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50 ans d'Indépendance: «Nam dan lamé»
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50 ans d'Indépendance: «Nam dan lamé»
Ce qui nous rassemble nous ressemble : la nourriture, un melting-pot. Mais n’y aurait-il pas d’autres choses, moins «prosaïques» qui symboliseraient notre vivre-ensemble ?
La solidarité en est une. Il n’y a qu’à voir comment, après chaque cyclone, les Mauriciens se retroussent les manches, vont distribuer davantage que des biscuits et des gâteaux secs dans les centres d’hébergement d’urgence.
«On m’a dit qu’il y avait des gens qui n’étaient pas des sinistrés. Ce n’est pas mon problème. Si sur dix personnes, une d’entre elles avait vraiment tout perdu et qu’elle n’avait pas à manger, je suis content que ce geste ait pu l’aider.» Ashley Munisami est un jeune homme parmi tant d’autres qui ont aidé lors du cyclone Beguitta de début d’année.
Arvesh Sharma Dabedeen, lui, n’a pu rester les bras croisés devant la détresse des Sobhee. Une famille démunie vivant dans une bicoque en tôle en piteux état à Grande-Rivière-Nord-Ouest. L’an dernier, il a aidé celle-ci à construire sa maison. Il n’en était pas à son premier essai.
Que dire de tous ces anonymes qui répondent présent lorsqu’il s’agit d’envoyer un enfant se faire soigner à l’étranger, de donner des couches et du lait à une mère en détresse ? Des cas comme ça, où la solidarité transcende les barrières ethniques ou sociales, sont des centaines.
Quand des sportifs participent à des compétitions internationales, ils sont Mauriciens avant tout. Lorsque Stephan Buckland a couru à la demi-finale des Jeux olympiques de Sydney, en l’an 2000, «il n’y avait personne qui disait que c’était l’athlète d’une communauté en particulier. Nous étions tous devant notre poste de télé pour soutenir le représentant d’une nation. Un Mauricien», se souvient Nilen Vencadsamy, avocat et militant des droits de l’Homme.
SPORT ESPOIR
Idem lors des Jeux des Îles de l’océan Indien de 2003, à Maurice. Le slogan «Allez Maurice» était sur toutes les lèvres. Des motocyclistes et des automobilistes, arborant fièrement le drapeau mauricien, circulaient un peu partout. Aux stades, tout le monde soutenait les athlètes mauriciens.
Pour Ashok Subron, un des dirigeants de Rezistans ek Alternativ, «la solidarité mauricienne est une preuve que nous sommes unis. Lors des inondations de 2013, tout le monde s’est mis à aider son voisin, sans aucune distinction. (…). Nous mangeons des boulettes, du briyani pour l’Eid ou des gâteux de Divali, entre autres.» Ces fêtes sont d’ailleurs une belle illustration du vivre-ensemble. Pour Paula Lew Fai, psychosociologue, la tolérance des Mauriciens est plus grande. «Il y a eu une grande avancée depuis l’Indépendance. On arrive à mieux accepter les spécificités des autres. On se comprend mieux.»
Hélas, si le mauricanisme existe, il a son pendant, le communalisme. Exacerbé par la politique. À l’approche des élections générales, la bête communautariste refait surface, pour diviser et morceler le pays en raison du système politique.
Cette bête s’abreuve du Best Loser System (BLS). «Notre Constitution, qui est notre loi suprême, encourage la balkanisation de notre société. Chaque cinq ans, les politiciens jouent sur la sensibilité communautariste pour obtenir des votes lors des élections», déplore Nilen Vencadsamy.
BÊTE LOSER
En 2018, nous sommes encore enfermés dans quatre cases qui ne font plus sens. Il y a davantage de différence culturelle entre un squatter qui vit sans eau ni électricité – et n’a pour seul horizon que les feuilles de tôle qui enveloppent sa maison – et une personne qui a fait des études poussées à l’étranger et a les moyens de voyager au moins une fois par an. Tous les deux peuvent pourtant être de la même «communauté».
Les identités ne sont pourtant pas figées. Si notre Constitution définit quatre groupes, la population n’a pas toujours été ainsi répartie. Cela change en fonction des grilles de lecture de la société à un moment donné. L’ethnicité est toute relative. En 1735, on dénommait les groupes en présence ainsi : «Français nés en France et à Bourbon ; Africains nés du Sénégal ou de Guinée ; Indiens ; Malgaches ; Africains d’Afrique orientale.» En 1766 : «Blancs ; libres, esclaves.» En 1846 : «Blancs et métis ; Indiens». En 1861 : «Blancs et métis ; Indiens ; Chinois». En 1952 : «Indo-mauriciens ; Sino-mauriciens ; population générale.» Et en 1962 : «Hindous ; musulmans ; Sino-mauriciens ; population générale.» En 1983 est entrée en vigueur la loi interdisant la publication des recensements en termes ethniques, suivant les élections de 1982 et la victoire du MMM. Le Bureau central des statistiques pose cependant toujours la question de la religion. Et le nombre de subdivisions religieuses augmentent (pendant à la mondialisation on a tendance à davantage se renfermer sur son groupe).
