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«Je ne porterai pas ma décoration», confie Emmanuel Richon

19 mars 2018, 22:20

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«Je ne porterai pas ma décoration», confie Emmanuel Richon

Vous faites partie des décorés 12 mars, élevé au rang de Officer of the Order of the Star and Key of the Indian Ocean. Savez-vous qui a suggéré votre nom ?

Je n’aurais pas la vanité de vous dire qu’il y en a tellement (rires). Peu importe. Le système est bien fait, puisqu’on ne sait pas.

Comment accueillez-vous cette décoration?

Avec joie. Mon papa me disait toujours que les décorations, ça ne se demande pas, ça ne se porte pas, ça ne se refuse pas.

Vous ne la porterez pas ?

Le jour où on va me la remettre oui. La retirer ferait un peu désordre.

Et après ?

Après, non, non. Je ne suis pas de ceux qui mettent cela sur la carte de visite.

La décoration restera où ?

Dans mon cœur, pas dessus. Je n’ai même pas besoin de la recevoir physiquement. La montrer, c’est m’as-tu-vu. Il y a des gens qui certainement la méritent plus que moi et qui ne l’ont pas eue. À l’inverse, il y a des gens qui l’ont eue et qui ne la méritent pas du tout.

Vous pensez à qui ?

Je n’ai personne en tête. Je pense à moi en disant ça. Mon cas est un peu spécial. Étant Mauricien depuis 2003 seulement, c’est une jolie preuve des possibilités d’intégration.

Pour quelles raisons avez-vous demandé la nationalité mauricienne ?

J’avais une fierté à l’obtenir parce que justement, la nationalité ce n’est pas une histoire de mérite. À un moment donné, dans ma famille, chacun avait sa nationalité. J’ai eu de vrais problèmes à l’aéroport, à La Réunion. Je m’en souviendrai toute ma vie. On a parlé de refouler ma femme, alors que j’avais rendez-vous avec Christophe Payet, qui était à l’époque le président du Conseil Général.

Parce qu’elle est Mauricienne et vous Français ?

C’est une histoire à la Kafka ou à la Courteline. Ma femme avait passé 17 ans en France. Elle avait une carte de résidente. Mais je n’avais pas fait attention que cela faisait plus de six mois qu’on avait quitté La Réunion. À la douane, on chope ma femme et on lui dit que sa carte n’est plus valable. On me sort l’ordonnance du séjour des étrangers sur le territoire français qui date de 1945. J’ai dit qu’on allait repartir dans deux jours, que nous étions invités par Christophe Payet et que je venais donner une conférence sur Baudelaire. Il a fallu que je les menace.

Tout ça pour dire que la double nationalité c’est un bienfait. Je la dois à l’amendement Rault en 1995.

Finalement, ça tient à quoi, être Mauricien ?

Pour moi, c’est un vrai plaisir car je n’ai pas de communauté. Peut-être que je suis le futur de l’île Maurice (sourire). Malheureusement, chacun d’entre vous est renvoyé à sa communauté. N’étant pas d’une communauté, je peux toucher à toutes les cultures.

Être Mauricien c’est ne plus se définir en termes de communauté ?

Quand je suis à Maurice, je suis Mauricien, pas Français. Être Mauricien, c’est certainement lié au territoire : Rodrigues, Agalega ou les Chagos. C’est aussi certainement lié à la langue. Une langue qui nous unit, le créole, que j’ai apprise.

Être Mauricien, c’est pas simplement composer par tolérance avec le voisin. Le voisin nous définit. C’est pas par défaut que l’on est Mauricien, c’est plus profond que ça. Moi, j’en ai besoin. J’ai besoin de gens différents.

Vous vous voyez finir vos jours à Maurice ?

Je ne vois que ça, sinon, je serais déjà parti. Quand ma femme est décédée, il y a cinq ans, la question ne s’est même pas posée. Peut-être parce que le temps est passé sans que je m’en sois rendu compte. Cela fait 20 ans.

Comment avez-vous atterri à Maurice ?

J’ai l’habitude de dire qu’en me mariant avec une Mauricienne, je me suis marié à l’île Maurice.

Parlons du Blue Penny Museum, dont vous êtes le conservateur. De laquelle de vos réalisations êtes-vous le plus fier ?

C’est difficile. J’aimais bien Lemuria, parce que c’était une création à partir de rien. J’ai eu sept lémuriens en emprunt. J’ai passé 14 heures à l’aéroport le premier jour et 14 heures le lendemain, aux services vétérinaires. Mais ça c’est fait.

Vous faites en partie le travail du ministère des Arts et de la Culture, non ?

