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«Nou lakwizinn»: un melting–pot

13 mars 2018, 01:30

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«Nou lakwizinn»: un melting–pot

Akshay Mungul qui vit au Canada, rêve d’un bon vinday ourit avec baguette. «Péna pli bon ki sa !» Pour Rony Busviah, c’est rotis et dholl puris. Marie-Claire Richard­son vit en Grande-Bretagne depuis 28 ans. Mais il lui manque le «toufé bred sousou, rougay pwason salé, lanti». Et ainsi de suite…

La cuisine mauricienne est un vrai melting-pot. Elle vient de divers continents comme l’Afrique, l’Asie, l’Europe. Toutes ces gastronomies se sont retrouvées sur notre petit territoire. Même si chaque commu­nauté, toutes immigrées, il faut le rappeler, a importé ses recettes, il a fallu les adapter avec ce qu’on trouvait sur place. «Au fil du temps, on a fait avec ce qu’on avait et on a réinventé les traditions de ces pays-là. C’est devenu aujourd’hui les bases de notre cuisine mauri­cienne», commente Nizam Peeroo. C’est une question d’adaptation. Déjà, dans les pays d’origine, les variétés de cuisines sont nom­breuses. Inde du Nord, du Sud, cui­sine de Shanghai, de Guangzhou, pékinoise, cantonaise… «Un kari pwason fait par un tamoul, un telegu n’aura pas le même goût, chacun y met sa pincée de sel», ou plutôt d’épice. Ce qui donne une identité propre à chaque cuisine.

Dans la cuisine indomauricienne, nous avons des plats typiquement du sud de l’Inde, comme le rason, le vinday. Plus au Nord, on retrouve le kalia.

GAJAK ZÉPOL

La cuisine chinoise est très spé­cifique à Maurice. «En Chine, les bols renversés ne traînent pas les rues !» s’amuse Nizam Peeroo. Cédric Yeung, de Food Sensei, explique leur création typiquement mauricienne : «À l’époque, dans le quartier de Chinatown, les plats étaient servis dans des bols avec une assiette au-dessus qui servait de couverture pour préserver la chaleur. Pour manger, on devait les renverser.» La communauté chinoise est arrivée avec ses recet­tes. Mais à l’époque, les moyens de transport étaient beaucoup plus limités. On ne pouvait faire venir des produits de Chine facilement. Là encore, les plats ont été adaptés en fonction de ce que l’on pouvait trouver sur l’île. «Un minn frir spésial de Maurice n’aura pas le même goût qu’en Chine

«La cuisine chinoise, comme toute autre cuisine, a bien évolué au fil du temps. Des ingrédients plus prisés et plus raffinés font qu’elle est plus sophistiquée aujourd’hui qu’à l’époque», explique Cédric Yeung.

D’ailleurs, pourquoi ce sont surtout des restaurants chinois que l’on trouvait à l’époque ? En effet, il y a une vingtaine d’années, les autres cuisines étaient beaucoup plus rares. La genèse est simple : les boutiques chinoises vendaient de l’alcool. Pour accompagner les verres des clients, petit à petit, les femmes ont préparé des plats… Le «gajak zépol» (lorsqu’une personne qui boit et s’essuie sur son épaule) a cédé la place aux vrais gajaks. Ces incontournables de la manière de manger mauricienne.

La cuisine européenne a donné les gratins, par exemple. Même s’il a bien fallu là encore l’adapter, le beurre et la crème n’étant pas très viables sous la chaleur.

La cuisine créole mauricienne, avec ses tomates, son thym, son ail-gin­gembre, est très proche de la cui­sine du midi, du Portugal, pays des colonisateurs solidement ancrés en Afrique. Même si les esclaves n’ont pas pu conserver leur identité et qu’ils ont dû faire avec le peu qu’il y avait sur les plantations. Le manioc aussi, se retrouve à Mada­gascar, au Mozambique ou autres pays d’Afrique d’où venaient les esclaves. Comme la patate douce, tubercule qu’on retrouve dans de nombreux pays colonisés par les Européens.

Aujourd’hui, les possibilités sont multiples. Si l’on veut concocter un plat typique d’ailleurs, on peut avoir tous les ingrédients.

Autre mode : la fusion. Un exemple est l’adaptation du riz frit. «Ce qui fut à l’origine le riz cantonais est maintenant devenu notre typique riz frit poisson salé», cite Cédric Yeung. «La cuisine fusion à Maurice s’est développée grâce aux échan­ges culturels et à l’adaptation des plats traditionnels améliorés dans le contexte mauricien

Le briani pork aussi a fait son appa­rition, on a pu le découvrir dans Porlwi by Light, où les passants faisaient la queue pour s’en procu­rer, mais aussi à Baie-du-Tombeau. «Le briani n’est pas le monopole de la communauté musulmane ou hindoue», commente Nizam Pee­roo. Aucun plat, d’ailleurs. «Je peux prendre une entrecôte bien grasse et la faire cuire comme j’aurais fait avec une ventrèche pour faire du porc grillé. Le meilleur briani n’est pas fait avec du filet, il faut une viande un peu grasse. Si ce briani porc est excellent, tant mieux. Il n’y a pas de tabou en cuisine.» Pas comme dans la société…

«Dans la cuisine, on peut tout mélanger. Mais le mélange doit se faire d’une façon calculée, dosée.»

