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#50ansMoris: d’Ida à Berguitta, 50 ans à la merci des cyclones
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#50ansMoris: d’Ida à Berguitta, 50 ans à la merci des cyclones
Des maisons saccagées, des réfugiés mais aussi des morts. Le bilan des cyclones qui ont frappé Maurice ces dernières années est lourd. Toutefois, le pays a pu se relever à chaque fois.
Mardi 13 février 1968. Pas de journal ce jour-là. Non, ce n’était pas férié (NdlR, à l’époque, l’expres ne sortait pas les jours fériés). Les nouvelles sont peu rassurantes. Le pays est en alerte 3. Le cyclone Ida semble s’approcher dangereusement de nos côtes.
La population est aux aguets. Le cyclone Carol, qui a frappé l’île, en 1960, a laissé des plaies encore béantes pour certains. Les autorités avisent la population de ne prendre aucun risque. «À Quatre-Bornes, des dizaines de travailleurs arrivés à la grille de l’usine à sacs sont renvoyés chez eux. Même scénario à la municipalité de Port-Louis», rapportera l’express du mercredi 14 février 1968.
Heureusement, Ida ne fera pas de gros dégâts et la vie reprendra son cours normal quelques heures après le passage du cyclone. Cependant tel n’a pas toujours été le cas...
Quelques années après l’Indépendance, soit un février 1975, Gervaise porte l’estocade. Maurice est sous le choc. Du jeudi 6 février au mardi 11 février, l’express ne sortira pas. Le pays est à genoux. À la reprise, l’express fait le bilan: Gervaise à l’île Maurice: 9 morts, 59 blessés, 10 000 réfugiés.
Sir Seewoosagur Ramgoolam, Premier ministre de l’époque, mettra rapidement sur pied un Prime Minister’s Reconstruction Fund pour que le pays puisse continuer à avancer. Les pays étrangers et les agences internationales sont invités à y contribuer. Les politiciens apportent aussi leur pierre à l’édifice. «Le Premier ministre a contribué Rs 2 000 et chacun des ministres y versera Rs 1 000.»
La station météo fait aussi face à des critiques. Les accusations pleuvent quant à leur incapacité à communiquer efficacement avec le peuple alors que Gervaise détruisait tout sur son passage. Quelques heures avant que le cyclone ne passe sur Maurice, Bhahmanund Mohabeer Padya, le premier directeur mauricien de la station météo, se montre optimiste dans une intervention à la télévision nationale. Les conséquences seront lourdes. «Toutefois, je reconnais que je me suis mal exprimé et que je n’ai pas insisté suffisamment sur ce qui se serait passé si le cyclone venait sur Maurice. Sincèrement, je regrette cela», finira-t-il par admettre dans une interview accordée à l’express après le cyclone.
Il nous faudra près de 20 ans avant de connaître un cyclone aussi ravageur. Hollanda redessinera les contours du pays et marquera à tout jamais notre histoire. Le samedi 12 février 1994, l’express parlera avec pudeur de la désolation post-cyclonique. Hollanda: véritable cauchemar, titre le journal. On y retrouve aussi le message du Premier ministre de l’époque, sir Anerood Jugnauth, qui se dit inquiet : «La situation est très grave.»
L’économie peine à se relever
Cette fois-ci, c’est dans le Prime Minister’s Relief Fund que les dons seront versés pour la reprise. Mais c’est toute l’économie du pays qui peine à se relever. L’île Maurice, encore dépendante de l’agriculture, a perdu entre 20 et 30 % de ses revenus potentiels pour son industrie sucrière. Rama Sithanen, ministre des Finances de l’époque, annonce que le coût du cyclone est de Rs 1,5 milliard.
Selon les chiffres de l’express, le manque à gagner du secteur sucrier est à hauteur de Rs 500 millions alors que celui de la zone franche industrielle est de Rs 200 millions. Le coût de la reconstruction de l’infrastructure socio-économique est estimé à plus de Rs 500 millions et on notera des dégâts de Rs 200 millions aux cultures vivrières. «À cette époque, le secteur agricole représentait un dixième de notre produit intérieur brut, ce qui explique le choc pour notre économie», explique l’économiste Eric Ng (voir ci-contre).
Le premier gros événement à être mis de côté au nom de la reconstruction nationale est la cérémonie du 12 mars. Une simple cérémonie protocolaire sera prévue, mais pas de grandes célébrations comme nous avons maintenant l’habitude de voir. Dans son allocution, le président de l’époque, Cassam Uteem, rendra hommage à tous ceux qui ont aidé le pays à se remettre sur pied après Hollanda.
Cinquante ans après Ida, les dynamiques économiques du pays ont beaucoup changé, même si les dynamiques politiques restent assez similaires. Avec Berguitta, la population s’est rendu compte, encore une fois, qu’on demeure toujours vulnérable face aux aléas du changement climatique.