Je n’ai pas cette prétention-là. Je ne fais que mon travail. Ce qui me manquait le plus quand je suis arrivé à Maurice, c’était la culture. Il n’y avait pas cette richesse indéniable qu’il y a à Paris. Quelque part, j’ai comblé ce manque.

Ce qui vous manquait, vous l’avez fait ?

En définitive, tout est positif, si on sait voir loin.

Vous avez déclaré que depuis que vous êtes au Blue Penny Museum, aucun ministre des Arts et de la Culture n’y a mis les pieds.

Ou alors, il s’est bien caché (rires) Je ne l’ai pas vu. Ou peut-être qu’ils ont honte. Quand je suis arrivé au Mauritius Institute, comme coopérant français, les gens avaient honte d’y travailler, tellement c’était délabré, déjà à l’époque. Quand je disais aux gens que j’étais restaurateur au musée de la Marine à Paris, j’étais fier.

Le musée de Port-Louis est actuellement en rénovation. Deux experts du Louvre ont soumis un rapport sur les musées. Vous pensez qu’à la réouverture, les choses auront changé ?

Très franchement, je ne pense pas que la solution viendra de l’extérieur. Je suis bien placé pour le dire, j’y ai passé trois ans.

On ne vous a pas écouté ?

Pas vraiment. Cela ne veut pas dire que j’avais forcément raison. En tout cas, rien n’a changé. Ils se sont obstinés dans leur ligne. Peut-être que c’était la meilleure. J’ai déjà pensé à ce qu’aurait dû être le musée d’histoire naturelle. Cela aurait pu être l’un des plus beaux musées du monde.

Vous parlez de la collection d’animaux ou des œuvres d’art ?

Les œuvres d’art auraient dû être dans une galerie, ailleurs. Le problème fondamental du Mauritius Institute et de son successeur, le Mauritius Museums Council, c’est que c’est un fourre-tout.

Vous avez restauré des tableaux de la cathédrale Saint Louis, ceux de l’État…

Ceux de la collection Rochecouste qui sont partis aux oubliettes. Je n’appelle pas ça des réserves, désolé. On ne peut pas dire que ce sont des réserves, quand les tableaux sont mis les uns sur les autres. C’est lamentable.

Vous avez aussi restauré des tableaux de collections privées.

Cela m’est arrivé.

Que pensez-vous de l’ensemble de la «collection Maurice» ?

Quand je suis arrivé en 1993, j’avais des préjugés sur Maurice. Après j’ai découvert Le Sidaner, Prosper d’Epinay, Moorthy Nagalingum ; une vie culturelle très intense. Ce qui me navre le plus, quand je demande à quelqu’un le nom d’un artiste mauricien du XIXe siècle, c’est le vide. Par contre si je demande le nom d’un artiste français du XIXe siècle, des noms viennent. Vous vous rendez compte du drame ?

J’ai recensé plus de 100 noms, pour un autre livre que je veux faire. La moitié c’est Mauricien, parce qu’il y avait aussi les artistes de passage. Comment cela se fait que la National Art Gallery (NAG) n’ait pas de galerie encore ? (NdlR : Emmanuel Richon est membre du conseil d’administration de la NAG, il y représente la Société Royale des Arts et des Sciences de l’Ile Maurice). Il y a un vrai problème de fond.

Revenons au Blue Penny Museum. Vous dites que vous êtes constamment en quête de moyens de subsistance pour le musée.

C’est vrai. Mais c’est dans le bon sens. Le problème du musée d’à côté, c’est qu’il n’a pas à se soucier de cet aspect.

Vous parlez du musée de Port-Louis ?

Je pense que tous leurs problèmes viennent de là : ils n’ont pas besoin de survivre. Quand vous avez besoin de survivre, vous devez vous battre. Quand je fais une exposition, je réfléchis à plusieurs options : un catalogue, des signets, des cartes postales. Il y a plein de choses que vous pouvez faire autour d’une exposition. C’est pas uniquement pour m’amuser que j’écris des livres. C’est pas que par plaisir que je fais des expos. Cela fait partie d’un tout. C’est ce qui fait vivre le musée sur le plan intellectuel, c’est son aura. Mais c’est aussi ce qui le fait vivre concrètement.

Le Blue Penny Museum c’est le musée d’une banque commerciale, avez-vous l’obligation d’être rentable ?

Non. Heureusement, sinon je me serais écroulé depuis longtemps. C’est la grandeur de la Mauritius Commercial Bank. J’ai des comptes à rendre, bien sûr. En ce qui concerne les activités, j’explique pourquoi je veux le faire, dans quelles conditions, une fois que c’est clair, la banque a toujours accepté. Forcément il y a une petite part de risque à chaque fois, vous pouvez être mal compris, avoir des contradicteurs, mais si vous ne risquez rien, vous n’aurez rien.