Allez on se fait plaisir… voici une liste non exhaustive des incontournables de la cuisine mauricienne : bred mouroum, satini koko, salmi kanar, pwason salé, briani, set kari avek so kari bari et kari banann ver, aplon, minen, diri frir, boulett, gato pima, baja, oundé, poutou, gato patat, makatia koko, satini pomdé ter, lalo frir, sagoo, kalia, kitchri, dal­pita, bouyon bred, soté léfwa poul, vinday ourit ou pwason, kalamin­das, poudinn may, roti poul, gratin sousou, koulfi malay, ladob, dipin frir, kari zak, kari fri a pin; kari masala, gato moutay, satini pistas, satini brinzel, korn frir, halim, chop soy… etc.

LES CONFITS DANSENT

Tellement ancrés qu’on ne les voit plus : les fruits confits. À voir les clients qui s’entassent devant la mobylette de Vinod Nabou, on ne doute pas que la tradition perdure. Vinod, les confits, il trempe dedans depuis 35 ans. À Riche-Terre, en ambulant. C’est un métier qui marche avec la saison. Au choix, en ce mois de mars : ananas, patate chinoise, concombre, fruit de cythère, oli­ves, mangues. Arrosés de piment et de tamarin. «Vinaigre spécial, sel spécial, lapoud konfi spéciale, eau bouillie», c’est sa recette. On comprend que tout est spécial. Bien évidemment, Vinod se garde de donner des détails… Mais il confie (justement), qu’il ne faut pas les laisser tremper plus d’un jour. Après, il faut changer la mixture.

Comme tout le reste, les confits ont connu l’inflation. «Lontan dan enn roupi ti gagn tou», raconte-t-il. Maintenant, comptez entre Rs 5 et Rs 25 en fonction du fruit et de sa taille. N’a-t-il pas de difficulté à s’appro­visionner ? «Mo pé al lavant. Bizin alé enn er gramatin, trwa fwa par sémenn.» Mais il n’est pas déconfit pour autant.

SUR LA PISTE DES PISTAS

Mais que sont ces poussières rouges sous nos pieds sur le plancher du bus ? Lapo pistas pardi ! Bouillies, salées, grillées, tout passager passe devant le marsan pistas à la gare avant de rentrer chez lui. «Pistas salééé griyééé !» Et bien sou­vent, il se laisse tenter. C’est le métier de Nooreza Joomun, qui en vend à la Gare du Nord, du lundi au samedi, de 9 heures à 16 h 30. Elle est au karay pistas (cacahuètes en français de François) depuis une quinzaine d’années. «Papa ti pé fer sa travay-la.» Alors, elle a enfilé le tablier. Tout comme l’a fait Noozra, sa cadette, âgée de 18 ans, qui a repris le flambeau. «Li ed mwa, nou travay ansam.» Les pistaches sont de tous les apéros.

DHOLL PURI, UNE ÉNORME ENVIE

Dans les différents bazars de l’île, dans les coins de rue, dans les food-courts, lors du chawtari… Le dholl puri est de toutes les occasions, de tous les lieux. Ce n’est pas Randhir, qui en vend depuis 48 ans au bazar de Port-Louis, qui dira le contraire. Même si la paire est passée de 25 ou 30 sous à Rs 12, parfois un peu plus, le dholl puri n’a rien perdu de son attrait.

À l’origine, ces galettes étaient fourrées avec du satini kotomili, de la rougay et du piment unique­ment. «Mais comme on vendait aussi des rotis, les clients voyaient du kari gro pwa par exemple, et ils demandaient d’en ajouter dans les dholl puris», explique Randhir. Quant au dholl puri lui-même, il est composé de «dholl gram, de farine, sel et poudre de safran». Le secret d’un bon dholl puri ? «Kraz lafarin fin, bélo bien mins, tawa pa tro so ni tro fré, viré, déviré, pass délwil.»

Le dholl puri n’existe pas en Inde. Même si on en trouve aux Fiji, par exemple, il reste tout de même bien spécifiquement mauricien. Il est né dans les champs de canne. Les travailleurs engagés l’ont inventé, eux qui étaient payés en rations de nourriture. Farine et dholl se sont alors mêlés pour obtenir une galette consistante qui tienne au corps. Et au coeur de tous les Mauriciens.