Pour Abbas Currimjee, architecte depuis la période pré-Indépendance, un gros cyclone est inéluctable. Dans les colonnes de l’express, en 2016, il nous prévenait déjà que «the Big One is coming». Il maintient la même prévision aujourd’hui et s’inquiète de la passivité des autorités. «Nous avons tendance à chercher des solutions après les cyclones alors qu’il serait beaucoup mieux d’avoir un plan d’action avant», soutient-il. «Un exemple simple serait de revoir, en priorité, notre réseau électrique, étant donné que notre pays en est dépendant.»
Dans 50 ans, Berguitta aura probablement sombré aux oubliettes, comme Ida. Nous avons certainement évité le pire malgré un début d’année chaotique sur le plan météo. Néanmoins, le prochain gros cyclone qui visitera l’île pourrait nous faire beaucoup plus mal.
Questions à …Eric Ng, économiste: «Dès qu’on a un peu de pluie, on n’arrive plus à fonctionner»
Pour Eric Ng, les cyclones ne sont pas encore des obstacles insurmontables. Face aux discours alarmistes de plusieurs observateurs, il tient à préciser que l’économie mauricienne a probablement de quoi tenir.
Notre économie est-elle vulnérable face à des cyclones comme Hollanda et Gervaise ?
Je trouve que vulnérable est un mot beaucoup trop fort. Il faudrait un véritable ouragan avec un réseau de télécommunications à terre pour que l’économie du pays soit véritablement en difficulté. Il faudrait qu’on soit paralysé pendant plusieurs semaines pour pouvoir utiliser le mot vulnérable. Malgré les dégâts cycloniques, on peut se rattraper. On dépend beaucoup moins du secteur agricole maintenant, ce qui permet de limiter les pertes de façon assez significative.
Avec le passage de Berguitta, beaucoup d’observateurs craignaient le pire. Pourquoi pas vous ?
Ça me fait mal de vous le dire, mais c’est un peu aussi la faute des médias, qui font souvent peur à la population. Est-ce que vous croyez que les problèmes auxquels on fait face aujourd’hui sont nouveaux ? On a besoin de perspective. Le changement climatique est devenu un monstre qui porte le fardeau de tous nos problèmes alors que la peur y est aussi pour beaucoup.
Ne pensez-vous pas que Berguitta aurait pu causer de gros dégâts avec une trajectoire plus rapprochée de Maurice ?
Certainement. Après les inondations de 2008 à Mon- Goût et de 2013 à Port- Louis, une psychose s’est installée dans le pays. Dès qu’on a un peu de pluie, on panique et on n’arrive plus à fonctionner. Il y a un travail pédagogique à faire pour surmonter cela. Il faut toujours être prudent mais on a tendance à se faire peur.
De façon hypothétique, reprenons un discours alarmiste. Si un cyclone met le pays à genoux, est-ce que nous avons un dispositif de sécurité dans notre économie pour pouvoir gérer cette situation ?
Question intéressante qu’il faudra demander au ministre des Finances. Beaucoup dépendra de l’ampleur des dégâts, mais il faudra avoir un espace fiscal qui permettra au pays de se reconstruire sans augmenter drastiquement notre déficit budgétaire. C’est peut-être une piqûre de rappel importante pour le ministre des Finances. On doit étre prêt à toute éventualité.
Retour en images
L’histoire du pays a été marquée par le passage de cyclones très puissants. Le premier, selon la station météo, remonte à 1945. Il faudra attendre 1960 pour le prochain gros cyclone. Carol fera beaucoup de ravages, passant directement sur nous. Une tendance se dessine. Quinze ans plus tard, Gervaise suivra la même trajectoire en direction de Maurice, causant plusieurs morts et faisant des milliers de réfugiés dans son sillage. En 1979, nous aurons aussi droit au cyclone Claudette, juste avant Noël. Après son passage sur l’île, le réseau électrique sera sévèrement affecté, laissant des régions dans le noir pendant plusieurs semaines. Malgré les dégâts causés, le cyclone Hollanda ne fait pas partie de cette liste. Elle passera, à son point le plus rapproché de Maurice, à 20 kilomètres au nord-ouest. Le dernier cyclone qui est passé directement sur le pays reste, pour l’heure Christelle, en janvier 1995. Heureusement, il n’a pas été aussi destructeur que ses prédécesseurs.
Quelles couleurs pour représenter notre nation arc-en-ciel ?
Les discussions lors de la période pré-Indépendance rassemblaient l’élite intellectuelle de l’île Maurice avec l’idée de concevoir un pays à l’image de son peuple. Des débats acharnés faisaient rage notamment sur notre Constitution, animant de longues conversations sur notre orientation économique ou encore sur nos nouvelles relations avec la Grande-Bretagne en tant qu’île indépendante. On a eu droit à tout. Cependant, dans cette photo, le débat semble plus artistique que politique. Sir Harilall Vaghjee, qui sera le premier speaker de notre Assemblée nationale, mène la discussion sur les couleurs nationales qu’adoptera l’île Maurice pour son drapeau. Pour rendre hommage à notre nation arc-en-ciel, leur choix se portera sur le rouge, le bleu, le jaune et le vert. Le 12 mars 1968, à midi, notre quadricolore sera hissé pour la première fois, remplaçant ainsi pour de bon le vieux Union Jack britannique.
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