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Industrie hippique: la course aux millions

31 mars 2018, 18:00

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Industrie hippique: la course aux millions

«Le gâteau est là, il ne faut pas se bagarrer.» Ce sont les mots du président Kamal Taposeea peu après son accession au poste suprême du Mauritius Turf Club (MTC) alors qu’il évoquait le litige SMS Pariaz-MTC. Mais qu’en est-il vraiment dans la réalité ? Les différents opérateurs sont-ils tous satisfaits de leur part du «gâteau» ? L’express a mené une petite enquête dans le cadre de l’ouverture de la saison de courses.

Il faut d’emblée souligner que la performance générale de la saison 2017 a été supérieure à sa devancière avec le MTC enregistrant un bilan comptable favorable avec un surplus dépassant les Rs 7 millions dans les caisses. «Ce bon résultat est surtout dû au fait que nous avons eu plus de courses disputées l’année dernière avec une moyenne de 8,4 chevaux par course contre 7,9 en 2016», nous explique une source bien informée.

Bilan 2017 satisfaisant

Le bilan 2017 est, somme toute, satisfaisant si l’on considère que le MTC n’a eu droit qu’à 37 journées, comparées aux 40 qu’il avait demandées auprès de la Gambling Regulatory Authority (GRA), tout comme cela avait été le cas en 2016. Cette embellie s’est d’ailleurs traduite au niveau du betting avec les principaux opérateurs enregistrant tous une hausse du chiffre d’affaires, soit le Tote (+6 %), SMS Pariaz (+14,5 %) et les bookies (+9 %), même si cela n’est pas forcément synonyme de profitabilité.

Les paris à crédit continuent, cependant, à faire du tort. Les dernières estimations évaluent le manque à gagner de l’industrie hippique à l’équivalent, voire plus, de la masse d’argent échangée dans le circuit officiel, qui est chiffrée à un peu plus Rs 5 milliards (tous les opérateurs confondus).

Prudence

Du côté du MTC, on affiche toutefois une certaine prudence par rapport à cette somme astronomique pour une petite juridiction hippique comme Maurice. «Rien ne dit que ce montant représente de l’argent frais injecté dans le circuit», tempère pour sa part un habitué du giron.

Reste que le gouvernement aurait ponctionné près de Rs 700 millions de l’industrie hippique en 2017 sans retourner l’ascenseur. «Si les autorités avaient consenti à réinjecter ne serait-ce que Rs 50-60 millions des taxes perçues, cela aurait pu garantir des stakes money plus alléchants, ce qui aurait alors encouragé les propriétaires de chevaux à investir plus», se désole-t-on du côté du MTC.

A l’international

Afin de diversifier ses sources de revenus, le MTC explore d’autres pistes à l’international. Après l’Afrique du Sud, l’île de la Réunion, le Royaume-Uni et tout récemment l’Australie, c’est vers Singapour que lorgne à présent l’organisateur des courses pour vendre son produit.

«Nous avons un réel besoin de nous tourner vers d’autres marchés. Les Australiens nous ont fait comprendre qu’ils ne prendraient pour le moment des paris que sur les journées importantes, avec une préférence pour les journées dominicales. En ce qui concerne l’île soeur, les recettes tournent aux alentours de Rs 80 000 par journée, ce qui est très peu, d’où la nécessité de se tourner vers de nouveaux marchés.» Conscient de l’évolution du monde du jeu, le MTC se penche également sur l’Internet Betting qui est très prisé par la jeune génération de parieurs, mais aucune avancée majeure n’a été faite à ce jour.

National Tote: Déjà la pomme de la discorde ?

Le National Tote, totalisateur ou pari mutuel unique proposé pour l’industrie hippique, verra-t-il prochainement le jour ? Avec l’avènement du Tote à Maurice en juin 1991, certains estiment que le MTC aurait cédé (à tort ?) son contrôle à la famille Hardy. Une hypothèse qui avait été démentie par William Chung. Selon l’ex-président du MTC, qui s’était confié à L’Express-Turf il y a quelques années, le Club voulait opérer ‘son’ Tote, mais il s’était heurté au refus des autorités compétentes.