Mais le BLS se base toujours sur ces quatre groupes incohérents. C’est aux décideurs politiques de changer la donne. À eux d’amender la Constitution pour faire disparaître cette classification. À eux de réformer le système électoral. Car depuis 1982, «enn sel lépep enn sel nasion» ait régressé. Le mauricianisme a perdu contre le communalisme scientifique. Le ministre des Arts et de la culture doit être de tel groupe…
Quand aurons-nous des dirigeants suffisamment solides ? On dit que le peuple a les élus qu’il mérite. Mais quand aucun grand homme ou grande femme ne sort du lot, comment fait-on ? L’Afrique du Sud en est le parfait exemple de l’importance d’avoir un être d’exception à la tête d’un pays. Depuis que Nelson Mandela n’est plus, cette nation sombre.
PRÉJUGÉS ENRACINÉS
Car il ne faut pas non plus tout mettre sur le dos des politiques, ni être trop angélique. Les préjugés sont encore tenaces. Il n’y a qu’à voir les déversements réguliers de haine sur Facebook. Souvent très épidermiques. C’est «touche pas à ma religion». Chaque groupe se sent toujours victimisé et a tôt fait de réagir, de crier au «bashing», quel qu’il soit. Nous en savons quelque chose à l’express.
Pour l’anthropologue norvégien, Thomas Hylland Eriksen, Maurice est un laboratoire pour la gestion des conflits ethniques. Il montre au gré de ses ouvrages, que la société mauricienne a développé un engagement pour le compromis et le partage du pouvoir. Et ce, en admettant le besoin de coexister entre peuples de différentes religions et identités culturelles et en prenant des mesures pour éviter qu’une seule communauté ne monopolise le pouvoir.
Mais cette volonté à tout prix de vouloir maintenir cette différence n’est-elle pas aujourd’hui en train de se retourner contre nous ? Ce modèle «d’unité dans la diversité» emprunté à Nehru, n’est-il pas dépassé ? Ce qui est valable dans un pays d’une telle taille que l’Inde, avec de populations autochtones, des ethnies vivant là depuis des millénaires, peut-il être appliqué à notre millier et quelques de km2 insulaires et ses quelques centaines d’années d’histoire ? Contrairement aux nombreux pays, aucun groupe ne peut prétendre être autochtone. Cet arc-en-ciel que l’on vend aux touristes ne devrait-il pas se mélanger ?
TOUS HUMAINS
Tous les Mauriciens sont des descendants d’immigrés déracinés. Pourquoi les futurs adultes mauriciens devraient en appeler aux origines de leurs arrières-arrières grands-parents ? Aujourd’hui, tout le monde naît à Maurice.
Finalement, à part le fait que nous n’ayons pas la même religion, que nos ancêtres ne viennent pas du même endroit, qu’avons-nous comme différences insurmontables ? Aucune. Tous les matins, nous nous levons tous pour aller travailler ; nous voulons tous un toit décent et assurer un bel avenir à nos enfants ; vivre dans la quiétude et la paix ; être entourés d’amour…
Relativisons
Il existe des exemples où d’identité ethnique est transcendée : la diaspora et les femmes.
Paradoxalement, c’est quand ils vivent parmi d’autres que les Mauriciens sont le mieux ensemble. La zot tou morisien.
La lutte des femmes également montre que les frontières communautaires sont relatives. «Women in Mauritius decided to transcend intersectional identities and form feminists movements advocating women’s rights. (…) In a plural society like Mauritius, the forging of feminist consciousness would require women to transcend intersectional identities to achieve feminist demands», écrit la senior lecturer Ramola Ramtohul dans The Mauritian Paradox.
Les trois sens de «nasion»
Il est paradoxal qu’en créole mauricien, le mot «nasion» ait trois sens, presque antinomiques.
• La «nasion» au sens d’un peuple ayant une histoire commune, des valeurs communes et un projet commun. Ce qui fait dire à certains comme Dev Virahsawmy que nous ne sommes pas encore une nation, elle reste à construire. Il est rejoint par le compositeur de Lamé dan lamé repris pour ces festivités et qui a été composée il y a 50 ans. Pour Bahal Gowry, aujourd’hui 82 ans, «anou batir nasion morisienn» est toujours d’actualité. Il explique dans le mauricien avoir refusé de changer ce refrain en «nou finn fini batir nasion morisien», que lui avaient demandé les autorités. Par contre, pour Ashok Subron, les exemples de solidarité mauricienne montrent que nous sommes une nation.
• Les «nasion» : les Afro-Créoles. «C’est un mot utilisé pour dire qu’on est créole et fier de l’être. C’est une façon que les créoles dits Mozambique ont trouvé pour se définir par rapport aux autres», explique le linguiste. Lui récuse que ce soit un terme péjoratif. «Les afro-créoles ont décidé de se donner le nom nation quand les euro-créoles et les mulâtres ont commencé à se dire créoles. Il fallait un autre mot pour se définir.»
• Les «nasion» au sens de castes chez les hindous : «Ti nasion, gran nasion.» Ici, le terme vient plutôt du bhojpuri «jati», relatif à la nation, mais aussi à la naissance. Et c’est par rapport à cette signification de naissance que le mot nation est utilisé pour dire castes.
Le premier sens est général, unificateur. Les deux autres sont plus réducteurs. Servent à marquer la différence. La polysémie du mot «nasion» en créole mauricien est révélatrice de toute la problématique de la construction de la nation.
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