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Kreol: notre langue bien pendue

13 mars 2018, 00:30

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Kreol: notre langue bien pendue

«Le créole est une langue qui prend naissance lorsqu’au moins deux langues entrent en collision», explique Dev Virahsawmy, linguiste. Les langues perdent alors plusieurs éléments superflus et ne retiennent que l’essentiel. Puis, celle qui reste évolue, se structure et devient la langue d’un pays. «Par la suite, cette nouvelle langue, lorsqu’elle est bien installée, devient une langue maternelle et prend le nom du pays.» L’anglais, de ce fait, est une langue créole, tout comme le créole mauricien.

 Pourtant, c’est à l’anglais qu’on s’accroche pour l’hymne national. À part une tentative en 1983, il n’a jamais plus été question de chanter le Glory to thee en créole. Des citoyens essayent sur les ré- seaux sociaux, mais ce ne sont pas les dirigeants. «Les Mauriciens refusent d’accepter qu’ils vivent dans une île créole», explique le linguiste. Et leur gouvernement encore plus.

Pourtant, le créole a commencé à se frayer un passage dans les instances dirigeantes. Dans les conseils municipaux au départ.

Lorsque le pays a accédé à l’Indé- pendance, l’anglais a été retenu comme langue administrative, et le créole n’était pas reconnu. Il a fallu attendre 1977, lorsqu’Élie Michel a été élu comme conseiller municipal à Beau-Bassin–Rose-Hill, pour que le créole fasse son entrée officiellement dans les instances du gouvernement. «Élie ne parlait ni le français ni l’anglais. Il avait déposé une motion pour pouvoir s’exprimer en créole», explique Sylvio Michel, frère du pionnier dans le combat pour le créole. Kader Bhayat, lord-maire, autorise ensuite l’utilisation du créole dans son conseil municipal.

 La suite logique est de proposer le créole au Parlement. Le 5  novembre 1977, Anerood Jugnauth porte cette motion au Parlement. «This Assembly is of opinion that the Creole language should be authorised in the Legislative Assembly and that government should take the necessary steps to introduce appropriate legislation to amend the relevant section of the Constitution accordingly.»

 Mais 39 ans après, le ministre mentor change d’avis. Au Parlement, 2016, il déclare qu’il est contre. «There are a number of issues that would need to be addressed before contemplating the formal use of the Mauritian Creole language in the National Assembly. As far as I am concerned, I will never accept to introduce Creole language in the National Assembly.» l’express Lundi 12 mars 2018 Une publication du groupe La Sentinelle PAGE 1 6 Le combat pour l’introduction du créole au Parlement est toujours en cours. Dev Virashawmy explique que ce ne serait pas une bonne idée. «Nos parlementaires ne savent pas parler créole correctement, pourquoi leur demander de s’exprimer dans une langue qu’ils ne maî- trisent pas ?» Arnaud Carpooran, universitaire et concepteur du Diksioner Morisien, dans un entretien, a, lui, dit que le créole mauricien sera introduit au Parlement en temps et lieu. Plusieurs termes parlementaires, comme les «Standing Orders», n’existent pas en créole. Il faudra que tout ce lexique soit créé avant de parler de l’introduction du créole au Parlement.

Le combat pour l’introduction du créole au Parlement est toujours en cours. Dev Virashawmy explique que ce ne serait pas une bonne idée. «Nos parlementaires ne savent pas parler créole correctement, pourquoi leur demander de s’exprimer dans une langue qu’ils ne maî- trisent pas ?»

Arnaud Carpooran, universitaire et concepteur du Diksioner Morisien, dans un entretien, a, lui, dit que le créole mauricien sera introduit au Parlement en temps et lieu. Plusieurs termes parlementaires, comme les «Standing Orders», n’existent pas en créole. Il faudra que tout ce lexique soit créé avant de parler de l’introduction du créole au Parlement.

L’école décolle

Si la langue de la rue n’est pas encore au Parlement, elle a fait du chemin depuis l’Indépendance. Après un long combat mené par Lalit et les Verts Fraternels, le créole est introduit comme matière dans les écoles en janvier 2012. «Avoir cela comme langue, c’est bien. Mais il faut que cela devienne le médium d’enseignement. Nous sommes le seul pays au monde qui utilise une autre langue que la langue maternelle pour l’apprentissage des enfants, et c’est un crime», ne cesse de répéter Dev Virashawmy.

Dimounn pé koz dan pos

Quant à la Mauritius Broadcasting Corporation, il a fallu attendre les années 2000 pour qu’un journal télévisé en créole soit lancé. «Il était inconcevable que les gens n’aient pas accès à l’information dans leur langue maternelle», avance Sylvio Michel, qui a été l’un des plus fervents militants pour le créole à la télévision.