Pour ce qui est du National Tote, dans son bilan 2017, le MTC affirme réfléchir déjà à la mise en place de cette nouvelle structure pour la transformation du MTC en une Compagnie Limitée par garantie, calqué sur le modèle hongkongais. On en serait cependant toujours au point mort à ce sujet.

Pourquoi ? Du côté de la GRA, on évoque la complexité de la mise en place d’une telle structure, le mode opératoire devant encore être défini. De plus, Automatic Systems Ltd (ASL) et Global Sports Ltd (GSL) qui gèrent respectivement Supertote et Totelepep, se partagent déjà le marché. «Nous sommes au courant que le MTC voulait créer une plateforme qui agirait comme hub pour le international commingling mais pas d’un projet de National Tote. Le Tote est une activité coûteuse avec des licences excessives, nous ne voyons pas l’intérêt de créer un troisième Tote», déclare Guillaume Hardy, directeur général d’ASL, à ce sujet. Le MTC, ASL et GSL seront-ils partenaires ou concurrents sur la question du Tote ? Affaire à suivre.

Bijay Coomar Greedharry: «Le gouvernement nous prend pour une vache à lait»

Bijay Coomar Greedharry, président de la Turf Bookmakers Association.

La grogne est encore plus importante chez les bookmakers, lesquels n’ont pas affiché les cotes d’ouverture jeudi à l’occasion de la première journée de courses. Et les effets de la hausse au niveau des frais d’opération ont déjà eu raison d’une demi-douzaine d’entre eux, qui ne seront d’ailleurs pas de la partie en 2018. «Le gouvernement nous prend pour une vache à lait alors que le bookmaker est, par définition, un métier à risque. Veerapen, S. K.Joomun ek Gopaleea finn bizin rann zot patent. Dans le giron, ils sont considérés comme les ancêtres des bookmakers et c’est un choc que de les voir plier bagages», s’insurge Bijay Coomar Greedharry.

Comment en est-on arrivé là ? «Il faut savoir que cela coûte une petite fortune pour opérer dans ce milieu. Avant même de pouvoir commencer à prendre des paris, il me faut payer Rs 150 000 à la municipalité de Port-Louis pour la saison. Au niveau de la GRA, il nous faut déposer une garantie bancaire d’un million ou de Rs 3,5 millions, selon que vous opérez au Champ-de-Mars ou en off-course. En ce qui concerne les frais, ils incluent un montant fixe, Rs 16 000 ou Rs 24 000 dépendant du lieu où il opère, couplé d’un pourcentage sur le chiffre d’affaires. Au final, le bookmaker doit débourser entre Rs 60 000 et Rs 200 000 par journée. Et après on s’étonne que certains parmi nous ne puissent soutenir le rythme ? Contrairement au Tote, les bookmakers ne jouissent pas d’un safety net dans le sens où nous opérons selon le système de fixed odds. Nous tentons de minimiser les risques au maximum mais ce n’est pas toujours le cas. À titre personnel, je dois vous avouer que je suis perdant sur l’ensemble de la saison dernière et je considère sérieusement mon avenir au Champ-de-Mars. Si la tendance ne s’inverse pas cette année, il se pourrait que je doive moi aussi rendre mon tablier.» Les bookmakers ne sont toutefois pas au bout de leurs peines, avec le rapport commandé par la GRA auprès de la firme BDO, qui préconise que tous les opérateurs de paris, hormis le Tote (5 %), soient taxés à 4,5 % de leurs chiffres d’affaires.

