas lauréat et voulait connaître les compétences académiques de ce dernier.

Nous avons contacté l’écrivain, ancien diplomate et ancien rédacteur en chef de l’express. D’emblée, Jean Claude de l’Estrac nous dira : «Je n’ai jamais rien complété à vrai dire» lorsque nous lui demandons comment il a réussi sa carrière professionnelle alors qu’il n’avait pas terminé son cursus scolaire.

Il revient alors sur son parcours. «J’ai quand même été chanceux. J’ai quitté l’école au niveau de la Form V pour gagner ma vie. Mon idée, à l’époque, était de chercher du travail, d’économiser, pour faire des études à l’extérieur. Je rêvais d’être avocat. Je m’étais inscrit à des cours par correspondance. Mais lorsque je suis arrivé à l’express, ce n’était pas pour faire carrière. Finalement, ma plus grande université a été le journalisme. Je n’ai pas senti le besoin de m’asseoir sur un banc d’université, j’étais debout sur le sol du pays et cela m’a plu.»

Est-ce qu’un jeune peut aujourd’hui choisir la même voie ? Jean Claude de l’Estrac est d’avis qu’il serait peut-être plus compliqué de nos jours. «À l’époque, il y avait des patrons visionnaires. Le Dr Forget avait fait confiance à un jeune de 20 ans sans diplôme. Je doute que ce soit possible aujourd’hui», ditil. Il est donc évident pour lui que la réussite académique ne garantit pas la réussite professionnelle.

«Il y a des lauréats qui réussissent brillamment mais cela ne garantit strictement rien. Il y a des lauréats qui ont été des catastrophes sur le plan professionnel et des autodidactes qui ont réussi mieux que des lauréats», soutient l’ancien homme politique.

Mais Jean Claude de l’Estrac n’est pas pour autant contre le fait que le système éducatif permette justement de déceler l’excellence. «Ce que je reproche au système mauricien c’est d’investir pendant des années dans l’avenir des plus brillants, de les sélectionner et les choyer, de leur offrir le meilleur et de les voir tourner le dos à leur pays par la suite», poursuit l’écrivain.

D’ajouter que pour lui, il s’agit là d’une triple perte pour le pays. Il parle d’une perte financière, d’une perte en qualité humaine et d’une blessure pour le pays. C’est pour cela qu’il avait proposé, notamment à l’ancien Premier ministre sir Anerood Jugnauth, de trouver une formule pour que les lauréats reviennent au pays pour y travailler.

Le recalé devenu directeur d’école

Lui aussi a réussi sa vie, sans avoir fait de brillantes études. Rajcoomar Baichoo s’est même vu décerner, en 2012, le titre de Grand Officer of The Star and Key pour services rendus dans le domaine de l’éducation. Pourtant, il n’a pas eu la partie facile avec les études. Recalé à trois reprises lors des examens du Certificate of Primary Education (CPE) il continuera ses études jusqu’à la Form III. Entre-temps, il continuera à aider son grand-père dans les champs de cannes. Toutefois, en 1994, il tente une nouvelle aventure dans le monde éducatif. Celui de la création d’une école à Triolet, Orchard Kids. Cet établissement était réservé aux élèves du préscolaire. Par la suite, il y introduit les cours du primaire. Et en 2001, lors de la dernière année du «ranking» du CPE, il verra trois de ses élèves se classer parmi les 100 premiers candidats. Cela, grâce à la contribution de Sonalall Bhunjun. Puis, en 2010, il ouvre une nouvelle école à Highlands. Au total, il ne compte pas moins de mille élèves, dont trois qui sont devenus lauréats plus tard, issus de ces écoles. À présent, il projette d’ouvrir un collège dans la région de Côte-d’Or.

Narendranath Gopee, ancien enseignant au collège Royal de Curepipe : «C’est l’élève qui réalise l’exploit, pas les profs…»

«Quand vous travaillez dans un star college, c’est normal de rencontrer des jeunes qui sont très brillants», dit Narendranath Gopee. Pour cet ancien enseignant du collège Royal de Curepipe, ce ne sont pas les profs qui font des lauréats, mais les élèves qui réalisent l’exploit et personne d’autre.

Selon Narendranath Gopee, le nom et la réputation du collège jouent beaucoup sur le mental de l’enfant et des parents. «Il n’existe pas d’enseignant qui produit des lauréats. Pour soutenir cet exemple, il suffit de prendre en considération le transfert d’un prof dans une autre institution qui n’est pas une star school, il n’arrive pas à reproduire le même résultat.»

Par ailleurs, indique-t-il, les enseignants qui aiment se vanter ne projettent pas une bonne image de la profession. «Dans ce métier, il faut savoir rester humble. Et ne pas s’afficher comme un “faiseur de lauréats”.»

Dr Geeaneswar Gaya, psychiatre : «Qu’en est-il du facteur émotionnel ?»

Le Dr Geeaneswar Gaya soutient qu’il n’y a pas seulement l’éducation dans la vie d’un élève. «Prenons l’exemple de cette fille de 13 ans (NdlR, Sharmeen Choomka). C’est bien qu’il y ait des gens avec une telle capacité intellectuelle dans le pays. Mais qu’en est-il de la maturité émotionnelle ?» Il se demande si la jeune fille sera en mesure de prendre des initiatives face à des problèmes qu’elle rencontrera lors de ses études à l’étranger. «Si, à 17 ans, elle obtient un emploi, est-ce qu’elle pourra gérer des situations autres que les études ?»

Selon lui, c’est l’un des facteurs qui, souvent, pèsent lourd dans la balance des lauréats. «À Maurice, ils sont adulés et propulsés sur le devant de la scène. Mais, une fois qu’ils seront livrés à eux-mêmes, face à d’autres jeunes tout aussi intelligents et calés, souvent, certains n’arrivent pas à se sentir dans leur élément.»

Qui plus est, ajoute le Dr Geeaneswar Gaya, certains jeunes n’arrivent même pas à converser avec leurs collègues. Il soutient que le gouvernement a réalisé qu’il fallait non seulement mettre l’accent sur l’éducation, mais aussi sur le côté émotionnel afin d’aider le jeune à développer sa personnalité.