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Rundheersing Bheenick: «La croissance n’est rien face aux drames sociaux»

6 mars 2018, 12:34

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Rundheersing Bheenick: «La croissance n’est rien face aux drames sociaux»

Dans ce second volet, Rundheersing Bheenick analyse les grands enjeux économiques et sociaux du moment, s’explique sur la problématique de la croissance et commente l’institution de l’Economic Development Board ainsi que le projet Metro Express. Avant  de livrer sa pensée… sur la nouvelle équipe en poste à la direction à la BoM Tower et de soutenir qu’il n’est pas en retrait politique.

Vous avez été ministre des Finances et également du Développement économique… Comment analysez-vous la gestion économique du pays et la problématique de la croissance à laquelle le pays est confronté ? Pour preuve, le pays peine à dépasser la barre psychologique des 4 %.

Il faut arrêter de se focaliser sur le taux de croissance. Posons-nous la question : quelle est la finalité de la croissance quand elle n’est pas inclusive et ne profite qu’à une minorité de gens ? Parlons plutôt du happiness index, d’une société juste et équitable, d’une démocratie vivace et non détournée, d’une police moins persécutrice, d’un système de justice moins onéreux et plus expéditif, de routes plus fluides, etc. Pourquoi donc être obsédé par le taux de croissance ?

Avoir une croissance de 3 à 4 % n’est pas une catastrophe en soi. Car, à côté, il y a d’autres priorités sociales qui doivent nous interpeller tous.

Par exemple ?

Je pense aux personnes confrontées aux inégalités économiques et sociales : aux citoyens sans abri, à des gens sans espoir qu’on n’arrive plus à rassurer, à des jeunes victimes  de la drogue, qui fait des ravages et qui décime certaines familles. J’ai des amis dont les enfants sont victimes de ce fléau. C’est choquant d’entendre dire que ceux qui ont la responsabilité de l’ordre et de la paix et qui dirigent ce pays seraient impliqués dans les réseaux mafieux.

Il y a de véritables problèmes sociétaux, ceux qui méritent qu’on s’y attarde pour trouver des solutions. Dans bien de cas, la problématique de la croissance, qui piétine autour de 4 %, n’est rien face à ces drames sociaux.

Je crains que l’on ne fasse pas assez sur le plan social. Réglons les vrais problèmes qui affectent le quotidien de nos concitoyens et laissons le taux de croissance comme le résultant qui reflète la somme de nos bonnes mesures, nos bonnes actions.

Quelle analyse faites-vous de la gestion économique de ce pays ?

Je ne veux surtout pas parler de la gestion de l’économie sous le présent régime. Mais si on remonte le temps et qu’on analyse les différentes étapes de l’évolution économique du pays durant ces 50 dernières années, en se rappelant les commentaires des experts qui accordaient si peu de chance à son essor économique, je dirai qu’on a fait un excellent parcours. Certes, pas un sans-faute.

Ma carrière de fonctionnaire a commencé avec l’Indépendance du pays. Je suis bien placé pour dresser un bilan dépassionné et objectif de cette période, l’ayant vécu de l’intérieur, in the engine room, si on peut le dire ainsi.

Aujourd’hui, Maurice est cité en exemple par beaucoup de pays et tant mieux : dix bons points pour nos dirigeants qui se sont succédé aux affaires au cours de ce demi-siècle. Évidemment, à chaque période de l’histoire d’un pays, de nouveaux défis se présentent. On est en droit d’attendre de nos décideurs politiques qu’ils ne fuient pas devant leurs responsabilités.

Vous avez fait une longue carrière au défunt ministère du Plan et du développement économique, dont vous avez été le directeur à partir de 1980. Dans le pays, certains spécialistes et économistes regrettent la disparition de ce ministère. Aujourd’hui, le gouvernement souhaite le ressusciter avec la création de l’«Economic Development Board». Que pensez-vous ?

L’Economic Development Board existe à Singapour depuis 45 ans. À Maurice, 50 ans après l’Indépendance, on n’a rien trouvé de mieux que faire du copier-coller. Dois-je vraiment en dire plus ?