«Au niveau de la Turf Bookmakers Association (TBA), nous ne sommes pas favorables à cette nouvelle donne et nous avons réclamé une copie de ce fameux rapport, qu’on attend toujours d’ailleurs. Nous avons fait parvenir une lettre officielle à l’instance régulatrice pour exprimer nos griefs. À ce jour, la TBA n’a reçu aucune correspondance de la GRA à cet effet». Ce qui explique, entre autres, le mouvement de grève engagé jeudi.

Guillaume Hardy: «Une augmentation de 370 % en termes de taxes»

Guillaume Hardy, Managing Director d’Automatic Systems Ltd

Même si le chiffre d’affaires est de manière générale en hausse, les opérateurs du jeu sont unanimes. Les frais d’opérations sont trop excessifs. Guillaume Hardy s’explique: «Il faut savoir que pour le Tote, nous opérons 37 journées échelonnées sur à peu près huit mois et des frais qui ne cessent d’augmenter. En 2015 nous payions Rs 4 millions de licence à la Gambling Regulatory Authority, alors qu’en 2017 nous avons payé Rs 14,9 millions de licence, ce qui représente une augmentation de 370 %. La taxe payée à la MRA et les licences payées à la GRA et aux autorités locales représentent 41 % de nos revenus. Nous considérons cela excessif et je me demande si ce n’est pas le taux le plus élevé au monde pour une activité qui opère huit mois de l’année. Nous contribuons aussi en moyenne 20 % de nos revenus au MTC, une dépense logique pour le financement de la filière hippique locale. Nous avons aussi d’autres frais liés à notre système de Tote qui est extrêmement sophistiqué et qui a besoin d’être constamment mis à jour par rapport aux nouvelles technologies.» De plus, notre interlocuteur estime qu’il aurait été très difficile, dans le contexte actuel, pour ASL de rester profitable sans l’apport des paris sur le foot.

Nouveaux chevaux: Rs 200 millions en termes d’investissements

Quelque 200 nouveaux chevaux sont attendus en piste cette année. Les écuries ont cassé leurs tirelires cette année pour rester compétitives au cours d’une saison de courses qui s’annonce disputée, vu la qualité des effectifs. Si l’écurie Gujadhur, grâce à un investissement audacieux, mais aussi très ambitieux avec l’achat de plusieurs cracks annoncés, arrive en tête de liste avec une vingtaine de nouvelles têtes, à des exceptions près, tous les autres établissements ont dû plus ou moins suivre la tendance.

L’express a sollicité l’avis d’un professionnel en la matière, quelqu’un qui connaît les rouages au niveau de l’achat de nouveaux chevaux en termes d’investissements, pour se faire une idée du coût global d’investissement. «Le prix d’un cheval varie évidemment dépendant de sa valeur en termes de classe et d’aptitudes. Avec mes 30 ans d’expérience, en moyenne je vais compter à partir d’un million de roupies par tête, tous frais inclus. Ce qui nous amène à quelque Rs 200 millions cette année, voire plus en raison de la qualité obtenue dans certains cas, rien que pour les nouveaux chevaux.»

Des avancées extraordinaires dans le monde hippique mauricien rien qu’en se rappelant que jusqu’au début des années 80, les écuries obtenaient gratuitement des chevaux que leur allouait le MTC après tirage au sort. Si l’industrie hippique n’est pas aussi florissante comme on pouvait le penser à entendre les dirigeants du MTC et d’écurie, il serait intéressant de connaître les raisons derrière de tels investissements.

Et les financements obscurs dans tout cela, même s’il ne faut pas généraliser ? «Ce n’est pas le rôle du MTC de procéder à un filtrage des gens qui fréquentent les écuries. C’est à celles-ci de les faire», soutient-on du côté de l’organisateur de courses.

Les courses hippiques, il faut le rappeler, avaient été traînées dans la boue l’année dernière en raison des ramifications entre l’industrie et certains trafiquants de drogue. Et la commission d’enquête a démontré plusieurs fois comment les «nouveaux riches» se sont souvent servis des courses pour tenter de justifier les millions de roupies en leur possession.