Pour les 50 ans de l’Indépendance de Maurice, tous s’accordent à dire que le créole n’est plus un patois mais une langue à part entière. «Il existe un dictionnaire, des poèmes, des romans… Même les livres sacrés sont en créole maintenant», dit Dev Virahsawmy pour justifier sa position.

Des expressions disparues aux nouvelles, que vive le créole

Le créole de nos grands-parents était totalement différent du nô- tre. Des expressions se perdent, d’autres apparaissent dans le paysage. L’explication est que le créole est une langue vivante. «Mais il y a aussi le fait que nous évoluions culturellement et la langue s’adapte», dit Dev Virahsawmy. Notre manière de cuisiner, de nous déplacer, bref, de vivre, a changé, et le vocabulaire a évolué avec.

Prenons les jeux. Demandez à un gamin de faire une partie d’«aring bouring» ou de «gouli danta», il vous regardera comme si votre «lespri inn pike» avant de retourner à ses consoles

Nos grands-parents avaient le verbe haut en couleur. Et mettaient leurs «konserv» pour se protéger les yeux du soleil. Allez savoir pour quoi les lunettes de soleil étaient ainsi désignées. Puis, ils prenaient le bus pour aller «anvil». Pendant longtemps, la capitale a été la seule ville du pays et se rendre «anvil» ne pouvait laisser aucun doute sur la destination. D’ailleurs, les Portlouisiens, qui étaient «gran nwar» – eh oui, même ceux qui étaient petits et de teint clair – considéraient toute région hors des frontières de leur localité comme des «bitasion».

Outre les expressions, les chiffres avaient aussi une place spéciale dans les conversations d’antan. Autrefois, un «zennzan» avait une «35», et non une «fam». Si la «35» était très jeune, elle était une «17». D’ailleurs, s’il ne se mariait pas avec elle, il restait «zennzan», peu importe son âge. S’il se mariait, il devait passer par le mariage religieux et le «maryaz lapolis», c’està-dire devant l’officier de l’état civil.

Bref, nos grands-parents avaient toute une panoplie de descriptifs qui sont souvent repris par les politiciens lorsque leur «tartari pran zot». Pas compris ? Remplacez par «babani». Non plus ? «Nérasténi», alors ? Le créole des jeunes version ghetto et verlan pourrait aussi vous faire sentir un peu extraterrestre.

L’inventivité du «ghetto kreol»

Eski to pou sanndebaan ? Les débats autour de la langue créole (son apprentissage, sa présence officielle au Parlement etc.) ne sont pas qu’affaire d’universitaires. Les artistes – surtout dans la musique, le théâtre, la littérature – artisans de la langue ont aussi leur mot à dire.

C’est le cas de Bruno Raya, membre d’Otentik Street Brothers, qui, avec humour a expliqué la distinction entre «queen kreol» et «ghetto kreol», lors d’une table ronde sur 50 ans d’évolution de la langue créole. À titre d’exemple, il a ancré géographiquement le «ghetto kreol» dans le quartier d’où il vient  : Plaisance, Rose-Hill. «Mwa mo res dan fas B.» Avant de situer le «queen kreol» du côté de Roches-Brunes. «Sa se fas A.»

 Il définit le «ghetto kreol» comme un «argot kreol» mélangé à du verlan. Si on vous demande «eski to pou sanndebaan ? », comprenez, «eski to pou desann an ba ?» Selon Bruno Raya, le «ghetto kreol» se distingue aussi par ses codes. Exemple : «Bondie la dan ki legliz sa ?» Cela veut dire : «Kot sa gagn enn bon mas ?»

Ce créole reprend aussi les codes associés aux chiffres. «Zoli 24, 15-26 extraordiner, 40 teribul» («terrible» en anglais). Ce qui signifie : «Li ena enn zoli figir, enn zoli pwatrinn, enn zoli tonkin. Li tre sexi.»

Pour continuer à vivre, il faut qu’une langue évolue. L’une de ces évolutions, selon Bruno Raya c’est ce côté «ghéttoïste», mis en avant par des artistes tels OSB. Sur le ton de l’anecdote, il a raconté que dans les années 90, le groupe avait décidé d’écrire les affiches annonçant les soirées sound system en kreol. «Enn fwa nou trouv enn misie inn vini, nou ti krwar l’ADSU.» Par la suite, ce monsieur a invité Bruno Raya dans un débat sur langue kreol à l’université. C’était Arnaud Carpooran, actuel doyen de la faculté de Social Sciences and Humanities. «Il avait repris les textes de nos affiches, au tableau. C’est là que j’ai compris qu’il n’était pas de l’ADSU, mais qu’il était un chargé de cours qui faisait une enquête sur l’utilisation de la langue par la nouvelle génération.»

Il s’est aussi demandé pourquoi les hommes politiques font campagne en créole. «Sa bann mem dimounn la» reprennent allègrement les «siloy» et les «bonnto» à leur compte. Sauf que le créole, officiellement n’a pas droit de cité au Parlement.