Il y a aussi le Metro Express…

Je suis le premier à affirmer qu’un Mass Transit System est long overdue à Maurice. D’ailleurs, le premier projet de métro léger date de 1978, sous le gouvernement de Ramgoolam  père. Il y avait même un accord signé avec un groupe belge de l’époque pour son exécution sous le mode design and build avec le financement de fournisseur.

C’était une occasion qui s’était présentée après l’annulation d’un contrat de fourniture pour Metro Manila par l’ex-président Marcos, que Robin Ghurburrun, ministre du Plan de l’époque, voulait saisir. Le système BOT (NdlR, Build, Operate and Transfer) était inconnu des finances publiques mauriciennes et les réalités économiques mettaient vite fin à ce rêve.

Ensuite, quand j’étais ministre du Plan et du développement économique sous le gouvernement de Navin Ramgoolam, le projet avait refait surface. On était allé très loin dans sa conception avec le tracé et le nombre d’arrêts. Je me rappelle qu’avec le ministre de tutelle, Clarel Malherbes, on avait décidé  que le métro ne devrait pas s’arrêter à Port-Louis mais poursuivre son trajet jusqu’à Ste-Croix.

Le dernier gouvernement de Ramgoolam fils avait aussi fait de ce projet une de ses priorités en privilégiant le modèle singapourien. Tout cela pour vous dire que le métro léger ou Metro Express n’est pas nouveau à Maurice.

Cela dit, il faut reconnaître que le système de Mass Transit ne va pas régler en lui-même la congestion routière. C’est faux de le croire. Le Metro Express qu’on veut introduire ne sera qu’une option parmi d’autres. Il faudra toute une panoplie de mesures d’accompagnement pour réussir à mettre en place un système de trafic efficace.

On sait maintenant que l’augmentation du parc automobile n’est pas la solution comme c’est le cas pour la construction de bypass et de routes additionnelles. Je crains qu’on nous dise que le Metro Express ne soit pas non plus la solution.

Vous avez été gouverneur de la Banque de Maurice (BoM) pendant huit ans. Il y a actuellement une nouvelle équipe de direction à la tête de cette institution. Quelle est votre appréciation ?

Le nouveau patron de la Banque centrale, je le connais. Il a été mon First Deputy Governor pendant mon mandat en tant que gouverneur. Il était déjà une illustration du principe de Peter (NdlR, selon le principe de Peter, dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence, avec pour corollaire qu’avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d’en assumer la responsabilité).

Terminons cet entretien sur une note plus personnelle. Quel est votre «mood» après toutes vos tracasseries avec le judiciaire ?

Je suis bien. I feel good. Je n’ai pas d’amertume envers qui que ce soit. J’ai gagné deux premières batailles face aux accusations et aux charges provisoires dans deux cours de justice différentes. Je regrette que ces accusations aient chamboulé ma vie et mis fin prématurément à ma carrière professionnelle sur une note amère.

J’attends maintenant les deux procès que j’ai intentés à l’État et à ses agents de police d’un côté et contre la Banque de Maurice de l’autre. Et ce, pour des salaires impayés depuis 2007.

Savez-vous que notre Banque centrale est un mauvais payeur ? On est à un stade avancé dans la préparation d’un troisième procès, cette fois-ci pour conspiracy contre une demi-douzaine d’agents de la police et de la Banque centrale que je crois responsables de ce qu’on m’a fait. Il y va de mon honneur…

Avez-vous toujours des ambitions politiques ?

Mon ambition politique dépend de la conjoncture. J’ai servi le pays à plusieurs niveaux depuis l’Indépendance. Je suis à la disposition de mon ancien parti s’il a besoin de moi, quel que soit le champ de bataille.

Vous n’êtes pas en retraite politique ?

Je suis toujours engagé à ma façon, étant travailliste de souche. Si, demain, on fait appel à moi pour faire partie d’une équipe dans laquelle je me retrouve, je serais partant…